J'ai déjà évoqué à deux reprises devant la commission la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, présentée par la Commission européenne en juillet 2008. Le 28 février dernier, cette proposition a achevé son parcours législatif. J'ai souhaité à cette occasion faire un point sur les développements intervenus et vous présenter les grandes lignes de la nouvelle directive qui devra être transposée par les États membres, en théorie, avant la fin de l'année 2013.
Je rappellerai brièvement, en préambule, les enjeux que comportait la proposition de directive lorsqu'elle a été présentée par la Commission.
L'objectif principal pour la Commission était de mettre fin à l'incertitude juridique liée à la coexistence de deux voies de remboursement pour les patients soignés dans un État membre autre que celui de leur organisme social d'affiliation : la première, datant de 1971, a été établie par le règlement de coordination des régimes de sécurité sociale des États membres ; la seconde, plus récente, résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE).
Dans les deux cas, c'est le système de protection sociale auquel est affilié le patient qui est censé prendre en charge, en partie ou en totalité, le remboursement des soins reçus à l'étranger ; la Cour de justice a toutefois introduit une différence de taille par rapport au règlement : selon elle, sauf exception, il n'y a nul besoin d'obtenir une autorisation préalable de l'assurance maladie de l'État d'affiliation pour avoir droit au remboursement de soins de santé programmés. La Cour de justice considère en effet l'autorisation préalable comme « une entrave injustifiable à la liberté de circulation des marchandises et des services » (arrêts Kohll et Decker - 28 avril 1998).
L'intention de la Commission dans sa proposition de directive était de codifier cette jurisprudence de la Cour de justice.
La proposition de la Commission comportait également des dispositions visant à garantir, dans tous les États membres, la qualité et la sécurité des soins, ainsi que des mesures favorisant la coopération entre États membres pour la prestation de soins de santé transfrontaliers.
Je vous avais indiqué combien l'élaboration de cette proposition par la Commission avait été longue et compliquée. Sa présentation fut ainsi reportée à plusieurs reprises en raison de dissensions au sein du collège des commissaires. Des difficultés du même ordre sont apparues au cours de l'examen de la proposition par le Conseil et le Parlement européen.
Les premiers travaux au sein du Conseil ont été conduits par la présidence française de l'Union européenne durant le second semestre 2008. Très vite, les discussions ont mis en évidence des réserves de fond de la part de la quasi totalité des États membres. La majorité d'entre eux ont notamment estimé qu'il était indispensable que le remboursement de soins fournis dans un autre État membre reste conditionné à une autorisation préalable établie au niveau national. La recherche de l'équilibre financier des systèmes de sécurité sociale et la planification de l'offre de soins sont des aspects fondamentaux pour les États membres. Il était donc indispensable, à leurs yeux, de pouvoir continuer de maîtriser les flux de patients.
Les projets d'accord élaborés par les présidences successives ont tous maintenu cette exigence, allant en cela à l'encontre de la position de la Commission. Il n'a pas été aisé pour autant de dégager une position commune au sein du Conseil car les négociations entre États ont achoppé sur d'autres points (la question des retraités établis à l'étranger, les prestataires de soins non conventionnés). Ce n'est qu'en juin 2010 que les obstacles ont fini d'être levés, sous présidence espagnole, ouvrant ainsi la voie à une négociation avec le Parlement européen et la Commission, dans le cadre de trilogues.
Au sein du Parlement européen, c'est la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire qui était pilote, sept autres commissions ayant par ailleurs formulé des avis. John Bowis, ancien ministre de la santé britannique, rapporteur désigné au fond, en première lecture, a été remplacé après son départ du Parlement européen par notre compatriote, Françoise Grossetête.
Le Parlement a adopté une position différente de celle du Conseil sur la question de l'autorisation préalable. Il n'en a toutefois pas remis en cause le principe, cherchant plutôt à limiter son application aux soins hospitaliers ou spécialisés et à encadrer strictement les conditions de son refus, face à la volonté des États de ne pas motiver leur décision. Il a ainsi pris ses distances avec la Commission qui visait à faire de l'autorisation préalable une procédure vraiment exceptionnelle.
