La crise de 2008 a remis en selle une idée ancienne qui consiste à introduire dans certains rouages de la machine financière quelques grains de sable pour éviter que la machine ne s'emballe.
C'est ainsi que sous la pression de l'opinion publique et celle de certaines ONG, les États membres de l'Union européenne ont déclaré dans un premier temps qu'ils souhaitaient s'assurer que le secteur financier contribue de manière équitable et substantielle aux finances publiques. Sans attendre l'intervention de l'Union européenne, certains États membres dont la France et la Grande-Bretagne ont alourdi la fiscalité pesant sur le secteur financier. La Commission européenne, quant à elle, a proposé d'instituer une taxe sur les transactions financières (TTF) dans le but de conduire à une harmonisation de la taxation du secteur financier à l'intérieur du Marché unique.
Comme j'ai été amenée à le dire dans mon rapport sur ce sujet daté de décembre 2012, la taxe sur les transactions financières, projet auquel je suis très attachée, est facile à concevoir mais difficile à mettre en oeuvre.
J'en veux pour preuve l'histoire même de ce projet, depuis son lancement par l'ancien commissaire Algirdas emeta en 2011.
Aujourd'hui, je vous rappellerai les différentes étapes de cette histoire - ou faut-il dire ces différents obstacles qui ont déjà été franchis ?- et je ferai le point sur la position française qui semble l'emporter.
Toutefois, comme vous le savez, il n'y a plus à ce jour de projet de directive et nous attendons un texte nouveau à la fin du mois d'avril, texte qui devrait s'inspirer du compromis proposé par la France, malgré les réticences marquées de la Commission.
Je vais rappeler la chronologie du projet TTF et je devrais plutôt parler d'un parcours du combattant. Tout a commencé avec l'ambitieux projet du commissaire Algirdas emeta en 2011.
Le projet de directive de 2011 avait pour objectif de faire contribuer davantage le secteur financier pour deux raisons : premièrement, la Commission avançait que le secteur financier lui apparaissait moins taxé que les autres secteurs et deuxièmement, le secteur financier ayant joué le rôle de déclencheur de la crise de 2008 et ayant bénéficié d'aides publiques à ce moment, il semblait naturel qu'il participât davantage à la réparation des dégâts subis par les finances publiques.
Le projet de 2011 était maximaliste. En effet, son assiette était universelle : le principe était que toutes les transactions subiraient la taxe dès lors qu'au moins une des parties à la transaction était établie sur le territoire de l'Union ou qu'un établissement financier partie à la transaction était établi sur ce même territoire.
Par transaction financière, il fallait entendre la vente ou l'achat d'un instrument financier quel qu'il soit, dérivés compris.
La taxe projetée reposait sur le « principe de résidence » appliqué à au moins une des parties à la transaction.
Ce projet - dont le plus grand défaut était le risque de la délocalisation des transactions financières hors du territoire de l'Union européenne - a échoué et faute d'accord entre les États membres, il a été envisagé de s'orienter vers une grande première : une coopération renforcée en matière fiscale.
Je rappelle qu'en matière de fiscalité, la règle est celle de l'unanimité et que certaines voix se sont aussitôt élevées contre le principe même d'une coopération renforcée dans le domaine fiscal qui remettrait en cause indirectement la règle de l'unanimité puisque neuf États au moins allaient joindre leurs efforts pour s'imposer une règle fiscale ne concernant a priori qu'une fraction du territoire de l'Union européenne, mais qui, à travers le principe de résidence tel que l'entendait la Commission, viendrait à concerner même les États membres hors de la Zone TTF.
Il y a donc eu un premier projet de la coopération renforcée en 2013.
Début 2013, la Commission européenne a adopté une proposition de directive du Conseil mettant en oeuvre une coopération renforcée sur la TTF, à la demande de onze États (la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche, la Slovénie, le Portugal, la Grèce, la Slovaquie, l'Italie, l'Espagne et l'Estonie). Or, cette proposition reprenait à peu de choses près le texte même de la directive initiale de l'ancien commissaire.
