La question de l'avenir de la zone euro prend aujourd'hui un relief particulier à la veille d'un Conseil européen pour partie dédié à la question de l'avenir de la Grèce au sein de celle-ci. Une réflexion a dans le même temps été lancée sur le renforcement de sa gouvernance. La surveillance des budgets de ses États membres demeure, quant à elle, un exercice important. Comme vous le savez, la Commission européenne a rendu, le 25 février dernier, son avis sur le déficit français. Je laisserai Fabienne Keller vous détailler tout à l'heure les contours de la recommandation du Conseil qui a été adressée à notre Gouvernement.
Cet examen, qui concernait également la Belgique et l'Italie, s'inscrivait dans un contexte particulier au sein de la zone euro. Il s'agissait en effet d'une première pour la Commission Juncker, les avis rendus fin novembre dernier n'ayant pas la même portée politique. La crédibilité de la nouvelle équipe a pu ainsi apparaître en jeu, alors qu'elle n'avait jusqu'ici affiché d'intransigeance qu'à l'égard de la Grèce. Le cas de deux poids lourds de l'économie européenne comme la France et l'Italie avait donc valeur de test.
Au-delà, la Commission européenne a pu également mettre en oeuvre une lecture plus souple du Pacte de stabilité et de croissance, appréciation qu'elle avait détaillée le 13 janvier dernier au sein d'une communication et sur laquelle je vais m'attarder quelques instants.
À l'occasion de sa présentation, Jean-Claude Juncker avait insisté sur la nécessité de mieux tirer parti de la flexibilité introduite dans les règles du Pacte de stabilité et de croissance à l'occasion de ses réformes de 2005 et 2011. Le Conseil européen du 27 juin 2014 avait également mis l'accent sur cette flexibilité. Les réformes structurelles qui favorisent la croissance et améliorent la viabilité des finances publiques devaient, selon lui, bénéficier d'une attention particulière.
La Commission européenne a donc présenté, le 13 janvier 2015, une communication destinée à préciser la manière dont elle appliquera le Pacte de stabilité et de croissance afin de mieux prendre en compte les réformes structurelles menées par les États membres et les investissements qu'ils opèrent. Il s'agit d'appliquer le pacte de manière « intelligente, effective et crédible », selon les termes retenus par le vice-président Dombrovskis. Le degré de flexibilité varie néanmoins selon que l'État est soumis au volet préventif ou au volet correctif du pacte, c'est-à-dire quand son déficit dépasse 3 % du PIB ou quand son endettement est supérieur à 60 % et qu'il ne met pas en oeuvre les mesures destinées à le réduire de 5 % par an.
Cette lecture du pacte n'implique pas l'adoption de nouveaux textes législatifs. Ce qu'elle propose relève en effet plus de la clarification, voire de l'explication des modifications introduites en 2005 et en 2011, que d'un véritable changement de philosophie.
Ce faisant, la Commission européenne poursuit trois objectifs :
- encourager la mise en oeuvre de réformes structurelles ;
- promouvoir les investissements, notamment ceux effectués dans le cadre du Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI) ;
- pousser les États membres à adopter des mesures contra-cycliques en période de croissance.
La Commission européenne a souhaité tout d'abord rappeler l'existence d'une clause « réformes structurelles ». Celles-ci doivent répondre à trois conditions :
- être importantes ;
- comporter des effets budgétaires positifs à long terme démontrables. Une attention particulière sera portée à leurs incidences en matière de croissance durable potentielle ;
- être effectivement mises en oeuvre.
La Commission européenne définit deux cas de figure pour la mise en oeuvre de cette clause « réformes structurelles ».
Le premier concerne les pays couverts par le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance. La Commission européenne évaluera les réformes menées dans ces pays avant de recommander d'éventuels écarts temporaires par rapport à la trajectoire d'ajustement budgétaire ou à l'objectif budgétaire à moyen terme. Ces écarts ne sauraient dépasser 0,5 % du PIB.
Les États membres qui se trouvent, quant à eux, visés par une procédure concernant les déficits excessifs pourraient se voir proposer une prolongation du délai envisagé pour la correction desdits déficits. Cette prorogation n'interviendrait qu'après évaluation du programme de réformes structurelles envisagées par le pays concerné. L'évaluation du programme peut se faire ex ante, c'est-à-dire après adoption par le gouvernement et/ou le parlement de l'État concerné mais avant sa mise en oeuvre. Les pays placés sous procédure visant les déficits excessifs demeurent tenus de respecter la règle d'un effort structurel annuel de 0,5 % de PIB. Il ne s'agirait pas, par ailleurs, d'un blanc-seing. L'absence de mise en oeuvre effective des réformes structurelles peut déboucher en effet sur un renforcement de la procédure visant les déficits excessifs. La Commission européenne rappelle, en outre, que l'absence de réformes structurelles est considérée comme un « facteur pertinent aggravant ».