Les positions du Conseil et du Parlement européen ont paru longtemps inconciliables, notamment en ce qui concerne l'encadrement de l'autorisation préalable. Les deux institutions sont toutefois parvenues à un compromis le 15 décembre 2010. Les députés l'ont approuvé en séance plénière le 19 janvier 2011 ; le Conseil a clos la procédure en l'entérinant le 28 février.
Quel est le résultat final des négociations entre le Conseil et le Parlement ?
Tout d'abord, retenons que la nouvelle directive fixe un principe général selon lequel les citoyens européens pourront être remboursés par leur système national pour des soins reçus dans un autre État membre, à hauteur du remboursement prévu par ce système national pour un traitement similaire (sans que cela dépasse les coûts réels des soins de santé reçus).
La directive reconnaît toutefois aux États la possibilité de limiter l'application de ces règles pour des « raisons impérieuses d'intérêt général », telles que la planification de l'offre de soins sur leur territoire ou le risque d'un déséquilibre financier au sein du système de protection sociale.
De plus, les États sont en mesure de mettre en place un régime d'autorisation préalable pour les soins de santé nécessitant un séjour de nuit à l'hôpital ou le recours à des infrastructures ou équipements médicaux spécialisés et coûteux. Toutefois, les députés européens ont obtenu que tout refus soit clairement motivé. Ainsi, l'article 8 de la directive prévoit que les États ne pourront refuser une autorisation que dans quatre cas précis : (1) l'existence de risques pour l'état de santé du patient en cas de déplacement ou (2) de risques pour le grand public (par exemple, en cas d'épidémie) ; (3) si la qualité et la sécurité des soins fournis par le prestataire envisagé sont mises en doute (par exemple, survenance de maladies nosocomiales) ; (4) enfin, si les soins peuvent être fournis par l'État membre d'affiliation dans un délai raisonnable pour le patient, en regard de son état de santé du moment et de l'évolution probable de sa maladie.
Élément important, les soins de santé soumis à autorisation préalable feront l'objet d'une liste établie au niveau national, et non par la Commission européenne comme il en était question au début.
Les soins de santé courants ne nécessiteront pas d'autorisation préalable ; il suffira au patient de s'adresser à son système de protection sociale qui lui remettra un document lui permettant de se faire soigner dans un autre État membre et d'être remboursé. Parallèlement à ces dispositions, le régime de la carte européenne d'assurance maladie continuera à s'appliquer pour les citoyens qui ont besoin de soins d'urgence lors d'un séjour dans un autre État membre.
En ce qui concerne le remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers, la directive adoptée propose une avancée intéressante par rapport au projet initial de la Commission. Celui-ci prévoyait en effet que le patient avance les fonds au prestataire de soins, puis soit remboursé ultérieurement par la caisse de son État d'affiliation. Cette solution posait de sérieux problèmes d'équité comme je l'avais souligné dans mon rapport en 2009. Aujourd'hui, la directive offre également la possibilité aux États d'affiliation d'organiser le paiement direct des prestataires de soins étrangers. La mise en application d'une telle option devra s'appuyer sur des accords bilatéraux entre États membres, voire sur les mécanismes d'indemnisation en oeuvre dans le cadre du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale. Si cette option n'est pas retenue, la directive prévoit que le remboursement des patients devra s'effectuer dans un « délai raisonnable ».
En matière de remboursement, deux questions spécifiques ont fait débat au sein du Conseil, comme je l'évoquais tout à l'heure : celle des retraités résidant dans un autre État membre et celle des prestataires de santé non conventionnés.
