Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 5 juin 2013 : 1ère réunion
Recherche et propriété intellectuelle- surveillance de l'espace texte e 8141 : proposition de résolution de m. andré gattolin

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

La proposition de décision de la Commission européenne sur la surveillance de l'espace concerne surtout les objets et les débris en orbite. Au préalable, j'aimerais vous rappeler un événement qui est passé relativement inaperçu, mais qui témoigne, à mon sens, de l'importance stratégique de ce sujet. En janvier 2007, la Chine a détruit un de ses propres satellites météorologiques pour démontrer sa capacité à procéder à des tirs antisatellites. La stupeur provoquée dans la communauté internationale tint alors moins à la puissance militaire chinoise qu'aux menaces que les 2 500 débris supérieurs à 10 cm et les plusieurs dizaines de milliers de particules ont soudain fait planer sur l'ensemble des satellites en orbites autour de la terre. Les conséquences d'une collision avec un débris de cette taille peuvent être catastrophiques pour un satellite, voire entraîner sa destruction !

La collision est le risque principal qui pèse sur les infrastructures et les véhicules spatiaux. C'est la raison pour laquelle la surveillance de l'espace est une activité stratégique, objet du projet de décision soumis au Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution.

L'Union européenne est en train de devenir une grande puissance spatiale. Ses deux programmes phares, Galileo pour la géolocalisation et GMES (Global monitoring for environment and security) pour l'observation de la Terre, récemment renommé Copernicus, s'appuieront chacun sur une galaxie de 30 satellites. Il n'y a toutefois pas à ce jour de surveillance européenne de l'espace, celle-ci restant principalement assurée par la France et l'Allemagne. Elle s'appuie notamment sur le radar militaire français GRAVES, qui fait de la France le deuxième acteur mondial du secteur - certes loin derrière les États-Unis. L'Europe n'en a pas moins besoin d'une surveillance civile de l'espace, tant nos sociétés sont devenues dépendantes des services qu'offrent nos satellites.

C'est pourquoi la France demande depuis 2008 au Conseil que soit mis en place un programme de l'Union européenne. En dépit des performances françaises et de la bonne collaboration entre les ministères français et allemand de la défense, nous restons très dépendants des États-Unis. L'espace est en outre également devenu un enjeu pour les puissances émergentes comme le Brésil et la Chine. Cette dernière, comme la Russie, dispose sans doute de capacités de surveillance mais nous ignorons précisément lesquelles. Bref, pour conserver son avance, l'Union européenne doit disposer d'un programme de surveillance de l'espace, afin d'instaurer un système d'alerte portant sur le risque de collision et sur la rentrée des objets dans l'atmosphère.

Le programme envisagé à cette fin par la Commission reposerait d'abord sur la mise en réseau des capteurs nationaux existants (radars, télescopes, satellites) afin de surveiller et de suivre la trajectoire des objets spatiaux. L'établissement d'un système de traitement et d'analyse des données récoltées par le réseau de capteurs détecterait et identifierait ensuite les objets pour en dresser un catalogue. Enfin, le déploiement d'un système de fourniture de services aux opérateurs de véhicules spatiaux et aux autorités publiques serait nécessaire pour évaluer les risques de collision, détecter évaluer les risques d'explosions ou de destruction en orbite, et alerter des risques de rentrée d'objets dans l'atmosphère.

Ces services devraient être fournis aux États membres, au Conseil, à la Commission, au Service européen d'action extérieure (SEAE), ainsi qu'aux opérateurs publics et privés d'engins spatiaux et aux autorités publiques chargées de la protection civile, dans le respect de la protection des données à caractère militaire et stratégique.

La Commission seule serait en charge de la gouvernance du programme, donc de sa mise en oeuvre et de son suivi, de la gestion des fonds alloués et des risques associés, et de la garantie de la sécurité du programme en collaboration avec le SEAE. Enfin, elle devrait établir un plan de travail pluriannuel de mise en oeuvre par le biais de mesures d'exécution. En complément, le centre satellitaire de l'Union européenne (CSUE) serait chargé de la fourniture des services aux différents opérateurs de véhicules spatiaux.

