Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 janvier 2016 à 9h35
Institutions européennes — Royaume-uni et union européenne - rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mme fabienne keller

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

L'ambiance de travail a été excellente. Les auditions et les entretiens que nous avons eus à Bruxelles et à Londres nous ont confortés dans la conviction que le Royaume-Uni et l'Union européenne travaillent avec sincérité et détermination à la recherche d'un compromis. Nous en avons également retiré la certitude qu'un accord serait prêt début février et qu'il serait débattu et sans doute adopté mi-février. Pour l'heure, ses contours restent flous. En principe, le 1er février, onze personnes qui négocient en secret cet accord - cinq pour le Royaume-Uni, six pour l'Union européenne, tous hauts fonctionnaires, conseillers spéciaux ou juristes - rendront un non paper, qui sera examiné dans les capitales européennes et qui fera l'objet d'un débat au Conseil européen des 18 et 19 février. Deux réunions auront été auparavant organisées, les 5 et 11 février, au niveau respectivement des sherpas et des ambassadeurs - pour nous, M. Philippe Léglise-Costa et M. Pierre Sellal. Le sentiment à Bruxelles est que l'accord donnera satisfaction aux deux parties et qu'il sera adopté.

Comme nous ne connaissons pas encore les termes du compromis, je vous propose que nous veillions aujourd'hui à ne pas ôter de la force à la négociation en cours. Nous sommes tous d'accord pour affirmer que nous souhaitons le maintien du Royaume-Uni dans l'Union. C'est la position du Gouvernement. C'est la nôtre. Reste à déterminer jusqu'où nous pourrons aller dans ce qui nous apparaît comme des concessions ou des exceptions. Il ne s'agit pas pour nous d'une option politique : nous ne souhaitons pas cet accord pour aider M. Cameron à calmer le jeu dans son propre parti ou face à une opinion majoritairement eurosceptique. Non, ce que nous souhaitons, c'est le succès du Royaume-Uni au sein de l'Union, et donc le succès de la négociation et celui du référendum.

Cette prise de position nous conduit naturellement à être très prudents. En effet, nous ignorons quasiment tout des progrès de la négociation et des solutions trouvées. Nous devons donc plus modestement, en tant que parlementaires nationaux, nous rappeler les limites juridiques au sein desquelles doit se faire la négociation. C'est le sens de la proposition de résolution européenne que nous vous soumettrons.

Le Royaume-Uni demande la non-discrimination entre les membres de la zone euro et les non-membres. La zone euro doit disposer des instruments de son intégration. Le Royaume-Uni le comprend, mais il exige que les intérêts de ceux qui n'ont pas adopté l'euro ne soient pas menacés par le renforcement inéluctable de la zone euro, ce qui ne manquerait pas de se produire si les règles européennes étaient élaborées seulement par et pour le bloc de la zone euro, qui est majoritaire. Il souhaite donc qu'il soit précisé que l'euro n'est pas la seule devise de l'Union européenne, et demande que la participation des États membres n'ayant pas adopté l'euro à toute action monétaire ou bancaire reste facultative. Enfin, il considère que le budget de l'Union ne doit jamais servir à la politique monétaire sans qu'il y ait compensation pour les pays hors de l'euro.

Sur ces demandes, nous émettons les plus grandes réserves : prendre acte officiellement du fait que plusieurs monnaies circulent au sein de l'Union est une façon de s'opposer au projet européen vers lequel tendent les traités, puisque l'euro a vocation à devenir la monnaie de tous les États membres. En outre, la mise en oeuvre d'un compromis pour protéger les intérêts de la minorité non-membre ne doit en aucun cas entraver la plus forte intégration de la zone euro, intégration absolument nécessaire au succès d'une monnaie unique, ni porter atteinte à l'autonomie de décision de la zone euro.

Le Royaume-Uni souhaite un marché unique des capitaux, un marché unique du numérique et un allègement des charges sur les entreprises afin d'assurer la compétitivité et le retour à la croissance.

Sur ce chapitre, la grande majorité des États membres sont prêts à lui emboîter le pas, et la demande britannique sera aisément acceptée en combinant le programme d'approfondissement du marché unique pour les capitaux, le numérique, l'énergie et les services, avec le projet d'intégration renforcée de la zone euro. Ce compromis prendrait acte de l'existant en l'améliorant, pour aboutir à un vaste marché intérieur approfondi au sein duquel on trouverait un sous-ensemble constitué d'une zone économique et monétaire enfin réalisée.

Le Royaume-Uni propose de mettre un terme à la désaffection qui entoure l'Union européenne et son projet en rétablissant la souveraineté des États membres et en renonçant aux mots « Union toujours plus étroite », qui conduiraient au fédéralisme, dont certains États ne veulent pas.

Ce principe étant l'un des principes fondateurs du projet européen, il semble inenvisageable d'y renoncer.

