Intervention de Colette Mélot

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion
L'union européenne et l'éducation communication d'étape de mme colette mélot

Photo de Colette MélotColette Mélot :

Depuis quelques semaines, l'Union européenne a engagé une vaste réflexion sur les perspectives financières pour la période 2014-2020. Notre commission s'est elle aussi saisie du sujet, comme en témoigne la discussion que nous aurons la semaine prochaine sur le cadre financier 2014-2020.

Dans ce contexte, il m'a semblé intéressant que nous débattions du rôle de l'Union européenne en matière d'éducation. Investir dans l'éducation et la formation est un enjeu important pour l'avenir du continent européen. A l'heure où l'euroscepticisme va croissant, où l'Union européenne traverse une « crise d'identité », l'accent mis sur l'éducation et la formation peut permettre de redonner du sens à l'Union européenne et de lui fournir des clés pour répondre au développement de la compétition internationale. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'éducation et la formation constituent l'un des piliers de la nouvelle stratégie UE 2020. Pour autant, il faut aujourd'hui traduire concrètement ces objectifs en actes.

Je vous propose donc de dresser un rapide panorama des actions de l'Union européenne en matière d'éducation et de proposer quelques pistes de réflexion pour renforcer son rôle dans ce domaine.

A l'origine de la construction européenne, l'intervention de l'Union dans le domaine de l'éducation n'allait pas de soi. Le traité de Rome ne comportait aucune disposition qui permette formellement une action dans ce domaine, les Pères fondateurs estimant alors que le Conseil de l'Europe constituait un forum plus approprié pour discuter de la coopération en matière d'éducation et de culture entre États membres.

C'est véritablement à partir de la fin des années 1980 que la coopération en matière d'éducation a pris peu à peu une véritable envergure. Des projets à grande échelle sont alors lancés, dont le célèbre programme « Erasmus » d'échange universitaire en 1987. Surtout, le traité de Maastricht en 1992 a donné officiellement compétence à l'Union européenne pour intervenir dans le domaine éducatif.

L'ambition européenne en matière d'éducation s'est davantage affirmée en 2000 avec l'adoption de la stratégie de Lisbonne et, plus récemment, avec l'adoption de la stratégie UE 2020, qui lui a succédé. Ces stratégies ont en effet vocation à faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde » et l'éducation joue évidemment un rôle central pour atteindre cet objectif.

Ces évolutions ont conduit l'Union européenne à orienter son action dans deux directions principales :

- d'un côté, elle organise la coopération et l'échange de bonnes pratiques entre les Etats membres grâce à divers programmes, en particulier les programmes de mobilité : « Erasmus » pour l'enseignement supérieur et son petit frère « Erasmus Mundus » pour la coopération à ce niveau avec les pays tiers ; « Comenius » pour l'enseignement scolaire ; « Grundtvig » pour la formation des adultes ; et « Leonardo da Vinci » pour la formation professionnelle et continue.

- de l'autre côté, elle encourage une certaine harmonisation des systèmes éducatifs en fixant des objectifs de moyen terme à atteindre. Le cadre stratégique 2010-2020 fixe ainsi cinq objectifs, en matière d'enseignement préscolaire, de maîtrise des compétences de base, de décrochage scolaire, de diplômés de l'enseignement supérieur ou d'accès des adultes à la formation professionnelle.

Il n'en demeure pas moins qu'un grand nombre d'actions en matière d'éducation en Europe ne sont pas le fruit de l'Union européenne, mais sont décidés sur une base intergouvernementale. C'est le cas du Processus de Bologne. Il a été lancé en 1999 par trente pays désireux de mettre en place une convergence entre les systèmes d'enseignement supérieur afin de permettre l'émergence d'un véritable « espace européen de l'enseignement supérieur ». C'est dans le cadre de ce processus, qui regroupe aujourd'hui 47 pays, qu'ont été décidées l'organisation du cursus universitaire en trois cycles (la fameuse réforme LMD) ou l'introduction des crédits ECTS.

