La taxe sur les transactions financières (TTF) est un sujet complexe et toujours d'actualité. La Commission européenne a présenté une nouvelle proposition de directive, ambitieuse, qui reprend pour l'essentiel les dispositions du texte qui n'avait pas obtenu l'accord des 27 États membres. L'absence de modifications profondes émanerait d'une demande expresse des onze États membres entrés dans la coopération renforcée. Certains pensaient qu'il fallait partir d'un haut niveau d'exigence avant d'entrer dans la négociation et qu'il serait toujours temps d'en rabattre ensuite sur les ambitions de la taxe. Cette tactique a, au contraire, incité les adversaires de la taxe à reprendre les hostilités et à soulever toutes les questions techniques restées jusque-là en suspens.
Le champ d'application, comme les objectifs de base et de taux, restent les mêmes que dans la proposition initiale de 2011. L'approche reste toujours de taxer l'ensemble des transactions ayant un lien, non plus avec l'Union européenne comme précédemment, mais avec la zone où s'appliquerait la TTF, dite « zone TTF », c'est-à-dire le territoire des onze pays de la coopération renforcée.
Les taux de 0,1 % sur les actions et obligations et de 0,01 % sur les produits dérivés restent d'actualité. Quant au produit attendu, calculé sur la base des onze États concernés, il s'inscrit dans une fourchette de l'ordre de 30 à 35 milliards par an.
Quelques modifications limitées ont été apportées par rapport à la proposition initiale de 2011, dues au fait que la taxe sera appliquée sur un territoire géographique plus restreint. Elles visent essentiellement à assurer la clarté juridique et à renforcer la lutte contre l'évasion fiscale et les abus.
Malgré le premier échec subi par le texte de 2011 et malgré le contexte politique et économique délicat, la Commission a maintenu ses trois grands objectifs et a même renforcé la lutte contre le contournement de la taxe.
En premier lieu, la Commission maintient que la TTF renforcera le marché unique en réduisant le nombre d'approches nationales divergentes en matière de taxation des transactions financières. Plusieurs États membres ont déjà des taxes sur les transactions financières. La portée de cette harmonisation restera toutefois limitée tant que, en matière de fiscalité de l'épargne et en matière d'impôts sur les sociétés comme sur les particuliers, les plus grandes disparités persisteront au sein de l'Union européenne.
Également, la Commission prétend toujours faire contribuer le secteur financier de manière équitable et substantielle aux recettes publiques. Pourtant, dans les faits, la taxe sera acquittée par l'épargnant et l'investisseur, le secteur financier se contentant de l'encaisser au profit du fisc. Il ne s'agit donc pas d'une nouvelle contribution du secteur financier aux recettes publiques. Pour atteindre ce but, il aurait fallu augmenter, comme au Royaume-Uni, la taxation pesant sur les résultats du secteur financier.
En outre, la Commission veut inciter le secteur financier à pratiquer des activités plus responsables et orientées vers l'économie réelle. C'est l'objectif le plus intéressant du projet : le taux proposé pour les dérivés devrait conduire à un arrêt de cette pratique et, pour les actions et obligations, à une diminution des échanges. En France, le trading a pratiquement disparu grâce à l'introduction de cette taxe. Le projet de TTF prend tout son sens pour les dérivés. Les volumes sont importants, ils seront bientôt mieux connus grâce à l'application de la directive EMIR. Ces transactions touchent peu les particuliers et elles augmentent l'instabilité des marchés.
Enfin, comme dans la proposition initiale, la taxe sera due dès que l'une des parties à la transaction sera établie dans un État membre participant, indépendamment de l'endroit où la transaction aura lieu. La nouveauté consiste à combiner ce principe avec le principe du lieu d'émission, ce qui ajoute une garantie supplémentaire contre le contournement de la taxe. Selon ce principe, les instruments financiers émis dans les onze États membres entrés dans la coopération renforcée seront imposés lorsqu'ils seront négociés, même si ceux qui les négocient ne sont pas établis dans la zone TTF. Ainsi la taxe ne sera pas due uniquement par les ressortissants de la zone où elle a été établie mais reposera sur une base extraterritoriale, ce que les pays qui ne l'ont pas instaurée refusent d'accepter.
