Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 mars 2015 à 10h10
Économie finances et fiscalité — Semestre européen et flexibilité dans le pacte de stabilité et de croissance : communication de mme fabienne keller et m. françois marc

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

La communication de la Commission européenne que vient de détailler François Marc a pu être présentée comme un texte permettant à l'Italie et à la France de ne pas être sanctionnées quelques semaines plus tard. Force est de constater que cette appréciation n'a pas totalement résisté à l'examen des annonces faites par la Commission européenne le 25 février dernier. Une lecture trop souple du pacte de stabilité et de convergence favorable aux grands pays faisait craindre de voir émerger le principe d'un « too big to blame », aux termes duquel un État pourrait ne pas être blâmé en raison de son poids politique et économique. Si l'Italie comme la Belgique ont échappé à la mise en place de sanctions, la situation de la France s'est avérée la plus « compliquée », pour reprendre les mots de Valdis Dombrovkis.

La Commission européenne avait déjà reconnu en octobre dernier que l'objectif d'un déficit public inférieur à 3 % n'était pas atteignable. Dans ces conditions, un nouveau report de l'objectif apparaissait logique. Restait à déterminer la durée de celui-ci. Dans la proposition de recommandation soumise au vote du Conseil Ecofin le 10 mars dernier, la Commission européenne a privilégié 2017, date à laquelle le déficit public devra atteindre 2,8 %. Elle a dans le même temps reconnu que la France a quasiment répondu aux attentes formulées par le Conseil en 2013 en ce qui concerne les mesures à mettre en oeuvre pour réduire le déficit structurel en 2013 et 2014. La France échappe donc aux sanctions.

Mais revenons au délai. La Commission européenne justifie ce troisième report depuis 2009 en mettant en avant la clause « réformes structurelles » contenue dans sa communication du 13 janvier 2015. Elle relève que les réformes adoptées ou en cours d'adoption depuis 2013 - CICE, projet de loi sur la croissance et l'activité, réforme territoriale ou pacte de responsabilité - devraient contribuer à relancer l'économie, et donc améliorer la situation des comptes publics. Sans pour autant qu'elles n'y suffisent. La Commission européenne s'inquiète dans le même temps de l'absence de précision quant aux 50 milliards d'euros de mesures d'économie sur trois ans annoncés par le Gouvernement français en novembre 2014. Elle ne comptabilise ainsi que 25 milliards d'euros dans ses calculs.

Le report ne saurait donc constituer une fin en soi et ne peut occulter les objectifs parallèlement assignés à la France. La Commission estime en effet que le rebond de l'économie sur lequel tablent les autorités françaises - 1,7 % en 2016 puis 1,9 % l'année suivante - ne sera pas suffisant pour permettre une réduction sensible du déficit structurel, soit le déficit public corrigé des effets de la conjoncture. Sa diminution fait pourtant figure de priorité aux termes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Dans ces conditions, la recommandation adoptée par le Conseil le 10 mars à l'initiative de la Commission européenne double la trajectoire retenue pour le déficit public d'objectifs annuels de diminution du déficit structurel : 0,5 % du PIB en 2015 puis 0,8 % en 2016 et 0,9 % lors de l'exercice suivant. La loi sur la programmation des finances publiques publiée le 30 décembre dernier tablait sur une réduction de l'ordre de 0,3 % du PIB en 2015 et 2016 puis 0,5 % du PIB en 2017.

Afin de parvenir à souscrire à ces objectifs, la recommandation invite le Gouvernement français à adopter des mesures d'ajustement structurel supplémentaires, qui viendraient s'ajouter à celles déjà annoncées dans le cadre du plan de 50 milliards d'euros, ramené, je le rappelle, à 25 milliards d'euros par la Commission européenne.

La recommandation demande que 4 milliards d'euros de mesures complémentaires soient présentés d'ici au 10 juin prochain afin que l'effort structurel de la France soit porté à 0,5 % du PIB en 2015. S'il n'était pas atteint, la Commission européenne proposerait d'aller plus loin dans la procédure pour déficit excessif. Pour les années 2016 et 2017, ces mesures d'ajustement complémentaires devraient respectivement représenter 1,2 % du PIB, soit environ 24 milliards d'euros, puis 1,3 % du PIB, soit environ 26 milliards d'euros. L'effort supplémentaire est donc évalué à 54 milliards d'euros sur trois ans. Ils viennent s'additionner aux 25 milliards attendus du plan d'économie. Au final, la recommandation prévoit un effort structurel d'environ 79 milliards de la part du Gouvernement français sur trois ans, soit près de quatre points de PIB. J'insiste sur le qualificatif de structurel tant les sommes attendues ne peuvent provenir de recettes exceptionnelles liées à des privatisations par exemple. La recommandation invite à cet effet la France à intensifier ses efforts pour identifier les économies possibles au sein de tous les secteurs de l'administration publique, collectivités territoriales et sécurité sociale comprises.

