Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 janvier 2012 : 1ère réunion
Economie finances et fiscalité — Taxe sur les transactions financières - communication de mme fabienne keller

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Il a affiché la volonté de travailler avec le Parlement européen. Je m'en réjouis car l'intérêt de l'Assemblée du Conseil de l'Europe n'est plus à démontrer. Regroupant 47 Etats membres, elle est en particulier le lieu du dialogue avec la Russie, qui y est extrêmement présente. Pour la petite histoire, un tunnel relie les deux institutions car, durant un temps, l'hémicycle accueillait les deux assemblées.

Ce rapport d'étape sur la taxe sur les transactions financières vient après la table ronde conjointe, particulièrement éclairante, sur l'utilité sociale des marchés organisée avec la commission des finances et la résolution de M. Richard Yung sur les marchés financiers, alors que la question fait désormais l'objet d'un débat national.

La Commission européenne, par son projet de directive, donne forme à une idée évoquée par Keynes dès 1936 et théorisée par Tobin en 1972. Ce dernier, on l'oublie trop souvent, était un libéral, convaincu du besoin de réguler les marchés après l'arrêt de la convertibilité du dollar en or. La taxe sur les transactions financières est défendue aussi bien par Bill Gates que par ATTAC. Le FMI et la Banque mondiale n'y sont pas hostiles. Bon nombre des Etats membres de l'Union européenne disent vouloir sa création.

Cependant, la Commission se heurte à l'opposition de la Grande-Bretagne, de l'Irlande, de la Suède, du Danemark, des Pays-Bas et de la République tchèque. La France a annoncé que, faute de consensus ou même de coopération renforcée, elle instaurerait seule cette taxe. Un projet de loi de finances rectificative est prévu pour février. L'Allemagne se réserve la possibilité, si la piste européenne était abandonnée, d'explorer le modèle britannique de taxe sur les transactions portant sur les actions.

Dans le projet de directive, la taxe serait prélevée sur toutes les transactions sur instruments financiers entre institutions financières, lorsqu'au moins une des parties est située dans l'Union européenne. Par exemple, elle s'appliquerait aux transactions de Gazprom et Total, qui passent par deux intermédiaires britanniques ; comme Total a son siège en France, il serait assujetti. Cette définition large vise à traiter le problème des délocalisations. Le taux minimal de cette taxe serait de 0,1 % pour l'échange d'actions et d'obligations et de 0,01 % du sous-jacent pour les contrats dérivés. Les recettes s'élèveraient à 57 milliards d'euros par an si la taxe était créée sur l'ensemble du territoire de l'Union. Elle prendrait effet à compter du 1er janvier 2014.

Une telle contribution se justifie, explique la Commission, quand le secteur financier est en grande partie à l'origine de la crise financière de 2008 par sa gestion des subprimes mais aussi par la multiplication et la sophistication des opérations financières. Sans compter que les gouvernements, au plus fort de la crise financière, ont dû prendre en charge le coût élevé de son renflouement. En outre, ce secteur, qui échappe à la TVA dans la mesure où il n'y a pas de valeur ajoutée, est moins taxé que les autres. Ensuite, cette taxe, avance Bruxelles, renforcera le marché unique puisque certains Etats membres, dont le Royaume-Uni, l'appliquent déjà partiellement sous une forme ou sous une autre. Enfin, la taxe contribuera à décourager les transactions à risque ou spéculatives telles que le nano-trading, ou le trading haute fréquence, avec ses opérations déclenchées par des algorithmes ... et souvent annulées.

Le champ d'application prévu est très large ; il couvrirait même les transactions effectuées au sein d'un même groupe financier. Toutefois, le projet écarte les transactions effectuées sur les marchés primaires tant pour les valeurs mobilières - et ce, afin de ne pas compromettre la levée de capitaux par les acteurs publics ou privés - que pour les devises. Idem pour les activités de prêt et d'emprunt ainsi que les autres activités financières quotidiennes, les prêts hypothécaires et les opérations de paiement. Les transactions financières effectuées par exemple entre la Banque centrale européenne et les banques nationales sont également exclues afin d'éviter toute incidence sur les possibilités de refinancement des établissements nationaux ou sur les instruments de la politique monétaire.

