Nos collègues Michel Billout et Éric Bocquet, avec leurs collègues du groupe CRC, ont déposé une proposition de résolution européenne le 29 septembre qui actualise, en s'y substituant, une précédente proposition. Elle évoque l'accord entre l'Union européenne et le Canada et l'actualité la plus récente puisque le Premier ministre est en ce moment à Ottawa pour finaliser l'accompagnement de l'accord.
L'exposé des motifs de cette résolution, tout en prenant en considération l'avancée qu'est la nouvelle modalité de règlement des différends entre investisseurs et États, relève un certain nombre d'interrogations persistantes, aux yeux de ses auteurs, dans l'accord négocié.
Ces inquiétudes concernent certains aspects de ce nouveau mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États, ainsi que l'impact de l'ouverture des marchés sur le secteur de l'élevage et plus largement sur le secteur agricole, avec un questionnement sur les indications géographiques (IG).
Surtout, les auteurs de la proposition s'opposent à la mise en oeuvre provisoire de l'accord avant que les parlements nationaux se soient prononcés.
Les acquis de l'accord sont réels, avec des ouvertures réciproques significatives, à des années-lumière de la fausse ouverture qu'a été la négociation, aujourd'hui bloquée, du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (en anglais TTIP). Ainsi du démantèlement progressif des droits de douane qui interviendra dès la mise en oeuvre de l'accord, certains produits bénéficiant de délais pouvant aller jusqu'à sept ans. La baisse consentie par le Canada est supérieure à 90 %. Qui plus est, les importations canadiennes se feront à des niveaux d'exigence sanitaire et environnementale européens inchangés, sur la base de normes susceptibles d'être renforcées si l'Union européenne devait en décider ainsi. L'Union ne s'est pas lié les mains pour l'avenir.
Sur le plan agricole, l'accord prévoit la levée de barrières non-tarifaires qui pénalisent nos exportations. En matière sanitaire et phytosanitaire, la mise en oeuvre du principe d'équivalence permettra aux entreprises françaises de bénéficier de démarches administratives simplifiées dans le cadre de la convergence réglementaire.
Le Canada a accepté l'importation d'un quota annuel de 17 700 tonnes de fromages exempts de droits de douane et de 800 tonnes de fromages à droit quasiment nul - ces droits, rappelons-le, sont très élevés aujourd'hui.
En contrepartie, l'Union européenne a octroyé un quota annuel de viande canadienne de boeuf sans hormones de 45 840 tonnes, qui s'ajoute à un contingent existant de 4 160 tonnes ; à cela s'ajoute un contingent annuel de 75 000 tonnes de porc et de 8 000 tonnes de maïs doux.
Pour les services, l'accord présente de fortes opportunités pour les entreprises françaises dans ce secteur qui représente un enjeu offensif. L'ouverture du Canada aux entreprises de services se fera tant au niveau fédéral qu'à celui des provinces : c'est un élément important, au vu de l'argument, avancé à propos du TTIP, selon lequel la position de l'État fédéral américain n'engage pas celle des États fédérés. Pour autant, les services publics des États membres, comme les choix souverains de privatiser ou de nationaliser tels ou tels secteurs, ne seront pas touchés : voilà qui répond à l'une des préoccupations de nos collègues.
Le choix de négocier sur des listes négatives - tous les secteurs sont ouverts sauf ceux qui sont explicitement hors de l'accord - a pu soulever des inquiétudes. Pour autant la France, comme les autres États membres et l'Union elle-même, ont listé une série de réserves et d'exceptions qui préservent notamment l'éducation, la santé, la sécurité, les monopoles publics et les services publics en général. Gardons-nous des mauvaises querelles à l'égard de ce système caractérisé par sa visibilité : les exceptions reprennent les lignes rouges défendues par notre pays.
La convergence réglementaire entre l'Union européenne et le Canada sur de nombreux secteurs favorisera les PME - et probablement aussi les grandes entreprises - que décourageait jusqu'alors la multiplication de procédures longues et coûteuses.
Au regard des inquiétudes et des impatiences que peuvent inspirer les laborieuses négociations du Traité transatlantique, l'accord avec le Canada apporte des avancées importantes sur au moins trois autres points.
D'abord, l'accès aux marchés publics canadiens, tant au niveau de l'État fédéral qu'à celui des provinces, est élargi : la part des marchés publics canadiens ouverte aux opérateurs de l'Union européenne pourrait passer de 10 % à plus de 30 %. Nous sommes très loin de la complète fermeture qui a marqué les négociations du TTIP.
