Intervention de Michel Barnier

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 mars 2012 : 1ère réunion
Economie finances et fiscalité — Audition de M. Michel Barnier commissaire européen au marché intérieur et aux services

Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services :

C'est une des questions importantes auxquelles le groupe « Liikanen » devra apporter des réponses objectives. Je ne me prononcerai pas à sa place. Il débute à peine ses travaux.

Un autre point régulièrement évoqué dans le débat présidentiel est la lutte contre les produits toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l'économie. Mais l'Europe, et donc la France, a agi !

Désormais, les autorités de contrôle, dont l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), ont le devoir d'interdire tout produit financier toxique. C'est la réforme de la supervision adoptée depuis plus d'un an.

A titre d'exemple, nous avons interdit, sauf dans des cas exceptionnels et très encadrés, la vente à nu des CDS souverains dans notre texte sur les ventes à découvert, adopté fin 2011.

Par ailleurs, nous venons d'aboutir à un accord politique entre le Parlement européen et le Conseil sur l'encadrement des produits dérivés de gré à gré. Ce marché, qui représente des transactions de plus de 600 000 milliards de dollars par an, opère dans la plus grande opacité.

En ce qui concerne les marchés de matières premières, en particulier agricoles, nous avons proposé dans la révision de la directive MIF que toutes les plateformes de négociation soient tenues de mettre en place des limites de position.

Certains nous reprochent de ne pas aller assez loin dans l'encadrement des marchés financiers. J'ai lu attentivement la récente résolution européenne du Sénat sur notre proposition de révision de la directive MIF. J'entends également les observations de Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité française des marchés financiers. Mais d'autres critiques, venant notamment de certains de ses collaborateurs, me semblent excessives.

Notre proposition constitue un progrès majeur en termes de règles, de transparence et de responsabilité des acteurs.

A ma connaissance, l'Europe est la seule région du monde à aller aussi loin dans les propositions : sur les nouvelles plates-formes de négociation alternatives et pour lutter contre les effets négatifs des innovations technologiques telles que le « trading » à haute fréquence. On peut toujours aller plus loin, mais je propose un texte qui puisse être adopté.

Incidemment, je répondrai à Philippe Marini sur la fusion NYSE Euronext - Deutsche Börse en indiquant que la Commission européenne s'est attachée à appliquer rigoureusement les règles de la concurrence. Bien entendu, cela ne signe pas la fin des regroupements et des alliances dans ce secteur. Qui peut prédire l'avenir, en particulier dans un secteur financier en perpétuel changement ? A cet égard, les nouvelles règles européennes vont elles-mêmes recomposer le paysage financier européen. C'est dans ce cadre prospectif que la Commission européenne doit sans cesse réévaluer les conditions du respect des règles de la concurrence.

Beaucoup de candidats plaident dans cette campagne pour l'encadrement des bonus.

Là aussi, nous avons agi. La directive européenne « CRD III » est en vigueur dans tous les pays de l'Union depuis janvier 2011. Elle exige que le versement des bonus soit étalé dans le temps et lié à une performance à long terme.

Nous vérifions en ce moment la bonne application de ces règles. Je suis prêt à aller plus loin si nécessaire. Par exemple en imposant un ratio chiffré entre la partie fixe et la partie variable de la rémunération, ou entre les rémunérations les plus élevées et les rémunérations les plus basses dans une même banque.

Enfin, beaucoup souhaitent la création d'une taxe internationale sur toutes les transactions financières. Là aussi, je suis très heureux que la Commission européenne inspire à ce point les programmes des candidats ! Notre proposition en la matière date du 28 septembre 2011 : la taxe porterait sur une assiette très large (sur toutes les transactions sur tous les produits financiers, avec des taux de prélèvement très faibles) et elle permettrait selon nos estimations de générer un revenu de 57 milliards d'euros par an.

Deuxième grande question : la régulation financière européenne ne risque-t-elle pas de pénaliser la croissance ?

On tombe ici dans la critique inverse de la précédente.

Il y a un vrai paradoxe dans ce débat : au moment où certains me disent qu'il faut aller plus loin et plus vite, d'autres me disent qu'il faut faire attention à ne pas tuer la croissance par un excès de règles.