En dépit de ces avancées, l'intervention européenne m'apparaît toujours insuffisante au regard des enjeux actuels. Je n'ai pas le sentiment que l'Union européenne se soit véritablement dotée des moyens nécessaires pour s'assurer de l'efficacité de son action.

D'abord, l'Union européenne ne dispose, dans ce domaine, que d'une compétence d'appui. Ses ambitions se heurtent donc régulièrement à la réticence de certains États membres, qui ne souhaitent pas qu'elle joue un rôle trop important dans ce domaine. C'est le cas, par exemple, de la République tchèque, mais aussi, dans une moindre mesure, de l'Allemagne qui veut préserver la compétence des Länder. Dans ces conditions, il n'est pas rare que les objectifs de moyen terme retenus soient décevants. C'est particulièrement flagrant pour les questions d'apprentissage des langues étrangères.

Ensuite, l'action de l'Union européenne manque encore beaucoup de visibilité. On constate que les publics susceptibles d'être concernés ne sont pas toujours au courant des possibilités de mobilité qui leur sont offertes et des aides dont ils pourraient disposer s'ils faisaient un échange ou une formation à l'étranger.

Enfin, le budget consacré à ces questions reste très insuffisant. Il s'élevait à 7 milliards d'euros pour la période 2007-2013, soit à peine plus de 1 % du budget communautaire. De tels montants donnent le sentiment que l'Union européenne peut difficilement offrir plus qu'un saupoudrage et n'est pas en mesure de répondre aux défis auxquels elle a à faire face.

Ces faiblesses sont d'autant plus regrettables que, dans le contexte actuel, je crois que nous aurions beaucoup à gagner, en termes à la fois de développement économique et de démocratie, si nous disposions d'une véritable politique européenne dans le domaine de l'éducation.

D'une part, en termes économiques. Tout le monde s'accorde pour dire que la construction d'un espace européen de la connaissance constituerait un atout décisif pour l'avenir de l'Europe. Il permettrait d'agir autant sur la compétitivité, que sur l'emploi et la cohésion sociale. C'est d'ailleurs le sens de la nouvelle stratégie UE 2020, dont certains axes visent à renforcer la mobilité des jeunes - l'initiative « Jeunesse en mouvement » - et améliorer l'employabilité des Européens - l'initiative « de nouvelles compétences pour de nouveaux emplois ».

D'autre part, en termes de démocratie. Je crois que l'engagement de l'Union européenne dans le domaine de l'éducation pourrait permettre de rapprocher les peuples du projet communautaire, en montrant la capacité concrète de l'Union européenne à répondre aux préoccupations des citoyens - leur soif de connaissance ou leurs inquiétudes liées à l'emploi, par exemple. La mobilité permet en effet de développer, en plus des compétences linguistiques, des capacités d'adaptation, d'autonomie et de communication : autant d'éléments qui sont généralement très appréciés sur le monde du travail. Elle constitue donc un vrai « plus » pour un parcours professionnel quel qu'il soit.

Au-delà, l'Union européenne pourrait également profiter de cette politique éducative pour promouvoir une Europe plus unie. Je crois fermement que les programmes de mobilité facilitent la prise de conscience, chez les citoyens européens, qu'ils partagent une identité commune. Je pense aussi qu'un meilleur enseignement de l'histoire de la construction européenne dans les écoles pourrait également renforcer l'adhésion des citoyens au projet communautaire.

Au regard des bénéfices que nous pourrions retirer d'un engagement fort de l'Union européenne dans le domaine de l'éducation, il me paraîtrait souhaitable que nous parvenions à renforcer l'efficacité de son action dans ce domaine.

L'Union européenne pourrait, dans un premier temps, améliorer sa politique de mobilité, qui constitue l'axe majeur de son action dans le domaine de l'éducation.

On constate à l'heure actuelle un manque de lisibilité évident face à la multiplication, au cours des années, des programmes et sous-programmes en matière de mobilité. Il en existe aujourd'hui près de 70. Le gouvernement français demande, depuis plusieurs années, une rationalisation de l'ensemble de ces sous-programmes pour en renforcer l'efficacité. Il suggère par ailleurs d'étendre l'appellation « Erasmus » à l'ensemble des programmes de mobilité afin d'en renforcer la visibilité. Si le programme Erasmus est en effet très connu, il n'en va pas de même pour les autres programmes de mobilité, qu'il s'agisse de Leonardo, Comenius ou Grundtvig. Regrouper tous les programmes sous une seule et unique bannière, en la déclinant ensuite en fonction des publics (élèves, étudiants, apprentis, enseignants, chercheurs, adultes...) donnerait plus de poids à l'ensemble de ces actions. Ce regroupement pourrait également donner un coup de fouet à la mobilité de certains publics. Je pense notamment au cas des adultes en formation continue, qui pourraient améliorer leurs compétences en suivant une formation dans un autre pays européen. A titre personnel, je milite également pour le développement des double, voire triple cursus entre plusieurs universités européennes, qui contribueraient fortement à renforcer la mobilité des jeunes et sont généralement très appréciés des étudiants. La création de véritables établissements européens pourrait également constituer une piste à creuser.

Pour cela, l'Union européenne devrait engager un effort financier plus important. Face à l'augmentation constante de la demande de mobilité, le budget consacré aux programmes d'éducation et de formation apparaît de plus en plus insuffisant. Si la politique de mobilité veut gagner en crédibilité, il semble essentiel d'accroître le budget qui lui est consacré, faute de quoi les objectifs de la stratégie UE 2020 resteront lettre morte. Il n'est pas rare que des candidats à la mobilité finissent par y renoncer, en raison du niveau trop faible des bourses, qui s'élèvent, par exemple à 150 euros par mois pour un étudiant en échange Erasmus. Quand on sait, par ailleurs, la difficulté qu'on rencontre pour se loger dans de nombreuses villes européennes, on peut comprendre leur décision. Dans ces conditions, je crois qu'une réflexion devrait être engagée sur la question des bourses et du logement, peu de campus en Europe disposant d'offres de logement suffisantes, à la différence des universités nord-américaines.

Je souhaiterais enfin conclure sur un dernier point, celui de la modernisation de l'enseignement supérieur. Face à la compétition des universités nord-américaines mais aussi, de manière croissante, des universités asiatiques, l'Union européenne doit mieux coordonner les efforts des États membres dans l'optique de renforcer la compétitivité européenne.

Un premier axe de réflexion est celui de l'amélioration des liens entre l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. Sur ce point évidemment, le renforcement de l'autonomie des universités et de leur gouvernance, que nous avons engagé depuis quelques années, joue un rôle central. Mais, devrait également se poser la question de la création de « pôles d'excellence ». Le gouvernement français y est extrêmement favorable car il estime que de tels lieux pourraient rivaliser avec leurs homologues au niveau international en attirant, sur un même site, les meilleurs étudiants et chercheurs, ainsi que les entreprises, pour échanger et bâtir des formations et des projets innovants. Il estime que cette stratégie permettra d'asseoir la place de l'Union européenne dans la formation des élites mondiales et devrait permettre d'attirer de plus en plus d'étudiants issus des pays émergents, aujourd'hui davantage tentés de compléter leur formation en Amérique du Nord.

Un deuxième axe de réflexion est celui de l'ouverture des universités à la formation professionnelle. Les États membres de l'Union européenne ont pris conscience, depuis plusieurs années, de l'importance de la formation professionnelle dans un monde en constante mutation. Peut-être serait-il souhaitable que les universités, de par leur expérience en matière de formation, parviennent davantage à accueillir de nouveaux publics. Cette évolution supposerait néanmoins un engagement de l'Union européenne, qui devrait s'assurer que la validation des acquis soit généralisée partout en Europe et que les universités disposent d'une partie des fonds généralement alloués à la formation professionnelle.

Voici les quelques pistes de réflexion que je souhaitais vous livrer aujourd'hui. Si vous m'y autorisez, je reviendrai devant vous dans les prochains mois pour vous présenter un rapport d'information sur cette question.

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