Intervention de Agnès Benassy-Quéré

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 février 2013 : 1ère réunion
Institutions européennes — Table ronde conjointe avec la commission des affaires européennes de l'assemblée nationale et avec les membres français du parlement européen sur l'approfondissement démocratique de l'union et l'intégration solidaire avec la participation de mm. jean arthuis daniel cohn-bendit mme agnès bénassy quéré mm. jean pisani-ferry et yves bertoncini

Agnès Benassy-Quéré :

Je voudrais, en vous présentant quelques réflexions d'économiste, tenter d'éclairer un peu ce débat sur l'union budgétaire, qui est souvent très confus.

Il existe, pour simplifier, trois conceptions pour une union budgétaire : une conception allemande, assise sur la centralisation de la décision et le renforcement de la discipline, afin que les règles soient véritablement appliquées ; une conception française, qui insiste sur la mutualisation des dettes nationales, en stock ou en flux - et cette question demeure en filigrane des débats puisque la crise des dettes souveraines n'est pas finie ; les braises étant encore très chaudes ; et enfin une conception plus ambitieuse encore fondée sur un budget propre à la zone euro, qui semble toutefois avoir disparu à peine après avoir été envisagée.

Pour comprendre à quoi pourrait servir un budget de la zone euro, je rappellerai d'abord les trois fonctions de l'action publique : l'allocation, c'est-à-dire la production de biens publics qui ne sont pas produits par le secteur privé et la correction de défauts de marché ; la stabilisation ; la redistribution. Même si l'Union s'y essaye, il n'est pas évident que l'allocation doive se faire au niveau européen ; la stabilité financière est sans doute le sujet qui pourrait le mieux justifier l'intervention de la zone euro, puisque c'est effectivement un bien public. Quant à la stabilisation, pour qu'une action en la matière ne soit pas négligeable, c'est-à-dire pour mener de véritables politiques contracycliques, il faudrait un budget mobilisant plusieurs points de pourcentage de PIB. Enfin, la redistribution, la fameuse « union de transferts », demeure totalement taboue.

Les trois conceptions de l'union budgétaire que je citais ne sont pas exclusives les unes des autres, même si la mutualisation est sans doute exclusive de l'instauration d'un budget de la zone euro.

Ces solutions impliquent toutes un degré supplémentaire de centralisation. Nous disposons déjà d'une centralisation par les règles, que nous pourrions nous contenter d'appliquer strictement : ce serait, sur le plan économique, insuffisant pour envisager une stabilisation ; ce serait tout aussi insuffisant pour aller soit vers la mutualisation, soit vers un budget de la zone euro.

On pourrait aussi imaginer une solution à l'américaine, avec une règle d'or extrêmement stricte, et donc la disparition de filets de sécurité protégeant les États des faillites : cela impliquerait l'existence d'un vrai budget de la zone euro, voté par un Parlement européen dans une formation « zone euro », et donc la mise en place de ressources fiscales propres, par le biais d'un impôt à forte externalité. La difficulté, ce serait la taille de ce budget : sommes-nous prêts à un tel saut fédéral ?

Il existe une solution intermédiaire : une autorité centrale - sur l'identité de laquelle je reste volontairement très floue - pourrait autoriser, pays par pays, des déficits qui seraient financés par des euro-obligations, avec une garantie conjointe des États membres. Les parlements nationaux paient, il est donc normal qu'ils soient impliqués ; mais le Parlement européen assure, en apportant une garantie : il devrait donc être impliqué également.

Toutes ces discussions rencontrent un même obstacle : la règle de non-renflouement. De jure, elle est très stricte, fondée sur l'article 125 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui a suscité de très nombreux commentaires ; la Cour constitutionnelle allemande considère que cet article autorise un renflouement, mais que celui-ci doit être limité en volume et en durée. De facto, toutefois, cette règle est assez lâche : l'engagement de maintenir l'intégrité de la zone euro revient, en réalité, tant que l'on ne peut pas restructurer une dette souveraine, à un engagement de renflouement, direct ou indirect, d'un État qui en aurait besoin.

Dès lors, au lieu de nous trouver systématiquement placés devant le fait accompli et de devoir renflouer des États ex post, nous devrions plutôt nous organiser, en renouant avec un processus d'intégration par étapes. Cela suppose un projet, qui ne saurait se limiter à la suppression de l'article 125. Cela suppose aussi une mise en ordre de la situation des banques. Il faudrait alors imaginer dès maintenant un modèle - États-Unis d'Europe ou autre - vers lequel nous choisirions d'aller, même si le chemin doit être long.

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