Avant que Gérard César ne vous livre l'analyse même de la proposition de règlement qui nous est soumise au titre de l'article 88-4 de la Constitution, je souhaitais vous présenter les raisons et évolutions qui ont présidé à la rédaction de ce texte par la Commission européenne.
Concernant les OGM, l'Union européenne s'est dotée d'un cadre réglementaire dès le début des années 1990. Aujourd'hui, l'autorisation de mise en culture des plantes génétiquement modifiées dans l'Union européenne repose sur un dispositif harmonisé établi par deux textes : une directive de 2001 sur la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés et un règlement de 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Or, force est de constater que ce dispositif ne fonctionne pas. Alors que le secteur des biotechnologies se développe rapidement ailleurs dans le monde, il n'y a actuellement que deux OGM cultivées en Europe : le maïs Monsanto 810, autorisé dès 1998, qui résiste à un insecte, la pyrale, et qui est principalement cultivé en Espagne et la pomme-de terre Amflora de BASF, enrichie en amidon, destinée à l'industrie papetière et qui vient d'être autorisée à la culture. Alors que cette industrie se développe sur d'autres continents, l'Europe perd du terrain !
Quelles en sont les raisons ?
Tout d'abord, les méthodes d'expertise scientifique de la Commission sont régulièrement remises en causes par les États membres. C'est l'Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) qui donne un avis scientifique sur le risque pour la santé humaine, animale ou pour l'environnement que peut entraîner une plante génétiquement modifiée. Si son avis est favorable, la Commission européenne propose au Conseil l'autorisation de la mise en culture de la plante.
En raison de la position de plusieurs pays (Danemark, France, Grèce, Italie, Luxembourg), qui estimaient que les procédures d'évaluation, de suivi et de traçabilité des OGM devaient être renforcées avant de procéder à la délivrance de nouvelles autorisations de mise en culture et de mise sur le marché, un moratoire de fait s'est appliqué entre 1998 et 2004. Les autorisations de nouveaux maïs OGM délivrées depuis lors portent sur des mises sur le marché pour les filières alimentaires, mais pas sur des semences destinées à la mise en culture. L'autorisation de mise en culture de la pomme-de-terre Amflora le 2 mars 2010 est la première depuis 1998.
Comme nous le verrons, des études sont en cours pour renforcer cette expertise, mais il aura fallu attendre dix ans et la présidence française de l'Union en 2008 pour que cela soit fait. On constate donc que le système est boiteux : l'organe central, qui ne devrait pas être remis en cause car il est de nature scientifique, est discuté.
Ensuite, la procédure d'autorisation apparaît aujourd'hui comme une source de blocage dans la prise de décision.
Quelle est-elle ? Si l'AESA donne un avis favorable à une demande d'OGM, la Commission européenne le propose au comité permanent de la chaine alimentaire et de la santé animale. Celui-ci est composé de spécialistes représentant les États membres. Il doit se prononcer à la majorité qualifiée pour ou contre l'autorisation. S'il ne parvient pas à prendre une décision dans un sens ou dans l'autre, la Commission doit soumettre la demande au conseil des ministres de l'environnement. Ce dernier doit lui aussi se prononcer dans les mêmes conditions. Si le Conseil ne parvient pas à prendre une décision d'autorisation ou de refus, le dernier mot revient à la Commission qui se doit de trancher. Or, les majorités qualifiées sont très difficiles à trouver et il est rare qu'un État membre change d'avis entre la réunion du comité et celle du Conseil. La plupart du temps, la décision revient à la Commission qui se retrouve seule à devoir l'assumer. Sur un sujet aussi sensible pour les opinions publiques, il est lui difficile de tenir une telle position face aux pays qui s'étaient prononcés contre l'autorisation.
Par ailleurs, les États membres qui le souhaitent, disposent d'un mécanisme leur permettant de sursoir à l'exécution de la décision. En effet, si un pays considère que le produit présente un risque pour la santé ou l'environnement, sur la base d'éléments objectifs, il peut en limiter ou en interdire provisoirement la mise en culture sur son territoire en invoquant une clause de sauvegarde. Depuis l'adoption du nouveau cadre réglementaire, sept États membres ont interdit ou limité la culture d'OGM sur leur territoire, soit par le biais de clauses de sauvegardes pour des OGM particuliers autorisés, soit par des interdictions générales de semences. En quatre occasions, le Conseil a rejeté à la majorité qualifiée toutes les propositions de la Commission européenne visant à faire abroger des mesures nationales de sauvegarde. En chacune de ces occasions, la Commission avait estimé que ces mesures n'étaient pas fondées sur des informations scientifiques nouvelles. Mais si les États membres peinent à dégager une majorité qualifiée pour autoriser ou refuser un OGM, ils se retrouvent plus facilement pour s'opposer directement à la Commission.
