Intervention de Joaquín Almunia

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 janvier 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Joaquin Almunia commissaire européen chargé de la concurrence

Joaquín Almunia :

Merci de m'avoir invité. Le dialogue avec les parlementaires nationaux est indispensable et, depuis dix ans, je m'y applique régulièrement en tant que commissaire européen : il me paraît justifié que nous rendions compte de notre action aux parlementaires, européens comme nationaux.

Dans les propos que vous citez, Jacques Delors n'a pas utilisé le terme de concurrence, mais de compétitivité. Si l'on veut être compétitif, mieux vaut appliquer les règles de la concurrence ; pour financer les politiques solidaires, les deniers publics doivent être utilisés à bon escient. C'est ce que la Commission s'emploie à faire. Je n'ai jamais entendu Jacques Delors critiquer la politique européenne de la concurrence ; en revanche il a souvent insisté sur la nécessité de construire le marché intérieur, et beaucoup reste à faire dans les domaines de l'énergie, des transports, de l'économie numérique, des services. Pour lui, l'union économique et l'union monétaire sont indissociables. Les règles de la concurrence doivent s'appliquer pour coordonner les politiques économiques et monétaires, mais aussi pour lutter contre les cartels, les abus de position dominante, les concentrations. Nous sommes tous d'accord sur les objectifs poursuivis : reste à savoir quels instruments utiliser.

La Commission ayant une forte compétence pour faire respecter la concurrence, elle est également très exposée aux critiques, mais les critiques ne me choquent pas car je suis un démocrate. Je préfère tout de même qu'elles soient argumentées, fondées sur des faits et des analyses... Homme politique de gauche, je suis un fervent partisan des services publics, car ils font partie de l'identité européenne. Mais ces services, pour la plupart, relèvent de la responsabilité des États membres. Nous ne pouvons pas proposer de politiques en matière d'éducation, de santé publique, d'aide aux personnes handicapées. En revanche, nous devons proposer des solutions pour que tous les services fonctionnent le mieux possible à l'échelle européenne, notamment en abaissant les barrières entre les pays membres. Il est bien plus facile de parvenir à un marché unique en matière aérienne que ferroviaire, du fait du poids des infrastructures du rail.

Nous importons une grande part de l'énergie que nous consommons et nous voulons réduire cette dépendance, tout en luttant contre le changement climatique. Pour y parvenir, un marché intérieur de l'énergie est indispensable. Afin d'offrir à nos concitoyens une meilleure énergie à moindre coût et améliorer l'efficacité énergétique, nous devrons partager un certain nombre d'objectifs et définir une politique de la concurrence. On peut avoir des doutes sur la valeur de telle décision relevant de la politique de la concurrence, mais je n'ai aucun doute sur la nécessité de la concurrence et d'une politique commune de la concurrence !

Hier soir, j'ai envoyé au ministre du redressement productif un courrier, sur un ton plus calme que celui qu'il emploi parfois. Tournons-nous résolument vers le futur, plutôt que de regarder dans le rétroviseur, ai-je écrit. Un ministre ne peut ignorer la stratégie de modernisation des aides d'État à l'oeuvre. Elle a été lancée en mai 2012 et complétée en juin 2013. J'ajoute que toutes les demandes présentées ces dernières années par les gouvernements français successifs en matière de recherche, développement et innovation ont été autorisées par la Commission européenne. Non, la politique de l'Europe en matière de concurrence ne nuit pas à votre pays : ces quatre dernières années, la Commission n'a refusé que quatre concentrations, ce qui représente moins de 2 % des décisions prises, tandis que plus de 90 % des décisions ont été adoptées sans aucune modification par rapport à la proposition initiale des entreprises qui souhaitaient fusionner. La Commission cherche seulement à éviter les abus de position dominante et elle a, ces dix dernières années, considérablement amélioré les modalités de son contrôle sur les fusions.

J'en arrive à Google : nous avons entamé l'investigation sur un possible abus de position dominante en novembre 2010, sur la base de plaintes déposées fin 2009. Ces trois dernières années, de nouvelles plaintes nous sont parvenues, nous les avons intégrées dans nos réflexions pour avoir une vision d'ensemble. Il est évident que Google domine le marché : la question est de savoir s'il en abuse ou non. Nous avons coopéré avec les autorités américaines de la concurrence qui ont, poussées par notre initiative, lancé à leur tour une investigation, mais ont déjà conclu à l'absence d'abus. La Commission européenne est pour sa part convaincue qu'il y a des abus. Pour tenter de résoudre le problème, deux voies s'offrent à nous. La première est d'adresser à l'entreprise une communication de griefs, qui ouvre une période de deux ans, pendant laquelle l'entreprise répond, et à l'issue de laquelle nous prononçons une décision, susceptible de recours devant la Cour de justice de l'Union européenne. Il faut attendre entre quatre et huit ans pour obtenir une sentence définitive. Cela n'a pas grand sens dans un secteur où l'innovation est si rapide. La seconde solution est d'ouvrir des négociations avec Google, c'est ce que nous avons choisi de faire. Dans quelques mois, ce travail de deux années aboutira à des engagements précis et juridiquement contraignants. Alors il faudra à nouveau choisir entre signer un accord avec cette entreprise - ce sera la troisième génération de compromis - ou lancer une communication de griefs.

Ce qui me préoccupe chez Google, ce n'est pas seulement le moteur de recherche, c'est aussi le fonctionnement du système Androïd. Nous examinons s'il comporte des risques d'exclusion de la concurrence, des abus de position dominante, une menace pour les données privées. Nous ne savons pas encore si nous allons lancer une investigation formelle, sur ces points comme sur la fiscalité.

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