Intervention de Jean Pisani-Ferry

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 février 2013 : 1ère réunion
Institutions européennes — Table ronde conjointe avec la commission des affaires européennes de l'assemblée nationale et avec les membres français du parlement européen sur l'approfondissement démocratique de l'union et l'intégration solidaire avec la participation de mm. jean arthuis daniel cohn-bendit mme agnès bénassy quéré mm. jean pisani-ferry et yves bertoncini

Jean Pisani-Ferry :

Trois réformes importantes ont été menées depuis le déclenchement de la crise.

Tout d'abord, un mécanisme de gestion de la crise a été mis en place, alors même que le traité de Maastricht ne reposait que sur la prévention, qui plus est conçue de façon étroite. Il faut souligner que le mécanisme créé est hétérogène par rapport au reste des institutions communautaires : le mécanisme européen de stabilité (MES) est une institution au plein sens du terme, avec un système de gouvernance et de représentation à part ; il faudra donc gérer cette dualité. A cet égard, le travail sur la gestion des crises n'est certes pas fini, mais il a été largement commencé.

Le mécanisme de prévention a également été réformé : il était très insatisfaisant, puisqu'il ne comportait par exemple aucun diagnostic de vulnérabilité. De plus, le traité de Maastricht avait complètement laissé de côté les risques induits par les dettes privées. On a donc construit des mécanismes partiels de prévention, avec un volet macro-prudentiel, qui concerne plutôt les banques centrales, et un volet qui concerne la Commission, avec l'instauration de procédures pour déséquilibre excessif : ces mécanismes n'ont pas encore été testés, mais ici aussi ils existent.

Enfin, une union bancaire se met en place. Ce sera extrêmement important, si le travail est mené jusqu'au bout. L'autorité européenne aura des pouvoirs très larges pour résoudre les crises : elle pourra changer les dirigeants d'une banque, voire fermer un établissement qui aurait failli à l'observation des règles communes. Cela aura de grandes conséquences sociales, mais aussi budgétaires : n'oublions pas que la crise bancaire a coûté à l'Irlande 40 % de son PIB ! A cet égard, Thomas Philippon a judicieusement défini l'union bancaire comme une « union budgétaire hors bilan » grâce à laquelle on mutualise le risque.

Ces trois actions étaient nécessaires ; elles ne sont pas suffisantes.

D'abord, l'ajustement des pays du Sud, très douloureux, est loin d'être achevé, parce que la stratégie européenne a beaucoup trop insisté sur les efforts individuels des pays concernés et pas assez sur une action commune de rééquilibrage.

Ensuite, demeurent des imperfections systémiques. Si l'union bancaire protègera les États des vulnérabilités bancaires, elle compliquera ainsi l'accès des États à leur système bancaire national : c'est un canal de financement privilégié, et très sollicité dans la crise, qui disparaîtra. Comment protégera-t-on alors la capacité d'emprunt d'États surendettés, et donc comment assurera-t-on leur stabilisation ? Je rappelle que les montants des titres de l'État espagnol détenus par les banques sont passés de 70 milliards en juin 2007 à 250 milliards en juin 2011.

En troisième lieu, l'hypothèse d'une union budgétaire a effectivement disparu, et je le regrette. Comme l'a noté Daniel Cohn-Bendit, le budget européen ne remplit pas vraiment de fonction économique : il résulte de négociations politiques. La PAC est aujourd'hui une politique sociale, de plus en plus difficile à justifier comme politique commune : elle pourrait en réalité être ramenée au niveau des États. De même, on peut se demander à quoi sert la politique régionale telle qu'elle est menée, puisqu'elle répond avec nécessité d'un compromis passé il y a maintenant trente ans. La réalité, c'est que nous avons un budget des années 1980, qui se survit sans être jamais réexaminé. En 2005, Jacques Chirac et Tony Blair s'étaient certes mis d'accord pour réanalyser à froid le budget européen ; toutefois, cette analyse n'a jamais eu lieu.

Enfin, quant à la gouvernance, il est vrai - et c'est effectivement un point essentiel - que le système de gestion des crises repose sur les contributions nationales, à la différence des aides apportées aux États non membres de la zone euro, comme la Hongrie ou la Lettonie, qui répondent à une logique communautaire. Le mécanisme européen de stabilité financière (MESF) avait un temps sollicité une - légère - garantie communautaire, mais celle-ci a disparu par la suite.

Une telle logique, assise sur les budgets nationaux, devrait conduire à confier de nouvelles responsabilités aux parlements nationaux, mais alors comment s'organiser ? Si chacun défend son intérêt national, cela ne pourra pas fonctionner. Le seul stimulant encourageant la prise en considération de l'intérêt collectif européen, aujourd'hui, c'est la crise.

Les parlements nationaux doivent en conséquence absolument s'impliquer, mais de façon collective : ne pourrait-on pas imaginer une commission des finances européenne qui réunirait des représentants des parlements nationaux et du Parlement européen, et à laquelle de vraies responsabilités seraient confiées ?

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