Intervention de Bernadette Bourzai

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion
L'évolution des relations entre l'union européenne et la turquie rapport d'information de m. jean bizet mme bernadette bourzai mm. robert del picchia et charles gautier

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

Je partage globalement l'analyse de Robert del Picchia, mais j'ajouterai quelques mots. Je tiens d'abord à souligner que notre délégation a été fort bien reçue en Turquie, même si nos interlocuteurs turcs n'ont pas mâché leurs mots pour nous dire ce qu'ils pensaient de l'attitude de la France. C'est un peuple qui préfère manifestement crever l'abcès, quitte à brusquer légèrement leurs interlocuteurs. Mais, loin de moi l'idée de dire qu'il s'agit d'un défaut.

Cela faisait vingt ans que je ne m'étais pas rendue en Turquie et j'ai été frappée par le développement spectaculaire qu'elle a connue, à la fois sur le plan économique et sur le plan social. La population a bénéficié de l'essor du pays et vit clairement plus confortablement que dans les années 1980 et ou 1990. Les rencontres avec les milieux culturels, à l'université de Galatasaray, au lycée de Galata, comme au lycée Saint-Michel, ont été très riches et ont montré une nouvelle fois le dynamisme de la population turque.

Les relations franco-turques présentent incontestablement des tensions, mais je dirai plutôt qu'il s'agit de relations où se mêlent des sentiments à la fois d'amour et de détestation : les points de crispation actuels ne doivent pas faire oublier qu'il existe aussi une certaine fascination réciproque, qui s'appuie sur des liens solides et la persistance d'une convergence de vues sur de nombreux sujets. D'ailleurs, pourrait-il en être autrement au regard de la longue histoire que nous avons partagée ou même de la forte population d'origine turque vivant en France, qui soude nécessairement les liens entre la Turquie et les régions françaises ?

J'ai eu le sentiment que les Turcs avaient pris une certaine distance vis-à-vis de l'adhésion à l'Union européenne. D'une part, ils sont conscients qu'il leur reste un long chemin à parcourir, qui exige beaucoup d'efforts de leur part, avant de satisfaire pleinement les critères de Copenhague. Le Président Gül nous en a d'ailleurs fait part lors de l'entretien qu'il nous a accordé. Sur une question que je lui posais relative à l'égalité entre les hommes et les femmes, par exemple, il a reconnu que la Turquie accusait encore un grand retard. D'autre part, les Turcs se rendent compte que les évènements récents dans le monde arabe leur confèrent de nouvelles responsabilités. Ils pourraient être amenés à devenir un pont entre l'Union européenne et le monde arabe et donc à jouer un rôle beaucoup plus central que celui qu'ils pourraient avoir s'ils intégraient l'Union européenne, dont ils resteraient, géographiquement tout au moins, à la périphérie. Dans ce contexte, j'ai l'impression qu'ils se projettent de plus en plus comme une puissance du bassin méditerranéen oriental plutôt que comme un pays membre de l'Union européenne parmi d'autres. Aussi, je me demande si la Turquie ne s'interroge pas de plus en plus sur l'opportunité d'une adhésion, qui exige de sa part un travail encore important et induira nécessairement une perte d'autonomie.

Ce n'est sans doute pas un hasard si la question de l'adhésion à l'Union européenne n'a tenu qu'une place très marginale dans la campagne électorale pour les législatives du 12 juin dernier. L'AKP a une nouvelle fois remporté largement ces élections, avec 49,8 % des voix. Cependant, j'ignore si l'on doit interpréter ce résultat comme un réflexe de résistance de la part de l'électorat turc, mais toujours est-il qu'il ne permet pas à l'AKP de disposer d'un nombre de sièges suffisant au Parlement pour modifier la Constitution à sa guise. Il n'a obtenu que 326 sièges, alors qu'il lui en aurait fallu 367, soit les 3/5e, pour modifier seul la Constitution ou au moins 330 pour lancer seul une procédure de révision constitutionnelle par voie référendaire. Dans ces conditions, il n'est pas certain qu'il puisse faire évoluer la Turquie vers un régime présidentiel, comme le souhaitait le Premier ministre, Recep Tayyip Erdoðan.

L'entretien que nous avons eu avec le Président de la République a été fort intéressant. Abdullah Gül nous a alors présenté les objectifs que son pays s'était assignés à l'horizon 2023, une date particulièrement symbolique pour les Turcs puisqu'il s'agira du centenaire de la République. Le premier concernait l'adhésion à l'Union européenne, la Turquie espérant en être devenue membre à cette date. Le deuxième avait trait au développement économique, la Turquie ambitionnant de faire partie des dix premières économies mondiales, sachant qu'elle se classe aujourd'hui 17e. Le troisième était un objectif social, qui consiste à garantir une meilleure répartition des richesses à la fois entre les Turcs et entre les différentes régions de Turquie. Quand on connaît aujourd'hui les écarts de richesse entre l'ouest du pays et certaines zones reculées d'Anatolie comme de l'est et du sud-est du pays, il paraît clair que la Turquie devra déployer de nombreux efforts en ce sens au cours des prochaines années. Enfin, le quatrième et dernier objectif devrait avoir un impact sur la politique étrangère turque, puisqu'il s'agit de ramener la paix et la stabilité dans le voisinage régional, en y oeuvrant en faveur de la démocratie et des droits de l'homme, tout en promouvant la prospérité économique par l'instauration d'une zone de libre-échange. Une nouvelle fois, cet objectif semble confirmer l'existence d'une volonté turque de retrouver une véritable centralité en constituant leur propre marché commun.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion