Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 mars 2016 à 9h05
Institutions européennes — Suivi des résolutions européennes des avis motivés et des avis politiques : rapport d'information de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Le Sénat est traditionnellement attaché à contrôler les suites données à ses positions, par exemple en s'assurant de la bonne application des lois. Cette démarche doit aussi se retrouver en matière européenne. C'est l'objet du rapport d'information qui vous a été communiqué, auquel est annexé un tableau d'ensemble, et qui fait le point sur les résolutions européennes adoptées par le Sénat sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution et adressées au Gouvernement ; les avis politiques que notre commission envoie à la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique ; et les avis motivés adoptés au titre de l'article 88-6 en vue du respect du principe de subsidiarité.

Entre le 1er octobre 2014 et le 11 février dernier, le Sénat a adopté dix-sept résolutions européennes, dont dix sont issues d'une proposition de résolution de notre commission et sept d'une initiative d'un ou plusieurs de nos collègues. Sept résolutions ont donné lieu à un rapport d'information de notre commission et dix à un rapport d'une commission législative. Huit ont également fait l'objet d'un avis politique adressé à la Commission et trois ont même été l'occasion d'un débat en séance publique. Quant aux avis motivés, le Sénat en a adoptés dix-huit depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. C'est une modalité de dialogue pertinente.

Les modalités de suivi des positions européennes du Sénat recouvrent une variété de méthodes qu'il convient de préserver pour les adapter aux enjeux des différents textes européens examinés. Il y a d'abord les fiches de suivi établies par le SGAE, qui sont le plus souvent très complètes et de grande qualité, mais qui sont généralement communiquées trop tardivement. Cela ne permet pas d'en tirer le meilleur parti. Surtout, et en dépit de nos critiques passées sur ce point, ces fiches continuent de ne concerner que des résolutions portant exclusivement sur des actes européens de nature législative. Elles laissent ainsi de côté les autres résolutions.

Mais il existe d'autres modalités de suivi. En particulier lorsque le sujet est d'une grande importance, nous mettons en place un groupe de travail, par exemple le groupe de suivi des négociations du TTIP. C'est aussi le cas des communications que nous présentent nos rapporteurs sur les évolutions intervenues sur tel ou tel texte à Bruxelles. Notre commission s'est livrée à cet exercice à six reprises depuis le 1er octobre 2014, y compris en présence du rapporteur du Parlement européen.

Pour ce qui concerne les avis politiques, notre commission en a adressés quinze à la Commission européenne depuis le 1er octobre 2014. Celle-ci y a répondu à neuf reprises, de façon aléatoire pour le respect du délai qui est en principe de trois mois. Les réponses apportées restent certes d'inégale qualité, mais gagnent indéniablement en intérêt. Elles ont également tendance, sans doute du fait du « rodage » de la procédure, à être transmises plus rapidement que par le passé. Cela permet de nourrir un dialogue extrêmement utile. J'ai particulièrement apprécié cette opportunité, même si l'on souhaiterait que la Commission européenne se montre plus réactive et pertinente dans ses réponses.

Le rapport démontre que les résolutions européennes du Sénat ont des conséquences directes sur les négociations qui conduisent à l'élaboration de la législation européenne et donc, du fait de la transposition des directives, sur la législation française. Nos résolutions constituent un instrument efficace dans l'établissement d'un véritable dialogue avec le pouvoir exécutif, même si ce dialogue demeure perfectible. De fait, les positions arrêtées par le Sénat ne restent pas lettre morte.

D'une façon quelque peu schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories quant aux suites qu'elles ont reçues. Dans plus de la moitié des cas, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte au cours des négociations, voire dans le texte européen définitif. Je peux citer les médicaments vétérinaires, le règlement des différends dans le cadre du TTIP, le PNR européen, le « Plan Juncker », le paquet « mieux légiférer », la pêche au bar, les conséquences du TTIP pour l'agriculture et l'aménagement du territoire ou encore les importations de sucres.

Dans près de 30 % des cas, les positions du Sénat ont été partiellement suivies, par exemple sur le paquet « déchets », le programme de travail de la Commission pour 2015, la lutte contre le terrorisme, la stratégie européenne du numérique et le secteur laitier.

