Intervention de Jérôme Cahuzac

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 mars 2011 : 1ère réunion
La réforme de la gouvernance économique européenne et le pacte pour l'euro rencontre avec les membres français du parlement européen en commun avec la commission des affaires européennes de l'assemblée nationale

Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale :

Messieurs les présidents, chers collègues, les États et les banques sont liés par un « pacte fatal » révélé par la crise financière, qui a plongé les premiers dans une crise des finances publiques comme le continent n'en avait pas connu depuis la grande crise de 1929. On l'a vu dans le lien entre les États et les banques, car la faillite de la Grèce aurait précipité la faillite de nombreux établissements bancaires, mais on le voit également aujourd'hui avec l'Irlande, et peut-être demain avec l'Espagne : la faillite d'une partie de l'économie et, en tout cas, du secteur bancaire, peut mettre un pays à genoux.

Les marchés n'ont pas joué en fait de rôle stabilisateur, considérant qu'au sein de la zone euro tous les États devaient bénéficier de taux d'intérêt sinon identiques, du moins très comparables, alors même que les économies de la Grèce et de l'Allemagne - pour prendre l'exemple de deux extrêmes - avaient peu à voir en termes de respect ne serait-ce que des traités signés par chacun de ces deux pays.

L'équilibre fondé à la fois sur la supposée pertinence des marchés et sur les engagements des États à respecter certaines normes en termes de stock de dettes rapporté au produit industriel brut ou de déficit public annuel, s'est révélé illusoire et, en réalité, d'une très grande instabilité dès lors que la crise survenait.

Dans l'urgence, les États ont su réagir de différentes façons : d'abord, par une interprétation, que je qualifierai de pragmatique, des principes du Traité de l'Union européenne puisque, en dépit de la clause l'interdisant, les dettes souveraines ont été rachetées - certes, sur le marché secondaire - par la Banque centrale européenne (BCE), cette dernière veillant ultérieurement à ne pas laisser sur le marché européen un niveau de monnaie lui paraissant compromettre son objectif en matière d'inflation ; ensuite, par la mise en place de plans de soutien à la Grèce et à l'Irlande ; enfin, par la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF).

Pour autant, plusieurs questions se posent.

Pendant combien de temps pourra-t-on supporter le fait que l'appréciation du Fonds européen de stabilité financière par les agences de notation dépende de celle qu'elles-mêmes portent sur les États constituant les garanties du Fonds ? Ce dernier ne dispose en effet de la meilleure des notations qu'à concurrence des garanties des cinq États les mieux notés, ce qui a d'ailleurs contraint ces derniers à augmenter le niveau du Fonds afin que celui-ci puisse faire face à ses éventuelles obligations.

Une autre question tient à la poursuite ou à l'arrêt du rachat de la dette des États en difficulté par la BCE. Chacun sait que celle-ci ne souhaite pas persévérer dans cette politique, même si les États semblent demander le contraire. On peut même s'interroger sur la possibilité qui lui serait offerte de racheter non seulement sur le marché secondaire, mais également sur le marché primaire - la différence entre la BCE et le FESF étant que la première dispose de fonds illimités et a la possibilité de « casser les reins » à la spéculation, qui se fait non contre l'euro, mais contre les CDS attachés aux titres de dette souveraine de chaque État. En effet, il ne sera pas possible pour l'Europe de compenser les effets d'une prophétie autoréalisatrice que l'on a déjà vu se concrétiser dans au moins deux cas - le troisième sera probablement le Portugal -, à savoir une anticipation par les marchés d'une crise de solvabilité pour justifier la crise de liquidité conduisant les États à se substituer à celui qui est a priori considéré comme défaillant.

Par ailleurs, l'aide apportée par les États ne doit pas être considérée comme une punition. Soit on aide un État, soit on le punit, mais je ne crois pas que l'on puisse poursuivre les deux objectifs à la fois : aider cet État à résoudre sa crise de liquidité pour ne pas connaître une crise de solvabilité et, en même temps, lui imposer des taux d'intérêt qu'objectivement il ne pourra respecter du fait de son taux de croissance économique.

Ces questions étant éventuellement réglées, restera d'abord celle des euro-obligations. Celles-ci ne peuvent s'envisager que lorsque d'autres procédures de discipline auront été mises en place : les eurobonds ne doivent pas être le moyen pour certains États d'échapper à un assainissement indispensable de leurs finances publiques, même si l'on sait aussi que cet assainissement ne peut s'opérer dans des conditions qui se révéleraient inacceptables pour les populations concernées.

La modification du pacte de stabilité et de croissance, à laquelle Pierre Lequiller a fait allusion, est aujourd'hui discutée. Le « pacte pour l'euro plus » a rencontré dans un premier temps des succès divers puisque, quand M. Van Rompuy estimait préférable de fixer des objectifs aux États plutôt que les moyens de les atteindre, la France et l'Allemagne convenaient d'indiquer les sujets sur lesquels les États auraient des réformes structurelles à entreprendre, telle que la réforme des retraites ou la désindexation des salaires sur l'inflation. On peut se demander si la vision de M. Van Rompuy n'est pas plus pertinente et s'il ne faut pas laisser aux États le soin de choisir les meilleurs moyens pour atteindre un objectif plutôt que d'imposer à tous une recette jugée universelle, mais néanmoins perçue parfois comme contestable par les populations concernées.

Enfin, une question ne peut être éludée : comment faire porter aux investisseurs et aux établissements financiers qui ont largement bénéficié - ce qui est peu dire - des interventions des États, une partie de la charge des ajustements budgétaires qui résultent de la crise financière et économique ? Autrement dit, est-ce seulement aux populations à assumer le coût - exorbitant à l'occasion - de ces ajustements budgétaires, ou n'est-ce pas aussi aux investisseurs d'accepter que les gains envisagés ne soient pas exactement ceux espérés, bref de participer ? Le seul moyen qui pourrait en l'espèce être utilisé est celui de la fiscalité, par la taxation soit des bénéfices, liée au retour à meilleure fortune, soit des transactions financières, dès lors que les mesures seraient prises à un niveau pertinent, c'est-à-dire au moins binational - chacun sait qu'une initiative, non pas franco-allemande, mais entre certains partis de gouvernement allemands et français, fait l'objet d'une réflexion.

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