Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 mai 2014 à 15h00
Politique de coopération — Relations entre la jordanie et l'union européenne - rapport d'information de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

Certes. La dixième session du Conseil d'association Union européenne Jordanie s'est tenue à Bruxelles le 19 décembre 2012. L'accord d'association signé en 2002 a étendu les échanges commerciaux, qui ont atteint 3,8 milliards d'euros en 2012, dont 342 millions d'euros d'exportations jordaniennes à destination de l'Union. La Commission européenne souhaite désormais l'ouverture de négociations en vue d'un accord de libre-échange complet et approfondi avec le Royaume hachémite. La représentation permanente de l'Union européenne à Amman estime aussi qu'un Partenariat pour la mobilité pourrait être avalisé d'ici à la fin de l'année 2014.

L'engagement européen en Jordanie contraste avec la réalité des échanges et des flux financiers entre ce pays et l'Union européenne, troisième pourvoyeur seulement d'aides au royaume, derrière les pays du Golfe et les États-Unis. Seul un quart des échanges commerciaux du pays se font avec la zone UE. J'insiste cependant sur la mise en place de projets concrets dans un pays dont la survie financière et donc la stabilité dépendent de l'aide extérieure.

L'économie jordanienne est en effet marquée par son extrême dépendance énergétique (95 % de l'énergie est importée) et hydraulique. Du reste, de nombreuses pannes affectent le fonctionnement du pays. Les livraisons de gaz égyptien sont régulièrement interrompues en raison de sabotages dans le Sinaï. Pas étonnant dès lors que la Jordanie soit partie prenante du « plan solaire méditerranéen » (PSM) appuyé par l'Union pour la Méditerranée. Lancé en novembre 2008, il explore les possibilités de développer des sources d'énergie alternatives. L'objectif est d'atteindre une puissance installée totale de 20 gigawatts à horizon 2020, dont 5 à réexporter vers l'Europe. Le Royaume est également associé au consortium européen industriel Desertec, qui prévoit l'exploitation du potentiel énergétique des déserts. Reste que ces projets sont tributaires d'un marché européen de l'énergie encore peu intégré et de l'absence de synergies en la matière entre les pays de la rive sud de la Méditerranée.

La Jordanie est depuis 2013 le troisième pays du monde le plus pauvre en eau : à peine à 133 mètres cubes par habitant et par an. Les ministres en charge de l'eau jordanien, israélien et palestinien ont signé à Washington le 9 décembre 2013 un mémorandum d'accord sur les échanges d'eau entre les trois pays, sous l'égide de la Banque mondiale. C'est la première étape du projet « Mer rouge - Mer morte » destiné à augmenter les ressources en eau de la région tout en tentant de juguler l'assèchement de la Mer morte, en voie de disparition. Le projet a été labélisé par l'Union pour la Méditerranée.

Cette coopération semble se limiter au plan économique et ne trouve pas un réel aboutissement au plan politique. Le « printemps arabe » s'est traduit en Jordanie par un mouvement de contestation populaire généralement pacifique, le hirak. Ces manifestations n'ont jamais été massives, réunissant tout au plus une dizaine de milliers de personnes, mais le mouvement ne s'est jamais totalement arrêté. Quoi qu'il en soit, le processus de démocratisation a été mis en suspens avec l'afflux des réfugiés syriens. Les autorités nous disent qu'il se poursuivra...

Des élections législatives le 23 janvier 2013 ont suivi la dissolution de la chambre des députés par le roi le 4 octobre 2012 et la désignation d'un nouveau premier ministre. Il s'agit du quatrième chef du gouvernement nommé depuis février 2011. Mais le mode de scrutin mis en place par la réforme électorale de juillet 2012 n'a pas permis une véritable recomposition politique. Il limite de fait l'influence des partis, représentés seulement par les 27 sièges pourvus à la proportionnelle, sur 150 au total. Le découpage des circonscriptions tend à renforcer à la fois le poids des zones rurales et des notables, pas forcément liés à un parti ; il favorise les Transjordaniens, au détriment des Jordaniens d'origine palestinienne, naturalisés avant 1991. « L'argent politique », selon la formule utilisée au sein des médias jordaniens, reste l'une des clés pour analyser le scrutin, ainsi que la lutte entre les Transjordaniens de souche et les Jordaniens d'origine palestinienne.

Le Premier ministre a été reconduit par le Roi après les élections législatives, au terme d'une consultation du parlement, ce qui est une première. Cependant le gouvernement actuel reste principalement composé de technocrates fidèles au monarque. La cour semble se méfier d'un parlement sur lequel son emprise faiblit et qui est aujourd'hui moins sensible au discours du Roi qu'aux revendications de la rue, par exemple les manifestations de novembre 2012 contre l'augmentation des prix de l'énergie. Les partis leaders de la contestation en 2011 sont affaiblis, divisés sur la question syrienne ou fragilisés par les événements en Égypte.

Le discours du Trône, prononcé le 5 novembre 2013, a insisté sur l'ambition du Royaume de devenir un modèle de réforme à l'échelle régionale. Ce qui passe notamment par la mise en place d'un gouvernement parlementaire, facilitée par une révision des lois sur les partis politiques et les élections. Le Roi a lancé en décembre 2013 le « système national d'intégrité » destiné à renforcer la liberté d'expression, l'indépendance de la justice, la transparence des décisions publiques et la lutte contre la corruption. Il s'agit de rendre concrète la « révolution blanche » voulue par le monarque. Mais plusieurs initiatives semblables, lancées en 2002, en 2005 puis en 2011, n'avaient débouché sur aucun résultat tangible, en matière de lutte contre la corruption notamment. La société civile se montre très réservée sur l'ambition affichée. La révision de la Constitution est ainsi comparée par certains à une réforme en trompe l'oeil, consentie sous l'effet de pressions internes et externes. Ce décalage entre les annonces et la réalité de la démocratisation est particulièrement net dans le cas de la presse, malgré une véritable libération de la parole visant notamment le régime mais aussi la famille du Roi.

Les organisations civiques s'interrogent par conséquent sur la mise en oeuvre en Jordanie du principe more for more, qui soumet aux réformes démocratiques l'augmentation des crédits européens de la politique de voisinage.

Mais la guerre civile en Syrie constitue pour l'heure la principale menace sur la poursuite du processus de démocratisation. En dépit de critiques parfois vives, le Roi demeure la clé de voûte de la sécurité et de la stabilité de la Jordanie. Les exemples de l'Égypte et de la Tunisie pourraient néanmoins inciter à une relance du processus de démocratisation... L'Union européenne a là un rôle à jouer, dans ce pays mais aussi dans cette région.

Ces sujets n'avaient jamais été véritablement abordés dans notre commission, sinon au travers de comptes rendus d'activité de notre représentant à l'Assemblée de l'Union pour la Méditerranée. Les choses avancent doucement, sous la double pression d'internet et de la société civile ; les jeunes sont désormais en contact, via internet, avec la société mondiale. L'Union européenne joue un rôle positif, ne serait-ce que par son soutien aux ONG. Ces organisations s'occupent notamment de la place des femmes dans les sociétés de la région, dans le cadre d'un programme financé par l'Union européenne ou du programme Spring. La situation difficile de la Jordanie tient surtout à son environnement régional immédiat : elle a pour voisins l'Irak, la Syrie, Israël et l'Égypte. Si bien qu'elle pourrait s'appliquer à elle-même la formule bien connue : « Quand je m'examine, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure ».

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