La question du remboursement des soins transfrontaliers reçus par des retraités résidant dans l'Union européenne hors de leur État d'origine a suscité des inquiétudes chez les États membres du Sud - Espagne en tête - qui en raison de l'attractivité de leur territoire accueillent de nombreux pensionnés européens. Craignant de devoir supporter une charge financière supplémentaire, ils ont obtenu que les soins des pensionnés, lorsqu'ils retournent en séjour dans leur État d'origine, soient bien pris en charge par ce dernier. En revanche, c'est l'État de résidence du retraité qui remboursera les soins reçus dans un État membre différent de l'État d'origine.
Des inquiétudes ont été également exprimées sur le remboursement des soins administrés dans des établissements privés non conventionnés. Sur ce sujet, malheureusement, aucune solution satisfaisante n'a pu être trouvée. Les États ont néanmoins convenu qu'ils pourraient ne pas rembourser de tels soins, s'ils faisaient valoir que les traitements « soulèvent des préoccupations graves et spécifiques liées à la qualité ou à la sûreté des soins », soit l'une des situations pouvant justifier que l'État d'affiliation exige une autorisation préalable. Il y a fort à craindre toutefois qu'un tel jugement de valeur donne lieu à de nouvelles contestations en justice.
Outre le règlement de la question du remboursement des soins de santé transfrontaliers, la directive comporte des dispositions sur l'information des patients et sur la reconnaissance des prescriptions établies dans un autre État membre :
- Chaque État devra désigner un point de contact national - un guichet unique, en quelque sorte - en vue d'une part, d'informer et d'orienter les patients qui envisagent de se faire soigner à l'étranger et, d'autre part, de fournir aux patients des autres États membres des informations concernant les normes de sécurité et de qualité appliqués sur son territoire afin que ces patients puissent faire un choix en toute connaissance de cause.
- La directive pose le principe selon lequel une ordonnance délivrée dans l'État de traitement devra être acceptée dans n'importe quel État membre de l'Union où le patient a sa résidence, sans préjudice des dispositions nationales sur la prescription et la délivrance des médicaments. Des outils devront être mis en place afin de permettre aux pharmaciens de comprendre les ordonnances établies dans un autre État membre (par exemple, pour faciliter l'identification des médicaments dont les noms peuvent varier d'un État à un autre).
Enfin, la directive cherche à favoriser, sans se faire contraignante, la coopération des États en matière de soins de santé. Outre la coopération dans les régions transfrontalières, elle vise les domaines suivants :
- la « santé en ligne », notamment afin de permettre à terme la consultation des dossiers des patients d'un État à un autre ;
- la création de réseaux européens de référence qui regrouperont, sur une base volontaire, des prestataires de soins de santé et des centres d'expertise. Ils ont pour vocation de travailler au développement de soins de santé hautement spécialisés (en particulier dans le domaine des maladies rares), de promouvoir l'établissement de normes de qualité et de sécurité et de contribuer à la définition et à la diffusion de bonnes pratiques.
A l'issue de ce long processus législatif, je crois que nous pouvons nous réjouir que le projet de la commission ait été amendé dans un sens garantissant un meilleur respect du principe de subsidiarité et des compétences des États membres.
La directive réalise ainsi un équilibre subtil entre la mobilité des patients et la nécessaire sauvegarde des systèmes nationaux de protection sociale, qui écarte le risque d'un développement du tourisme médical.
Nous pouvons toutefois nourrir le regret d'avoir aujourd'hui deux législations applicables en matière de remboursement des soins transfrontaliers. Car, à côté de la directive, le cadre réglementaire existant pour la coordination des régimes de sécurité sociale reste applicable. Selon les cas, un patient pourra donc être remboursé soit en fonction du règlement, soit en fonction de la directive. Si les institutions européennes assurent que les deux systèmes fonctionneront de manière cohérente, il me semble indispensable à l'avenir dans un souci de simplification pour les patients et les administrations de remédier à cette situation en regroupant l'ensemble des dispositions dans un texte unique.
Enfin, on peut aussi regretter que le texte ne nourrisse pas de plus grandes ambitions quant à la qualité des systèmes de santé des États membres mais c'est un sujet délicat à aborder compte tenu du fait que les États conservent la pleine compétence dans ce domaine.