Enfin, le Sénat n'a pas obtenu satisfaction, tout au moins jusqu'à présent, dans seulement trois cas : la gouvernance mondiale de l'Internet, l'expression des parlements nationaux lors du renouvellement de la Commission européenne et l'union des marchés de capitaux. Sur ce dernier point, une évolution est peut-être en cours.

Vous le voyez, le bilan est très largement positif.

Il l'est moins pour ce qui concerne le contrôle du principe de subsidiarité. Certes, deux « cartons jaunes » ont pu être adoptés, le premier en 2012 sur le paquet « Monti II », que la Commission a retiré, et le second en 2013 sur le parquet européen, dont le texte a été maintenu. Toutefois, les réponses que la Commission adresse à nos avis motivés ne sont guère satisfaisantes : elles sont souvent tardives et la Commission campe sur ses positions, ce qui traduit, me semble-t-il, une certaine réserve de sa part sur ce dispositif. Cette appréciation est largement partagée par les autres parlements nationaux au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Nous essayons de faire entendre la voix des parlements nationaux à la Commission européenne, qui a parfois l'oreille un peu dure...

Si le bilan est globalement très positif, le suivi de nos résolutions européennes pourrait être encore amélioré.

Mardi dernier, j'ai tenu une réunion pour évoquer des pistes envisageables en ce sens avec le SGAE qui s'est montré ouvert à plusieurs d'entre elles. Il pourrait nous adresser ses fiches de suivi, qui sont toutes validées par le cabinet du ministre concerné, avec plus de régularité de manière à ce qu'elles visent moins à dresser un bilan qu'à engager un dialogue. Ces fiches pourraient aussi être établies, non plus juste après l'accord politique sur un texte, ce qui en reporte l'échéance éventuellement fort loin, mais de façon intermédiaire pour faire un point sur l'évolution des négociations. Cela signifie davantage de travail pour le SGAE ; il n'est certainement pas aisé de faire régulièrement des points d'étape, mais il est important de rester dans le timing de la négociation. La réactivité est la condition de la pertinence de notre travail.

Alors que nous demandons depuis longtemps que ces fiches portent aussi sur des résolutions ne faisant pas l'objet d'un acte, le SGAE a évoqué une telle avancée, notamment lorsque notre résolution concerne des négociations internationales - je pense au TTIP ou à l'accord avec le Vietnam sur les importations de sucres.

De même, il serait souhaitable que nous puissions entendre régulièrement le secrétaire d'État aux affaires européennes sur ce sujet et auditionner le ministre concerné, le cas échéant en commun avec la commission permanente compétente, avant les réunions du Conseil abordant des questions ayant fait l'objet d'une résolution européenne.

Enfin, il me semble que le suivi de nos travaux doit aussi faciliter le bon déroulement de la transposition des directives, qui pèche quelque peu. À ce titre, je rappelle que le Conseil d'État avait publié une étude, l'année dernière, intitulée Directives européennes : anticiper pour mieux transposer, qui comporte des développements sur l'amélioration de l'information du Parlement tout au long de la négociation. Cette étude propose ainsi de réunir une fois par semestre, au niveau politique, un comité de liaison pour échanger sur la programmation des travaux législatifs de transposition, qui serait l'occasion d'un point sur les négociations en cours. Les rapporteurs des résolutions européennes auraient toute leur place dans cette enceinte et pourraient ainsi informer notre commission.

Des marges de progrès demeurent sur la finalisation des directives. Je prendrais l'exemple de notre position sur la consultation publique relative aux autorités nationales de la concurrence. Ce travail vise à influencer le plus en amont possible la rédaction d'un projet de texte par la Commission européenne. Nos amis anglo-saxons sont très actifs dans ce travail préalable ; les Allemands ont mis à profit un certain relâchement du côté anglais, dans la perspective du référendum, pour s'engouffrer dans la brèche. Ils influent directement, auprès des hauts fonctionnaires, sur la rédaction des directives. Ce n'est pas dans notre culture, ce qui est regrettable. Comme le dirait notre collègue Michel Raison, nous nous trouvons fort dépourvus quand la directive est venue !

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