Le projet britannique consiste aussi à refonder la légitimité de l'action européenne en renforçant le rôle des parlements nationaux. Il donnerait à une majorité qualifiée - qui resterait à définir - de parlements nationaux la possibilité de repousser les projets législatifs émanant du Conseil ou de la Commission, ce qui constituerait un véritable « carton rouge ».

Devons-nous aller jusque-là et remettre en cause l'article 5 du Traité sur l'Union européenne, qui fixe le partage des compétences ?

Les traités précisent que l'action des parlements nationaux est assurée au moyen du contrôle de subsidiarité, sans qu'ils participent autrement à l'élaboration de la législation européenne. Si l'idée d'un veto semble exclue, il conviendrait sans doute de veiller à une meilleure association des parlements nationaux au processus de décision européen, notamment sous la forme d'un véritable droit d'initiative, qui serait une sorte de « carton vert ».

Le Royaume-Uni souhaite que le principe de subsidiarité soit appliqué strictement, c'est-à-dire que ne soit transféré au niveau européen que ce qu'il faut y transférer absolument. Il s'agirait d'un renversement copernicien puisqu'aujourd'hui, on commence par le projet d'intervention émanant de Bruxelles et on examine superficiellement s'il respecte le principe de subsidiarité. Dans la logique britannique, on ne doit transmettre à Bruxelles que ce que les États jugent ne pas pouvoir faire mieux eux-mêmes.

Nous estimons que les parlements nationaux peuvent parfaitement agir et veiller au respect d'un bon équilibre entre le niveau national et le niveau européen, en particulier en utilisant pleinement les outils que leur confèrent les traités. On voit mal comment aller à l'encontre de l'esprit des traités.

Enfin, bien qu'il soit favorable au principe de la libre circulation des personnes au sein de l'Union dans une économie ouverte, le Royaume-Uni considère que les pressions que le flux migratoire fait peser sur lui depuis 2004 sont devenues intolérables : le solde net migratoire annuel s'établissait à 336 000 personnes au 25 novembre 2015, et il s'élève en moyenne à 240 000 personnes depuis 2004. Pour limiter l'entrée de nouveaux candidats, le Premier ministre demande un aménagement du principe de libre circulation des personnes et estime qu'un délai de quatre ans doit être instauré avant que les travailleurs étrangers bénéficient des allocations liées à l'emploi, à savoir le complément de salaire sous forme d'impôt négatif, l'aide personnalisée au logement et les allocations familiales.

Si nous comprenons que la situation est très tendue dans les services publics britanniques et que les capacités d'accueil sont arrivées à saturation, nous jugeons de notre devoir de réaffirmer avec solennité les principes de libre circulation des personnes et d'égalité de traitement des travailleurs. Toutefois, il est sans doute possible d'adopter des mesures dans le cadre du droit dérivé, notamment en cas de circonstances exceptionnelles, mais la marge de manoeuvre ne saurait être que très étroite.

Il serait illusoire de penser que les réformes proposées par le Royaume-Uni, au cas où elles seraient adoptées, puissent passer par le mécanisme extrêmement lourd de la révision des traités. C'est pourquoi les juristes de l'Union recherchent un compromis qui exclut une modification des traités. Une fois le compromis trouvé et accepté, M. Cameron annoncera la date du référendum. Si tout se passe comme prévu, il devrait se tenir le 23 ou le 30 juin prochain. Il ne se présente pas sous de trop mauvais auspices, puisque M. Cameron prendra la tête de la campagne pour le maintien. Il apparaît comme l'homme de la situation. C'est un communicant clair et déterminé. Même s'il ne jouit pas d'une popularité personnelle exceptionnelle, il dispose d'une majorité silencieuse qui lui est acquise et d'un autre atout : l'opinion britannique est convaincue qu'il est à sa place et qu'il sait ce qu'il fait. Naturellement, il y a d'énormes risques politiques et conjoncturels.

Si le Parti conservateur, majoritairement eurosceptique, se rebelle officiellement et place à la tête de la campagne en faveur du Brexit une figure emblématique comme M. Johnson, maire de Londres, capable de faire contrepoids à M. Cameron, la situation deviendrait aussitôt plus difficile. L'autre risque politique majeur est la position de M. Corbyn, chef du Parti travailliste, qui ne fera pas une campagne très active pour le maintien. C'est pourquoi on songe à mettre en avant un travailliste plus classique ou plus charismatique, M. Johnson, mais nul ne peut dire si cela sera suffisant pour faire le plein des voix travaillistes en faveur de l'Europe.

Enfin, le résultat du référendum peut être influencé par la conjoncture et, plus particulièrement, comme nous l'ont dit nos interlocuteurs, par les conséquences d'une crise majeure qui impliquerait l'Union européenne, comme par exemple une nouvelle crise grecque, une nouvelle attaque terroriste, une nouvelle vague migratoire ou une reprise des hostilités en Ukraine. Bref, l'issue du référendum reste incertaine, malgré les assurances que nous ont données à Londres la presse et les instituts de sondage. Je vous présenterai une analyse plus fine des risques et des enjeux du référendum après la publication de la décision du Conseil européen.

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