Selon le projet de la Commission, pour qu'une transaction financière soit imposable dans l'Union, l'une des parties à la transaction devra être établie sur le territoire d'un Etat membre. L'imposition aura lieu dans l'Etat membre sur le territoire duquel l'établissement d'une institution financière est situé à condition que cet établissement financier soit partie à la transaction, que ce soit pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers, ou qu'il agisse au nom d'une partie à la transaction. Quand aucun des deux établissements financiers n'est situé dans un Etat membre, la taxe ne sera due que si l'acheteur ou le vendeur réside dans un Etat membre.

La Commission propose des taux minimaux que les Etats membres pourront moduler. Je le regrette : pour l'harmonisation européenne, un taux unique serait plus simple.

Quant aux recettes, elles alimenteraient le budget de l'Union en remplacement de ressources versées par les budgets nationaux, ce qui contribuerait aux efforts d'assainissement budgétaire. Une partie pourrait rester aux Etats, une autre serait attribuée à l'aide au développement. La Commission précisera ultérieurement les modalités de cette répartition.

Ce projet représente plusieurs défis. Sa base serait incertaine et variable. De fait, comme tout nouvel impôt, la taxe diminuera l'activité du secteur taxé, et ce d'autant plus qu'elle a explosé depuis dix ans, ce qui entraînera rapidement une réduction de son produit fiscal évalué à un quart. Cela dit, le but de la directive est précisément de limiter le volume des transactions. Certains s'inquiètent de ces répercussions sur le consommateur final. Elle sera très supportable, répond la Commission. Le risque de délocalisation vers des places très sécurisées comme Hong Kong et New York n'est pas à écarter ; d'où la nécessité d'une application mondiale. Le renchérissement du coût de l'investissement ? Il serait, comme pour les particuliers, très marginal et le produit attendu - c'est une analyse très keynésienne - serait investi autrement dans l'économie. Autre critique, la taxe serait déconnectée des résultats économiques ; mais c'est ainsi parce que l'on ne sait pas mettre en face à face différentes transactions financières. Le coût de la collecte, qui suppose une déclaration des transactions, reste à évaluer.

En tout cas, grâce à la taxe, on connaîtra enfin l'ensemble des opérations pour la plus grande satisfaction des présidents de l'AMF et de l'AEMF. La répartition du produit de la taxe est à définir. Pour ma part, je souhaite un grand nombre de bénéficiaires afin de multiplier les instances qui ont intérêt à sa mise en place. Enfin, une telle taxe existe déjà partiellement en Belgique, mais aussi au Royaume-Uni, ce qui ne facilitera pas un mécanisme européen. Toutefois, les dispositions existantes, telle la stamp duty tax britannique, ont une assiette très limitée.

Je retire de ma visite à Londres, très instructive et riche en rencontres, que la City, qui a le statut de collectivité territoriale, a réussi son opération de lobbying : l'opposition à la taxe est forte et résolue. Il y a d'ailleurs un consensus national autour d'un secteur qui a compensé la déprise industrielle.

Outre les arguments que je viens d'évoquer, les Britanniques, qui craignent un déplacement très rapide des flux, rappellent l'exemple de la Suède qui, dans les années 1990, a perdu 90 % de son trading après avoir créé un telle taxe. Pour les représentants de HM Treasury, la taxe provoquerait 0,5 point à 4 points de réduction de l'activité en Europe.

Les Britanniques relèvent également qu'il est bien plus facile de lever efficacement un impôt assis sur quelque chose d'immobile.

Toujours d'après eux, cette taxe compliquerait le fonctionnement quotidien des entreprises, avec un coût accru de la protection contre le risque de change et contre le risque de taux. Certaines activités financières disparaîtraient purement et simplement, comme le prêt de titres entre banques et les hedge funds.