La Commission européenne ne néglige pas l'impact économique de cette accélération de la réduction du déficit structurel sur la croissance du pays. Elle reconnaît que la progression de l'activité ne devrait pas, dans ce contexte, dépasser 1 % sur la période 2015-2017 : 0,8 % à la fin du présent exercice, puis 0,7 % en 2016 et 0,8 % en 2017. La Commission européenne rappelle dans le même temps que si elle avait cédé à la pression de certains États de ramener le délai à un an, la France entrait en récession. Plus largement, pour la Commission européenne, comme l'a rappelé Valdis Dombrovskis au Sénat le 11 mars, l'assainissement budgétaire constitue un préalable indispensable pour permettre à la France d'attirer de nouveaux investisseurs. La rigueur ne saurait être envisagée selon lui comme un obstacle à la création d'emplois.

C'est pourtant à l'aune de cet effet sur la croissance que le Gouvernement a émis des réserves sur la recommandation et notamment sur l'effort complémentaire demandé en 2016 et 2017. Selon lui, le plan annoncé en novembre 2014 devrait bien déboucher sur 50 milliards d'euros d'économie. Il s'est également déclaré en mesure de dégager 4 milliards d'euros supplémentaires en 2015. Il estime que l'écart entre les attentes de ses pairs et ses propres chiffres tient pour partie à une différence d'appréciation sur l'inflation. L'écart s'élève tout de même à 29 milliards d'euros...

L'effort structurel attendu sera, de toute façon, rapidement vérifié par la Commission européenne puis par le Conseil. Dans la lignée de sa communication du 13 janvier, la Commission entend évaluer en mai l'impact des réformes structurelles qui seront présentées par la France en avril dans le cadre de la transmission du programme national de réforme. Le Conseil a de son côté indiqué, le 10 mars, que les réformes attendues ne sauraient se limiter à celles annoncées par le Gouvernement français le 18 février : loi Macron bien sûr, réforme hospitalière et réforme du dialogue social.

La France devra, en outre, présenter tous les six mois un rapport devant le Comité économique et financier sur l'état d'avancement des réformes. Le Comité économique et financier prépare les réunions du Conseil Ecofin. Il est composé de représentants des États membres - deux pour chaque État, le premier issu du ministère des finances et le second de la Banque centrale nationale -, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne. Les autorités françaises présenteront ainsi un premier rapport le 10 décembre prochain. Cette obligation de rapport pour les pays faisant l'objet d'une procédure de déficit excessif a été introduite en 2013 dans le cadre du two pack. Nous sommes donc sous la surveillance étroite de nos pairs, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne...

Au-delà de la question budgétaire, la France a également été visée par la Commission européenne dans le cadre de la procédure pour déséquilibre excessif. 16 pays sont concernés à des degrés divers par cette procédure, introduite par le six pack en décembre 2011. Un mécanisme d'alerte est ainsi mis en place afin d'identifier un certain nombre de risques pesant sur l'économie d'un État membre : déficit de compétitivité, bulle spéculative, endettement privé, etc. 10 indicateurs sont retenus à cet effet. Sur proposition de la Commission européenne, le Conseil peut adopter une recommandation constatant l'existence d'un déséquilibre excessif et demandant à l'État membre concerné de présenter, dans un délai imparti, un plan de mesures correctives, sous peine de sanctions.

La procédure pour déséquilibre excessif est graduée, cinq catégories précédant celle où doit être adoptée une recommandation. La France est désormais classée dans la cinquième catégorie, celle des déséquilibres excessifs, avec 4 autres pays : Croatie, Hongrie, Italie et Portugal. Elle était l'an dernier dans la catégorie précédente, celle où un déséquilibre nécessite une surveillance spécifique et des réformes adaptées, sans pour autant qu'il ne soit jugé excessif. Le passage de la France dans la catégorie supérieure se justifie pour la Commission européenne par une perte importante de compétitivité, une détérioration de son déficit extérieur, un taux de chômage relativement élevé et un endettement public qui rend le pays vulnérable. La Commission européenne pointe par ailleurs la complexité de la réglementation et les rigidités observées sur le marché du travail. Le programme national de réforme, transmis en avril et examiné par la Commission en mai devrait, là encore, s'avérer crucial. S'il n'était pas suffisant, il déboucherait sur l'adoption d'une recommandation, prélude à d'éventuelles sanctions.

Si tel était le cas et comme dans le cadre de la procédure de déficit excessif, il semble délicat pour la France de pouvoir bénéficier d'une majorité inversée pour échapper aux sanctions. Notre pays semble en effet isolé au sein du Conseil. Les pays qui ont effectué des efforts ces dernières années, qu'ils soient sous programmes d'assistance financière ou non - je pense à l'Espagne, à l'Irlande, à la Lettonie, à la Lituanie ou au Portugal - s'associent désormais aux tenants habituels de l'orthodoxie budgétaire pour demander la mise en place de réformes structurelles dans les pays en difficulté et condamnent tout traitement de faveur à l'égard de la France. La Banque centrale européenne a également émis des réserves sur ce nouveau report.

La mise en place de réformes structurelles apparaît donc comme une priorité. La Commission européenne s'interroge d'ailleurs sur l'application de celles-ci au sein des États membres dans le cadre de sa réflexion sur l'approfondissement de la gouvernance de la zone euro. Mais je laisse François Marc nous en dire un mot.

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