Le Royaume-Uni a aussitôt introduit un recours contre la décision du Conseil affirmant que la décision du Conseil autorisait une législation avec des effets extraterritoriaux illégaux et qu'elle ne respectait pas les droits des États membres non participant à la coopération renforcée.
Mais ce n'est pas ce recours qui a conduit à l'échec des premiers travaux de la coopération renforcée. En effet, les onze n'ont pu se mettre d'accord sur le texte de départ trop maximaliste. Un autre texte est maintenant en préparation pour la fin du mois d'avril.
Je rappellerai que dans sa proposition initiale, la Commission créait une taxe qui était due dès que l'une des parties à la transaction était établie dans un État membre participant, indépendamment de l'endroit où la transaction avait lieu. Cette disposition était maintenue, mais la nouveauté, pour la coopération renforcée, consistait à combiner ce principe avec le principe du lieu d'émission afin d'ajouter une garantie supplémentaire contre le contournement de la taxe.
Selon ce principe, les instruments financiers émis dans les onze États membres entrés dans la coopération renforcée auraient été imposés lorsqu'ils sont négociés, même si ceux qui les négocient ne sont pas établis dans la zone TTF.
C'était donc un important élargissement de la base qui était proposé par la Commission pour la coopération renforcée. C'était surtout une garantie supplémentaire que la taxe serait plus difficile à contourner.
En résumé, aurait été astreinte à la taxe toute partie qui entre dans une transaction avec une partie établie dans la zone TTF ou qui opère une transaction sur un instrument financier émis dans la même zone TTF où qu'est lieu la transaction. Cela signifiait que la taxe n'était pas due uniquement par les ressortissants de la zone où elle aurait été établie et qu'elle reposait sur une base extraterritoriale, ce que les pays qui ne l'auraient pas instaurée refusaient d'accepter.
Voici en outre la liste des principaux points qui achoppaient :
- le problème de l'extraterritorialité
Selon le projet de la Commission pour la coopération renforcée, la taxe devait être perçue en dehors de la zone TTF et comme la Commission envisageait de mettre la collecte de la taxe à la charge des chambres de compensation et des plates-formes de « trading », la Commission indiquait qu'il reviendrait aux pays participants de signer des accords bilatéraux ou multilatéraux avec les pays non participants pour s'assurer de leur coopération dans la récolte et le reversement de la taxe. La Commission misait aussi sur des dispositions d'engagements solidaires et conjoints qui inciteraient les institutions financières des pays participants à ne travailler qu'avec des institutions qui coopéraient sur la taxe, même si elles étaient en dehors des pays soumis à la TTF.
Ces dispositions auraient inclus naturellement les plates-formes de trading, les chambres de compensation et les dépositaires centraux des pays participants.
- la taxation des fonds de placements
Plusieurs États membres de la coopération renforcée ont voulu empêcher la taxation des fonds de pension et de l'ensemble des fonds communs de placement au motif bien compréhensible que la taxe allait venir amoindrir les retraites et qu'il s'agit de toute manière d'une double taxation dans le cas des fonds communs de placement, puisque la taxe serait perçue à l'intérieur de l'enveloppe lors des arbitrages et à l'extérieur au moment d'entrer ou de sortir du fonds.
- le marché du « repo »
Le fait que le marché du « repo » ne fasse pas l'objet d'un traitement particulier dans le projet de la Commission a inquiété sérieusement les banques. En effet, dans le premier état du projet de coopération, ces transactions qui portent essentiellement sur des obligations auraient été taxées à 0,1 %.
Le marché du « repo » (ou pension livrée) est le poumon du refinancement bancaire. C'est le marché qui permet aux banques de se prêter des liquidités en échange de titres qui sont souvent des obligations. Cette détention qui s'apparente à un prêt est par définition de courte durée et prélever un impôt sur ces échanges renchérirait sensiblement l'opération au moment même où les banques centrales s'efforcent de faire diminuer le coût de l'argent.
Les fonds monétaires et les obligations à court terme également n'étaient pas mieux traités.
Quant à la France, elle rappelait qu'elle ne voulait pas qu'on taxe les obligations d'État ou pour dire les choses autrement, elle souhaite que les obligations d'État soient également exonérées sur le marché secondaire.
C'est dans ce contexte d'inquiétude généralisée que la BCE était intervenue, contre toute attente, par la voix de Benoît Coeuré, son vice-président. La BCE avait alors proposé en vain ses bons offices pour reformuler les contours de la taxe de manière à gommer tout impact négatif. Tout en soulignant qu'il n'entrait pas dans son rôle statutaire de se prononcer sur la taxe, la BCE a confirmé alors implicitement qu'elle avait des réserves sur les conséquences de la taxe sur les marchés comme sur l'économie réelle.
On pensait donc alors que le projet de la Commission allait connaître des modifications substantielles et qu'il serait même question d'élargir les exonérations, d'abaisser les taux et de reporter la taxation des obligations et des dérivés à 2017.
Mais, à la fin de l'année 2014, aucun des États membres de la coopération renforcée n'était plus satisfait du texte existant, le texte existant ayant été vidé de toute sa substance au fur et à mesure des négociations. On pouvait se demander s'il existait encore un volonté de créer la TTF.
Pourtant, au moment où tout semblait perdu, la proposition française a relancé la machine.
D'abord le 27 janvier 2015 ; dix des onze États membres de la coopération renforcée (La Grèce était retenu par d'autres urgences) ont confirmé leur détermination à mener leur projet à bien d'ici au 1er janvier 2016 mais sur la base de « nouvelles orientations ».
Il s'agit d'une remise à zéro des compteurs : la taxe devra reposer sur l'assiette la plus large possible (mais en tenant compte des exemptions nécessaires), les taux devront être faibles et il faudra tenir compte des risques de délocalisation d'activités financières. Telles sont les grandes lignes de la feuille de route. Enfin, c'est le ministre autrichien des finances Hans Jörg Schelling qui coordonne ces nouveaux travaux de la coopération renforcée.
La France propose une taxe sur les actions liée à la nationalité de l'émetteur (comme cela existe en France depuis 2012) et pour éviter que les petits pays qui ont moins de grosses sociétés soient lésés, ce serait le pays dans lequel est réalisée la transaction qui recevrait la recette.
La grande question est de trouver un système de taxation qui n'entraîne pas de délocalisations.
Apparemment pour converger à 11 États membres sur cette question, il faut, dans un premier temps, s'en tenir à la seule taxation des actions. Les dérivés feraient l'objet d'une seconde législation. C'est une fois de plus la méthode des petits pas qui doit l'emporter. Alors que la Commission combinait le principe d'émission et celui de résidence, la France défend à ce jour le seul principe d'émission, c'est-à-dire la taxation des actions en fonction de la localisation du siège de la société émettrice. Naturellement les pays qui n'émettent pas s'y opposent encore.
Selon le principe d'émission, les instruments financiers émis dans les onze États participants seraient taxés chaque fois qu'ils sont négociés même si les parties ne sont pas établies dans la zone TTF. La France propose donc d'appliquer le principe d'émission pour déterminer l'assiette de la taxe et de partager ensuite le produit de la taxe entre les pays membres de la zone TTF.
Les petits pays préfèrent le principe de résidence, car ils n'ont généralement pas d'activités financières importantes courant le risque d'être délocalisées. Mais le principe de résidence de la partie contractante a été considéré comme non compatible avec la législation de l'Union européenne parce qu'il entraîne l'extraterritorialité.
Certains considèrent que nous nous orientons dans un premier temps vers une TTF a minima mais le projet ayant failli totalement échouer, la proposition française a le mérite de remettre le projet de TTF sur les rails. Aujourd'hui, la France et l'Allemagne se sont entendues pour faire un pas. On attend donc le nouveau texte qui serait élaboré en étroite collaboration par l'Autriche et la France, mais la Commission a demandé à être associée aux travaux de la coopération renforcée. Or on sait que la Commission ne partage pas l'intégralité de la position française. Une nouvelle année de négociation commencera fin avril quand le nouveau texte de base sera dévoilé.