Ce projet est très critiquable. Il y a une énorme disproportion entre l'investissement minime de l'Union européenne dans ce programme et sa mainmise sur un dispositif et des infrastructures qui relèvent au départ de la souveraineté des États membres. Les informations recueillies de la surveillance de l'espace sont des informations sensibles. Le radar GRAVES est un radar militaire, qui vise d'abord à observer la présence dans l'espace de satellites qui menaceraient notre sécurité. On ne saurait créer un système civil de surveillance de l'espace sans associer les États membres à sa gouvernance, surtout lorsqu'ils fournissent les informations...

En outre, le CSUE est une agence dont la mission principale est la production et l'exploitation d'informations résultant de la surveillance de la Terre depuis l'espace, ce qui diffère grandement de l'observation de l'espace depuis la Terre. Le CSUE est en effet dépourvu des compétences en trajectographie nécessaires pour évaluer l'évolution des orbites des débris spatiaux. Vouloir le faire participer, en l'état, à un dispositif de surveillance de l'espace est très maladroit de la part de la Commission. Celle-ci n'apporte pas même la preuve d'une réelle ambition européenne pour ce programme : elle propose la mise en réseau de capteurs existants, mais ne prévoit ni d'investir pour les moderniser, ni de créer de nouveaux radars au niveau européen. Le budget envisagé serait de 70 millions d'euros seulement pour les sept prochaines années.

En résumé, le programme serait européen parce que la Commission en aurait la charge, mais il continuerait à s'appuyer sur les mêmes infrastructures de surveillance et sur le savoir-faire des administrations de la défense française et allemande.

La France ne peut accepter que la Commission européenne nous demande de mettre à sa disposition un des radars les plus performants au monde sans contrepartie. La modernisation du radar GRAVES est nécessaire, et elle a un coût dont il est normal que la Commission assume une partie s'il doit être mis au service de l'Union européenne.

Nos partenaires européens pourraient toutefois se contenter du texte de la Commission. Beaucoup se satisfont des informations fournies par la France et l'Allemagne et un certain nombre d'entre eux, comme le Royaume-Uni, préfèrent rester dépendants des États-Unis plutôt que de dépenser de l'argent dans un nouveau programme. Dans une Europe où les décisions se prennent à 28, la France ne peut se permettre d'être isolée, même si, en la matière, elle est l'acteur principal.

Si nous voulons que les choses progressent, nous devons faire preuve de pragmatisme et de raison. Ces sept prochaines années, les avancées seront limitées car l'accord trouvé au Conseil sur le cadre financier pluriannuel laisse peu de place aux investissements dans la politique spatiale. Les programmes spatiaux sont des programmes de long terme et il vaut mieux de réelles avancées qu'un projet trop ambitieux ayant peu de chances d'aboutir.

C'est le sens de la proposition de résolution que je vous soumets. En matière de gouvernance, il s'agit de rappeler que nous soutenons la création d'un programme européen de surveillance de l'espace de nature civile, mais qu'il faut tenir compte du fait que les informations captées ont un caractère militaire et sont donc sensibles pour la sécurité des États. Ceux qui les fournissent ne peuvent être exclus du système de gouvernance. Les deux principaux acteurs, la France et l'Allemagne, doivent se rapprocher pour proposer une solution de nature à garantir la confidentialité des informations recueillies. J'ajoute que les États-Unis pourraient être légitimement tentés de restreindre la coopération qu'ils entretiennent aujourd'hui avec des pays comme la France si les informations qu'ils nous communiquent profitent à des États avec lesquels ils n'ont pas la même relation de confiance.

Les contraintes budgétaires vont limiter les investissements dans les infrastructures. C'est pourquoi, dans un premier temps, ils devraient se concentrer sur l'amélioration et la modernisation des infrastructures existantes. Notre gouvernement doit convaincre nos partenaires ainsi que la Commission que participer à la modernisation du radar GRAVES est l'investissement le plus judicieux qui puisse être fait.

Le budget alloué au programme est trop faible et il mérite d'être augmenté. La Commission envisage de recourir aux budgets des deux grands programmes Galileo et GMES-Copernicus pour alimenter le programme de surveillance de l'espace, alors que ces programmes ont vu leur enveloppe fortement réduite dans l'accord sur le CFP : il serait donc dangereux d'envisager qu'on les mette à contribution pour un autre objectif que le leur. Une autre solution mériterait d'être étudiée.

Je suis un européen convaincu, partisan de politiques européennes et d'une solution intégrée, mais en l'absence de centre de décision européen qui implique les principaux acteurs du projet, je vous invite à prendre en compte nos intérêts nationaux.

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