La collecte mobiliserait des moyens importants, en raison du grand nombre d'intermédiaires financiers impliqués. Elle nécessiterait la création d'un système d'information au niveau du vendeur et de l'acheteur. Mais, pourrait-on répondre, plus de transparence, c'est justement le but que nous poursuivons !

Malgré la faiblesse du taux, poursuivent les Anglais, les fonds de pension, qui financent la majeure partie du système de retraites outre-manche, seraient touchés à hauteur de 1,8 milliard de livres sterling, soit 2,5 milliards d'euros, à cause de la rotation des portefeuilles.

Enfin, Londres souligne l'utilité économique et sociale des activités financières. La responsabilité de la crise des subprimes et des dettes souveraines, qui a obligé les Etats à se lancer dans de coûteux plans de soutien, ne serait pas à rechercher du côté de la City, mais des banques centrales qui ont distribué des liquidités à coûts très bas alimentant l'endettement.

Une taxe pour se protéger du risque systémique ? Les Anglais répondent que la seule solution est de renforcer la régulation du secteur, et que Bâle III y pourvoit en partie.

Tout en reconnaissant le besoin de traiter les problèmes posés le shadow banking ou les hedge funds, ils réfutent en bloc l'approche fiscale. La logique est la même pour le caractère immoral de certaines opérations financières. Peur eux, les transactions financières sont une activité comme les autres. L'échange a lieu, parce que les deux parties y ont intérêt. Cela tient presque de l'acte de foi.

Une information renforcée des consommateurs sur la dangerosité de certains produits ? La seule réponse est un meilleur encadrement des pratiques et des produits, expliquent nos interlocuteurs à Londres, qui renvoient également à la responsabilité des investisseurs. L'effet sur la volatilité des marchés, enfin, ne serait pas prouvé.

Pour nos interlocuteurs britanniques, le secteur financier participe déjà. Une taxation spécifique existe en Grande-Bretagne avec la taxe sur les achats d'actions, qui rapporte chaque année 2 à 3 milliards de livres sterling, mais aussi la taxe sur les bonus et la tranche supplémentaire de l'impôt sur le revenu avec un taux marginal de 50 %, créées à la suite de la crise financière quand la France, elle, a supprimé sa taxe sur les opérations de Bourse. A la City, on s'agace aussi que l'Allemagne cherche à créer au niveau communautaire ce qu'elle ne peut pas faire à l'échelon national pour des raisons constitutionnelles d'affectation de taxe.

Enfin, à la Chambre des Lords comme au Trésor, on préfère la financial activity tax, mise en avant par le FMI et mentionnée par la Commission avant d'être écartée. Cette sorte de TVA, appliquée au secteur financier, éviterait une taxation en cascade des transactions et épargnerait les opérateurs non européens. La City est dans son rôle de défenseur de Londres, première place financière européenne. EDF, par exemple, y effectue tout son trading.

De cette mission, je retire que la critique de la taxe est d'autant plus forte que son produit a fait l'objet d'une évaluation optimiste et que sa répartition demeure incertaine. Il faut sortir de cette incertitude. Nombre de critiques figurent déjà dans l'étude d'impact puisqu'elles correspondent à l'objectif de la taxe : il s'agit d'un choix politique fort. L'initiative française a le mérite de clarifier la situation : la taxe sera d'abord une ressource supplémentaire nationale. En revanche, elle pourra renforcer les crédits de l'aide publique au développement, ce dont les Français qui y consacrent péniblement 0,45 % de leur PIB, ont bien besoin, notent les Britanniques, qui sont à 0,7 %.

Mon intention est naturellement de poursuivre le combat pour une taxe européenne. A mon sens, la première bataille à livrer est celle de l'absolue transparence des transactions. La deuxième est d'obtenir l'application efficace des textes européens et internationaux qui régulent l'activité financière, de Bâle III à EMIR et MiFID.

Nous poursuivrons l'enquête en ciblant les activités de la place de Francfort, pour comprendre la position allemande, celles de Luxembourg, qui est la plus importante place pour les dépôts en Europe, celles de la Suisse qui retient l'acquis communautaire selon les textes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion