Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er décembre 2016 à 9h00
Politique de coopération — Mission d'observation électorale en géorgie : communication de m. pascal allizard

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Indépendante depuis le 9 avril 1991, la Géorgie a d'abord connu une guerre civile qui a conduit au renversement du nationaliste Zviad Gamsakhourdia en 1992 et au retour d'Edouard Chevarnadze, ancien premier secrétaire du Parti communiste géorgien et ministre des affaires étrangères de l'URSS. Une fois la guerre terminée, ce pouvoir fort a déplu et la contestation a gagné du terrain jusqu'en novembre 2003, où la « Révolution des Roses » a conduit au pouvoir le pro-occidental Mikhaïl Saakachvili, élu chef de l'État en 2004 et réélu en 2008. Le conflit armé avec la Russie, en août 2008, a créé une véritable union nationale, pourtant de courte durée. Et en 2012, les élections législatives ont donné le pouvoir à l'opposition réunie dans la coalition dite du « Rêve géorgien ».

Rappelons que la révision constitutionnelle de 2011 a fait de la Géorgie un régime parlementaire monocaméral où le Premier ministre concentre l'essentiel du pouvoir exécutif.

La Géorgie indépendante a opté pour une transition volontariste vers une économie libérale, qui lui a valu des embargos russes à répétition avant et après la guerre de 2008. Dès 2003, avec la Révolution des Roses, la Géorgie a fait le choix du rapprochement avec l'Union européenne et l'Otan. À partir de la guerre de 2008, les relations avec la Russie se sont distendues sans pour autant se rompre, malgré l'occupation par la Russie d'une partie du territoire géorgien et malgré la rupture des relations diplomatiques. En effet, la coalition du Rêve géorgien, présentée comme pro-occidentale mais proche des Russes, mène une politique d'accommodement et d'apaisement à l'égard de ces derniers, tout en refusant d'accepter l'annexion de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud.

La Géorgie peut être considérée comme le bon élève du Partenariat oriental et un accord d'association avec l'Union européenne a été signé le 27 juin 2014.

Lors des élections législatives, en octobre dernier, vingt-cinq partis concouraient. Les principaux thèmes de la campagne étaient la taille du secteur public dans l'économie, la priorité donnée à l'État de droit et plus particulièrement à l'indépendance de la justice - un sujet particulièrement prégnant -, le degré d'intégration euro-atlantique à travers les questions de l'adhésion à l'Union européenne et à l'Otan, et les relations avec la Russie. Les vingt-cinq partis concourant à l'élection se départageraient en fonction de la réponse qu'ils apporteraient à ces quatre questions.

Les élections législatives se sont déroulées en deux tours de scrutin, les 8 et 30 octobre derniers. Dans le cadre de ma mission, j'ai participé au contrôle du premier tour des élections, le 8 octobre, dans seize bureaux de vote situés dans un arrondissement populaire de Tbilissi.

Les citoyens de plus de 18 ans ont pu voter dans 3 600 bureaux sur place et plus de 50 à l'étranger, mais aussi dans les hôpitaux ou les prisons : c'est un système très différent du nôtre. En revanche, aucun bureau de vote n'a été installé dans les régions sécessionnistes d'Ossétie et d'Abkhazie, dont les indépendances ne sont reconnues, je le rappelle, que par la Russie, le Venezuela ou le Nicaragua. Dans ces régions, les titulaires de passeports géorgiens ont eu néanmoins la possibilité de se déplacer pour venir voter en Géorgie, mais peu ont fait ce choix.

Les Géorgiens ont été appelés à désigner, pour un mandat de quatre ans, les 150 membres du Parlement selon un système double : 77 sont élus à la représentation proportionnelle, à l'échelle nationale, et 73 au scrutin majoritaire à deux tours avec un seul siège à pourvoir par circonscription.

Les électeurs ont pu porter leur choix sur 25 formations politiques et 6 alliances de partis, une offre qui peut sembler pléthorique dans un pays de moins de quatre millions d'habitants. Cependant, dès avant l'élection, beaucoup d'électeurs géorgiens se trouvaient devant un dilemme : déçus par le Rêve géorgien au pouvoir depuis quatre ans, ils ne souhaitaient pas pour autant le retour de l'ancien président Saakachvili. J'ai pu l'observer au cours de mes trois séjours là-bas, dont deux avant les élections.

Pourtant, la compétition a tourné autour des deux principaux partis. Créé en 2011 par le milliardaire Bidzina Ivanichvili, le Rêve géorgien est arrivé au pouvoir lors des élections de 2012. Face à lui, le Mouvement national uni créé en 2001 par l'ancien Président Mikhaïl Saakachvili. Le leader de la Révolution des Roses, exilé depuis trois ans en Ukraine, où il a obtenu la nationalité, et désormais Gouverneur d'Odessa, rêve d'un retour triomphal en Géorgie, mais il fait toujours l'objet d'un mandat d'arrêt de la justice géorgienne pour abus de pouvoir...

Favorable à l'intégration de la Géorgie à l'Union européenne et à l'Otan, le Rêve géorgien a très nettement remporté les élections législatives de 2016, avec 115 sièges contre 27 au Mouvement national uni. De plus, l'Alliance des patriotes, ouvertement pro-russe, passe pour la première fois la barre des 5 % et obtient six sièges à l'Assemblée. C'est un résultat que personne n'attendait jusqu'à deux semaines avant le scrutin.

La bonne tenue de ces élections parlementaires de 2016 est un signe encourageant pour ce pays fragile, à l'environnement instable, dont l'État s'est trouvé affaibli après la crise de 2008 avec la Russie.

Les représentants de l'Otan ont considéré que la Géorgie avait, à l'occasion de cette élection, confirmé son statut de leader dans la transformation démocratique de la région, estimant que cette élection encourageait grandement ceux qui soutiennent l'intégration euro-atlantique du pays. Les avis de l'Otan et de l'OSCE sont convergents sur ce point.

Il convient de se féliciter du résultat très net des élections, même s'il a pour corollaire un écrasement de l'opposition dont les droits ne sont pas garantis à l'Assemblée comme ils le sont dans les vieux parlements occidentaux.

Le renforcement du bipartisme est aussi un facteur positif de stabilité pour une jeune démocratie qui aurait pu être tentée par l'éparpillement des votes entre vingt-cinq partis. Mais une majorité aussi écrasante ne risque-t-elle pas de faire perdre au pouvoir en place le sens de la mesure ?

Au-delà, le maintien au pouvoir du Rêve géorgien garantit la pérennité d'une politique pro-occidentale modérée. Le Rêve géorgien recherche une forme d'équilibre entre l'Est et l'Ouest qui, certes, ne favorise pas le règlement du conflit gelé en Abkhazie et en Ossétie, mais permet du moins de maintenir le statu quo. La marge de manoeuvre de la Géorgie face à la Russie est étroite, mais ce parti a su jusqu'ici l'exploiter habilement à son profit.

Enfin il faut considérer qu'une jeune démocratie a besoin de stabilité ; la progression qualitative dont témoigne ce scrutin y contribue.

La notion de bonne tenue des élections mérite une mise en perspective : nous ne tolérerions pas le dixième de ce qui s'y passe ! Un candidat a vu sa voiture détruite, un autre a été visé par des tirs, un pugilat a éclaté à l'Assemblée nationale deux semaines avant le scrutin... Cependant, depuis vingt ans, ce genre d'incidents se produit de plus en plus rarement. Les élections se pacifient.

Le principal danger de triche résidait dans la pratique de la « cavalerie électorale ». En Géorgie, l'électeur, en pénétrant dans le bureau de vote, passe par un contrôle d'identité avant de se voir remettre un bulletin comportant la liste des candidats. Il appose ensuite une croix en face du nom du candidat de son choix. Le bulletin est validé auparavant par un tampon et par la signature des assesseurs. La fraude est la suivante : un électeur se procure un bulletin portant un tampon et une signature falsifiés, et déjà rempli. Il reçoit, à l'entrée, le bulletin authentique ; il glisse dans l'urne le faux bulletin et conserve le vrai, qu'il remet à sa sortie à un mafieux local. Celui-ci appose la croix en face du nom du « bon » candidat et le remet à un autre, qui se fait remettre un autre bulletin, et ainsi de suite pendant toute la journée...

Notre rôle consistait par conséquent à surveiller à la fois les alentours des bureaux de vote et l'intérieur, où chacun des vingt-cinq partis postait un observateur. Globalement, aucun incident majeur n'a été constaté.

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