Intervention de Colette Mélot

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 mars 2013 : 1ère réunion
Environnement — Incidence environnementale de certains projets publics et privés - proposition de résolution européenne de mme colette mélot

Photo de Colette MélotColette Mélot :

La Commission européenne a pris les États membres par surprise en publiant, le 26 octobre 2012, une proposition tendant à modifier la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. Levons d'emblée le suspense : je suis très critique vis-à-vis de ce texte.

D'abord, il étend considérablement la procédure d'évaluation. L'ajout des chantiers de démolition prétend s'appuyer sur l'arrêt que la Cour de justice de l'Union européenne a rendu le 3 mars 2011 dans l'affaire « Commission contre Irlande ». L'Irlande soutenait que les chantiers de démolition n'étaient pas concernés par la directive ; la Cour de justice a objecté que, si tel avait été le cas, « les références au « patrimoine culturel », aux « paysages importants du point de vue historique, culturel et archéologique » et « au patrimoine architectural et archéologique » seraient dépourvues d'objet ». Dans le même esprit, la Cour a relevé que « les « travaux d'aménagement urbain » comportent très souvent la démolition des structures existantes ». Si les chantiers de démolition peuvent avoir des incidences environnementales méritant d'être appréciées, il serait irréaliste de les viser tous, vu leur nombre élevé et l'absence manifeste d'incidence environnementale de la plupart d'entre eux.

La Cour de justice de l'Union européenne a fort justement rappelé que la directive s'applique au cas du patrimoine architectural, culturel et archéologique : un domaine où le droit français assure une protection suffisante. En outre, dans le droit communautaire, les conditions d'exploitation et de démantèlement d'une centrale électronucléaire doivent être examinées lors de l'évaluation précédant l'autorisation de construire. En réalité, lorsque la démolition est une étape significative pour l'évaluation de l'incidence environnementale d'un projet, elle doit déjà systématiquement être envisagée dès l'autorisation initiale, à l'exception des cas particuliers mentionnés dans l'arrêt du 3 mars 2011. Élargir le champ de la directive à l'ensemble des travaux de démolition serait donc malvenu.

La Commission européenne souhaite, à l'article 3, mentionner parmi les considérations environnementales prises en compte lors de l'évaluation la biodiversité, le changement climatique et les risques de catastrophes naturelles ou d'origine humaine. La démarche est louable, mais l'ampleur du champ concerné très vaste. D'après l'analyse d'impact de la directive de 2011, on compte 15 000 à 26 000 évaluations d'incidence environnementale par an, qui durent en moyenne douze mois, la plupart des procédures s'étalant sur 5 à 27 mois. Si l'on y ajoute 27 000 à 34 000 vérifications préliminaires, cela donne un total de 42 000 à 60 000 procédures annuelles. Bref, toute modification juridique entraînerait des effets considérables difficiles à apprécier moins de deux ans après la refonte du dispositif d'évaluation. Qui plus est, les trois décrets d'application de la loi Grenelle II réformant l'enquête publique et les études d'impact sont entrés en vigueur le 1er juin 2012. Un peu plus de six mois d'application, cela paraît insuffisant pour juger s'il y a lieu de modifier une procédure qui dure environ un an, parfois plus de deux. L'exigence nouvelle d'élaborer un « scénario de référence » décrivant « l'évolution probable de l'état actuel de l'environnement en l'absence de mise en oeuvre du projet » est également prématurée.

Dernier grief, l'obligation de procéder à une étude préalable de l'évaluation. La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et le décret du 12 octobre 1977 qui la complète avaient, d'une part, introduit des seuils dans notre droit pour dispenser certains chantiers d'une évaluation et, d'autre part, considéré suffisante une notice d'impact pour des opérations limitativement énumérées. La loi Grenelle II a supprimé les notices d'impact pour les chantiers ayant fait l'objet d'un dossier complet déposé à compter du 1er juin 2012. Et voici que la Commission européenne impose une mini étude au cas par cas, même lorsque des seuils ou des critères sont fixés par les États membres ! À l'heure où une hausse substantielle des effectifs de fonctionnaires est hors de propos, il serait irresponsable d'imposer une charge de travail supplémentaire à l'utilité pour le moins incertaine, sauf à transformer l'évaluation de l'incidence environnementale en une activité purement bureaucratique. Qui peut le souhaiter ?