Ensuite, 42 indications géographiques (IG) françaises sont reconnues ; la prise en compte de toutes nos IG, souhaitée par nos collègues auteurs de la proposition, n'aurait pas été véritablement pertinente parce que tous les produits français sous IG ne sont pas exportés vers le Canada ; de plus, les IG protégées dans l'accord ont été sélectionnées pour leur degré d'exposition à des risques d'usurpation, dans un choix concerté avec les opérateurs. Ainsi la France obtient, sur le principe, une reconnaissance juridique de ses IG dans des territoires anglo-saxons, où le droit des marques s'imposait traditionnellement ; mais aussi, sur le fond, la possibilité d'élargir ou de réduire la liste.
Enfin, l'accord intègre la nouvelle mouture du système de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), devenu ICS (Investment Court System). L'arbitrage posait problème à certains d'entre vous, bien que Paris soit la première place mondiale pour cette activité. Ce changement de nom recouvre une nouvelle ambition et de nouvelles exigences : la réaffirmation claire du droit souverain des États à réguler, la professionnalisation des arbitres dont la désignation n'est plus à la latitude des parties, le mécanisme d'appel et bientôt l'institutionnalisation d'une Cour permanente commerciale.
Nos collègues, à ce sujet, s'interrogent sur quatre points : les modalités encore non précisées du mécanisme d'appel ; le risque de contournement juridique de la nouvelle procédure ; la durée de la mise en oeuvre de l'ICS ; et enfin la notion d'expropriation indirecte.
L'existence et le mandat d'un tribunal d'appel sont d'ores et déjà actés par l'accord, qui contient aussi des dispositions robustes prémunissant les États contre les plaintes abusives d'investisseurs étrangers. De plus, l'ICS étant exclu du champ d'application provisoire de l'accord, sa mise en oeuvre ne pourra intervenir qu'après ratification par les Parlements nationaux. Je n'écarte pas l'hypothèse que les pressions aillent bientôt dans le sens d'une application anticipée...
Comme M. Fekl nous l'a confirmé, seront exclues du champ de l'application provisoire les dispositions sur les services financiers concernant les investissements de portefeuille, la protection des investissements ou - c'est important - le règlement des différends entre investisseurs et États. Cela répond aux inquiétudes exprimées au cours de nos discussions sur le TTIP, en particulier au regard de l'expérience de certains États comme l'Australie. En revanche, les dispositions qui concernent l'accès au marché des investissements directs étrangers s'appliqueront de manière provisoire.
Seront également exclues certaines dispositions concernant la propriété intellectuelle et les sanctions pénales applicables en cas de violation de droit d'auteur, les sanctions pénales relevant des législations des États membres ; ainsi que diverses dispositions qui font référence à des procédures administratives et judiciaires dans le périmètre des juridictions des États membres.
Enfin, dans les domaines du développement durable, du travail et de l'environnement, l'application provisoire respectera la répartition des compétences entre Union européenne et États membres.
La décision d'application provisoire ne sera validée qu'après la levée de deux verrous : celui du Conseil, représentant les États membres, et l'approbation préalable du Parlement européen qui répond à une réserve formulée par la France. Il est par conséquent excessif de parler de déni démocratique.
L'application provisoire d'un accord commercial a d'abord une justification économique : après la signature de l'accord de libre-échange avec la Corée du Sud, elle a permis une augmentation de 17 milliards d'euros des exportations de l'Union vers ce pays. Mais c'est aussi, comme la rappelé M. Fekl, une question de crédibilité. Si, après les années de négociation, il faut des années pour approuver cet accord - au risque que certaines dispositions ne soient plus d'actualité à la fin du processus - plus personne ne souhaitera traiter avec l'Union européenne.
Nous sommes en présence d'un texte ambitieux et équilibré, qui fait droit aux principales lignes rouges de l'Union et de la France. Je suis par conséquent favorable à sa mise en oeuvre provisoire, ce qui ne surprendra pas mes collègues. Le CETA est la meilleure assurance contre un mauvais TTIP, puisque nous n'y retrouvons pas ce qui vous avait agacés dans cette négociation mort-née. Je vous propose donc de conclure au rejet de la proposition de résolution européenne que nous examinons.