Sur ce point, je ferai trois observations.

Tout d'abord, n'ayons pas la mémoire courte : ce qui a pénalisé la croissance, c'est justement le manque de régulation. C'est cela qui a conduit certaines institutions financières sur la voie des excès que l'on connait.

Ensuite, nous calibrons toutes nos propositions afin qu'elles tiennent compte des risques qu'une régulation trop rigide ferait peser sur le financement de l'économie.

Par exemple, notre proposition visant à augmenter les exigences de fonds propres des banques, qui est fidèle à l'accord de Bâle III, a été minutieusement calibrée pour éviter que les banques ne réduisent par contrecoup leurs prêts à l'économie.

Enfin, l'un des traits saillants de notre action consiste justement à diriger l'épargne vers des secteurs porteurs d'une croissance équilibrée plutôt que vers des placements risqués.

J'en prends quelques exemples :

- la proposition d'un passeport européen pour les fonds de capital-risque permettra d'attirer l'épargne vers l'innovation et les PME, qui jouent un rôle fondamental dans le financement des jeunes pousses innovantes ;

- nous venons également de proposer des mesures pour que les fonds d'entreprenariat social soient mieux identifiés et puissent lever des capitaux dans toute l'Europe. Il s'agit là d'orienter l'épargne vers des secteurs nouveaux, ou qui ne figuraient pas sur nos écrans radars parce que leur contribution économique est fortement sous-estimée, comme l'économie sociale et solidaire.

Ces exemples montrent les bénéfices que peut apporter une finance intelligemment régulée à l'économie réelle. La finance en tant que telle n'est pas l'ennemi. C'est la finance dérégulée qui pose problème, et à laquelle nous nous attaquons avec détermination au niveau européen.

Troisième question clef : l'Europe est-elle capable de proposer autre chose qu'un projet d'austérité ?

Là aussi, je voudrais rétablir quelques vérités.

J'entends parfois dire que la Commission promeut l'austérité au détriment de la croissance. La crise a mis en évidence l'irresponsabilité de nos comportements budgétaires. Je n'ai pas besoin de rappeler que le dernier budget en équilibre de la France remonte à 1975. Cette situation, nous en sommes tous responsables, à gauche comme à droite.

Il est donc nécessaire de consolider nos finances publiques, et nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau plan massif de relance budgétaire. Des pays comme le Canada et la Suède ont accompli cet effort d'assainissement il y a longtemps et ils résistent bien mieux à la crise.

Pour autant, une initiative européenne forte pour la croissance est urgente et indispensable. Qu'avons-nous fait ?

Nous avons adopté en avril 2011, avec une dizaine de mes collègues, l'Acte pour le marché unique qui contient douze leviers et autant d'actions clés pour faire revenir la croissance. Parmi ces douze actions clés, dix ont déjà été proposées par la Commission européenne. L'objectif est de créer un écosystème favorable à la croissance en Europe, notamment en décloisonnant nos économies entre elles.

Je pense en particulier au brevet unique européen, à la modernisation de la reconnaissance des qualifications professionnelles entre pays européens, aux « project bonds » ou encore à la construction d'un véritable marché unique numérique.

S'agissant des marchés publics et des concessions, j'entends les craintes. Notre proposition sur les marchés publics a été plutôt bien accueillie car elle simplifie et sécurise la commande publique. Sur les concessions, la loi « Sapin » de 1992, complétée par la loi de 1995 qui porte mon nom, a permis d'assainir ce secteur. La législation française est le modèle à suivre. Mais il faut aussi être conscient qu'il n'existe aucune législation européenne sur les concessions et que par conséquent, dans certains Etats membres, des concessions sont conclues en dehors de tout cadre juridique. Il y a donc un intérêt pour l'Europe à se doter d'une législation. Bien sûr, notre proposition peut être améliorée et je veillerai à ce que la législation française serve de référence.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous le voyez, l'Union européenne prend des initiatives ambitieuses pour répondre à la succession de crises que nous traversons toujours. Nos efforts en faveur d'une régulation financière intelligente, d'une meilleure gouvernance et d'une croissance plus forte et plus soutenable sont en bonne voie.

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