La seconde raison pour laquelle je m'oppose au texte tient aux conditions de l'évaluation et au risque accru de contentieux. Le texte rend obligatoire l'intervention d'un expert au moins une fois pendant l'évaluation. Si le pétitionnaire ne fait pas appel à un expert, l'administration serait contrainte d'en consulter un. Cette charge supplémentaire que le maître d'ouvrage pourrait souverainement imputer à la collectivité est-elle opportune par les temps qui courent ? Poser cette question, c'est y répondre... Certes, la directive mentionne des « comités d'experts nationaux », mais leur apparition semble tenir de la génération spontanée.

Le projet impose une évaluation unique lorsque plusieurs directives européennes sont applicables. Toute simplification est bienvenue, mais comment coordonner au plan national des procédures communautaires qui ne sont pas harmonisées ? Cela constituera une source inépuisable de contentieux.

Paradoxalement, le projet de directive, qui allonge plutôt l'ensemble de la procédure, porterait atteinte aux conditions de l'enquête publique. Celle-ci est confiée à un intervenant indépendant, qui agit sous la supervision de la Commission nationale du débat public (CNDP). Depuis l'article 246 de la loi Grenelle II, la CNDP est habilitée à nommer un « garant » chargé d'assurer l'impartialité du processus et la participation du public à la concertation. On ne touche pas impunément à cette construction ancienne et complète de l'enquête publique, sinon pour lui apporter une dernière touche de modernité. Or, la Commission européenne veut enfermer le débat public dans un délai compris entre 30 et 90 jours alors que le droit français comporte une procédure de débat public de quatre mois, voire six mois par décision motivée de la CNDP, puis une phase de concertation avec le public d'un à deux mois en principe et jusqu'à trois mois si le commissaire enquêteur le justifie. En outre, le projet de directive allonge la durée des études d'impact à trois mois, portés à six mois dans les cas complexes, tandis que le décret du 29 décembre 2011 limite le délai de base à 35 jours, les autorités disposant de 15 jours à compter de la réception du dossier pour demander des compléments. Sacrifier le temps consacré à la participation du public pour prolonger les étapes purement administratives est l'inverse du message que l'Europe doit adresser à nos concitoyens.

Troisième et dernier motif d'opposition : le transfert de responsabilité du pétitionnaire vers l'administration. Depuis le décret du 29 décembre 2011, le maître d'ouvrage peut demander à l'autorité compétente sur le fond le cadrage préalable de l'étude d'impact. C'est reconnaître qu'il est fondé à poser des questions aux autorités administratives, notamment sur des points de procédure juridique. La Commission européenne rend obligatoire le cadrage préalable, ce qui engagera l'administration. Or, selon moi, « les solutions de substitution raisonnables en rapport avec le projet proposé et leurs caractéristiques spécifiques », « les éléments environnementaux visés à l'article 3 susceptibles d'être affectés de manière notable » ou encore « les informations à soumettre en rapport avec les caractéristiques spécifiques d'un projet donné ou d'un type de projet » sont du ressort du pétitionnaire. L'inversion des rôles proposée par la Commission européenne est inacceptable. À l'article 8 relatif à la décision d'autorisation, il est même écrit que « l'autorité compétente achève son évaluation des incidences sur l'environnement du projet ». Soit, l'autorité administrative, et non le maître d'ouvrage !

Démonstration est faite qu'il faut revenir sur la réforme envisagée. Le projet de directive ne sera probablement pas purement et simplement enterré, mais nous pouvons espérer écarter des dépenses inutiles à la protection de l'environnement et nuisibles à l'image de l'Europe.

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