Le volet « investissements » de la communication vise deux cas : les contributions nationales au Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) créé dans le cadre du Plan Juncker pour la relance, et la « clause investissements » déjà mise en avant en 2013.
La Commission européenne préconise en premier lieu de ne pas tenir compte des contributions nationales au FEIS lorsqu'elle analysera la situation budgétaire des États membres.
La Commission européenne précise ensuite le principe de la « clause investissements », déjà incorporé au sein de lignes directrices présentées le 3 juillet 2013 par l'exécutif précédent. Cette approche avait déjà été retenue pour examiner la situation de la Bulgarie en 2013 et celles de la Roumanie et de la Slovaquie un an plus tard.
La « clause investissement » ne concerne pas les États membres visés par une procédure pour déficit excessif, à l'instar de la France, mais ceux qui s'intègrent dans le volet préventif du pacte. Ces pays pourront s'écarter de la trajectoire budgétaire ou de l'objectif budgétaire à moyen terme (OMT) définis préalablement s'ils réalisent des investissements structurels, sans forcément passer par le FEIS. Plusieurs conditions devront néanmoins être retenues :
- ces pays devront être en récession ou disposer d'un produit intérieur brut inférieur d'au moins 1,5 % au potentiel ;
- la dérive des comptes publics induite par ces investissements ne pourra conduire à un déficit supérieur à 3 % du PIB, une marge de sécurité devrait ainsi être préalablement définie. L'écart devrait être comblé dans des délais fixés au sein d'un plan budgétaire à moyen terme, transmis dans le cadre des programmes de stabilité ;
- les investissements concernés correspondent à des dépenses effectives, cofinancées par le FEIS ou par l'Union européenne via la politique de cohésion, les fonds structurels, les réseaux transeuropéens et le mécanisme pour l'interconnexion en Europe ou l'Initiative pour l'emploi des jeunes.
La Commission européenne estimait en 2013 que l'endettement devait dans le même temps être réduit de 5 % par an. L'Italie avait, en 2013 et 2014, formulé deux demandes pour que soit prise en compte cette « clause investissement ». Elles avaient été repoussées pour ce motif. Cette condition disparaît dans la communication du 13 janvier 2015. L'assouplissement de la position de la Commission européenne est avéré sur ce point.
La Commission européenne rappelle enfin la possibilité de prendre en compte la conjoncture économique dans l'élaboration des mesures d'ajustement budgétaire. Ainsi, les États concernés par le volet préventif du pacte sont tenus d'intensifier leurs efforts budgétaires au cours des périodes de croissance. Pour les pays visés par le volet correctif, la Commission entend appliquer l'approche élaborée en 2014 et validée par le Conseil Ecofin du 20 juin 2014. Celle-ci vise à distinguer les évolutions budgétaires liées à l'action des gouvernements de celles induites par une dimension inattendue de l'activité économique. Elle conduit à étaler dans le temps l'atteinte de l'objectif budgétaire à moyen terme.
Plusieurs conclusions peuvent être tirées de la communication de la Commission européenne.
La première tient au propos lui-même, il s'agit plus de réaffirmer que de proposer de nouvelles dispositions. La Commission rappelle la lecture qu'elle fait du pacte depuis 2013.
La seule véritable nouveauté tient in fine à la mention du Fonds européen d'investissement stratégique. La communication de la Commission européenne constitue à cet égard une réelle incitation à investir dans les infrastructures européennes, qui devraient constituer un vecteur de croissance. Il convient de rappeler que ce terme fait partie de l'intitulé du pacte. La communication de la Commission européenne peut dans ces conditions faire figure de volet budgétaire du Plan Juncker. Comme le programme d'assouplissement quantitatif mis en place le 22 janvier dernier par la Banque centrale européenne peut faire figure de volet monétaire dudit plan.
Il existe à ce titre une réelle complémentarité entre la communication du 13 janvier et l'annonce de la BCE neuf jours plus tard. L'assouplissement quantitatif devrait permettre aux États endettés de bénéficier de taux bas sur les marchés, et donc de pouvoir continuer à se refinancer pour pouvoir ainsi abonder le Fonds européen d'investissement stratégique ou financer, pour ceux visés par le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance, leurs propres infrastructures. Ces sommes ne seront pas totalement prises en compte par la Commission européenne lorsqu'elle évaluera les critères de convergence. FEIS, assouplissement quantitatif et flexibilité dans l'application du Pacte de croissance et de stabilité apparaissent dès lors comme les éléments-clés pour la mise en oeuvre d'un cercle vertueux en matière de croissance pour l'Union européenne.
Je laisse maintenant la parole à Fabienne Keller pour aborder le cas de la France dans cette procédure de surveillance budgétaire.