Quelles pistes ont été suivies pour remédier au problème ?
Face à ce blocage et alors que les OGM se développent dans le monde, la Commission et le Conseil ont chacun cherché à résoudre le problème.
C'est sous la présidence française, lors du conseil du 4 décembre 2008 que les ministres de l'environnement, conscients de leurs divergences et des problèmes existant et soucieux de trouver les moyens d'y remédier, ont approuvé à l'unanimité cinq actions visant à renforcer les exigences en matière d'évaluation et d'autorisation des OGM. Quelles sont ces actions :
1 - le renforcement de l'évaluation des impacts environnementaux, à moyen et long termes, des OGM cultivés, notamment ceux produisant des pesticides ou résistant à des herbicides ;
2 - le lancement en 2009 d'une réflexion communautaire, par les États membres et par la Commission, pour définir et prendre en compte des facteurs d'appréciation socio-économiques relatifs aux OGM. Un rapport de la Commission étant prévu pour la fin de l'année 2010.
3 - l'amélioration du fonctionnement de l'expertise, notamment en associant davantage les États membres au processus d'expertise de l'AESA ;
4 - la fixation de seuils communautaires de présence d'OGM dans les semences conventionnelles, seuils qui doivent contribuer à garantir aux utilisateurs un libre choix réel entre les semences OGM, conventionnelles et biologiques ;
5 - la protection, au cas par cas, de zones sensibles ou protégées, telles Natura 2000, et la prise en compte des pratiques agricoles spécifiques.
A ce jour, le processus lancé n'a pas encore abouti. La Commission affirme que les études devraient être publiées avant la fin de l'année. Elle a par ailleurs évolué sensiblement dans son approche concernant les OGM. Alors que son premier mandat avait été gâché par ses oppositions répétées avec le Conseil sur ce sujet, une fois réélu, M. Barroso a souhaité reprendre la main sur le dossier des OGM. Il a agit en trois temps.
Tout d'abord, le dossier a changé de mains. Alors qu'il relevait jusque-là du commissaire européen à l'environnement, c'est désormais le commissaire en charge de la santé et de la protection des consommateurs, John Dalli, qui s'en occupe. Ce changement symbolique s'est accompagné d'un transfert de compétence entre les services de la Commission. La Direction générale de la Santé et des Consommateurs (DG SANCO) est désormais seule compétente sur l'ensemble des questions concernant les OGM, alors que dans la précédente configuration, elle n'était concernée que pour les sujets ayant trait à l'alimentation humaine et animale (La DG environnement avait la charge des autorisations de dissémination des OGM et la DG agriculture des questions de coexistence des différentes cultures). Il était apparu que les différences de vues et de gestion entre les différentes directions avaient perturbé le travail au sein de la Commission. Par ailleurs, je me permets de rappeler que ce sont les ministres européens en charge de l'environnement qui traitent des OGM pour le Conseil.
Dans un second temps, alors qu'il existait un moratoire de fait depuis 1998 sur les autorisations de mise en culture d'OGM, la commission a souhaité y mettre fin en autorisant la mise en culture de la pomme de terre Amflora. Mise au point par une entreprise européenne, BASF, elle est enrichie en amidon afin de répondre aux besoins de l'industrie papetière. Le 2 mars 2010, la Commission en a autorisé la culture en plein champ, alors que le Conseil, une nouvelle fois, n'avait pu dégager de majorité qualifiée pour ou contre celle-ci. Malheureusement, comme l'a rappelé notre Président, on s'est rendu compte au début du mois de septembre qu'en Suède, un champ d'Amflora avait été contaminé par des semences d'un OGM non autorisé dans l'Union, suite à une erreur humaine. La Commission a réagi tardivement, mais a annoncé qu'elle souhaitait la destruction des 15 hectares plantés en Suède.
Même si la Commission n'y est pour rien, cette affaire est venue polluer le débat qui s'ouvrait au Conseil concernant sa troisième initiative en matière d'OGM, sa proposition du 13 juillet 2010 visant à permettre aux États membres de refuser la mise en culture d'une OGM autorisée au niveau européen. Il s'agit du texte qui nous a été soumis au titre de l'article 88-4 et je vais laisser Gérard César vous en présenter notre analyse.