Au fur et à mesure que progresse la négociation sur le projet de TTF, il semble de plus en plus que la TTF aura surtout pour vertu d'apporter une recette publique supplémentaire en des temps budgétaires difficiles. C'est dommage, car la TTF bien calibrée reste un outil intéressant.
Cette nouvelle proposition a déjà été discutée lors de deux réunions techniques et au sein du groupe de travail des Onze. Mais le contexte actuel complique une négociation déjà très tendue et à laquelle assistent tous les États membres et pas seulement les Onze de la coopération.
Le contexte politique et électoral est peu favorable à la négociation. Certains États participant à la coopération renforcée (Allemagne, Autriche) sont déjà entrés en pré-campagne électorale ce qui ralentit le processus, ces États étant moins pressés de prendre des positions risquées politiquement. Le Royaume-Uni, désireux de défendre la place de Londres et hostile à la taxe, connaît une montée de l'euroscepticisme qui a conduit le Premier ministre à lancer un audit sur l'appartenance du Royaume à l'Union européenne et à promettre un référendum sur le maintien de l'adhésion du Royaume à l'Union européenne.
Dans ces conditions, il n'était guère surprenant que l'Angleterre introduise un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre la TTF, appuyée par le Luxembourg et soutenue moralement par les États-Unis. Elle met en avant les aspects négatifs que la taxe pourrait avoir pour les pays qui n'y adhèrent pas et notamment pour la place financière de Londres. Pour l'Angleterre, Londres est la place financière de l'Europe. L'affaiblir, c'est affaiblir l'Europe et déporter les transactions sur les autres continents. Le Luxembourg ajoute qu'elle frapperait les opérateurs extérieurs à la zone et renchérirait un grand nombre d'opérations qui finiraient par être délocalisées.
De plus, dans une période de taux bas, de croissance atone et de pression fiscale accrue, il est naturellement difficile de proposer de renchérir le coût de l'argent au moment même où les banques centrales pratiquent des « accommodements » pour faciliter l'abondance et la circulation de la liquidité. Le projet de TTF apparaît, dans une certaine mesure, en contradiction avec la politique monétaire de la BCE.
Quant aux résultats des études d'impact, ils indiquent que la TTF, telle qu'elle est conçue dans le projet actuel pourrait avoir une incidence sur les rachats d'obligation souveraines et renchérirait à terme le financement de la dette publique. Elle entraînerait une contraction du PIB de l'Union européenne de 0,3 % (c'est une estimation moyenne entre l'estimation de la Commission - 0,53 % - et celle du Groupe socialiste du PE - 0,1 %), une baisse du volume des opérations en actions de 15 % et une baisse du volume des opérations sur dérivés de 75 % qui conduiraient le secteur financier à détruire à nouveau des emplois. Naturellement, ces études d'impact doivent être prises avec prudence, mais on ne peut ignorer cet avertissement.
Enfin, la concurrence exercée par d'autres sujets de l'actualité européenne financière comme l'union bancaire, la nouvelle gouvernance économique, l'évasion fiscale ou le secret bancaire ont tendance à reléguer le projet de TTF au second plan. La communication discutable de la Commission, en particulier du commissaire à la fiscalité, M. Algirdas emeta, aggrave la mésentente entre les États membres et entre les Onze.
En effet, oubliant que la coopération renforcée en matière fiscale est une première, M. emeta a considéré la TTF comme un principe acquis et s'est risqué à présenter une proposition peu différente de celle qu'il avait soumise aux 27 États membres dans un premier temps. Il n'a pas tenu compte des raisons qui ont conduit au rejet de son premier texte, ni des demandes de modification émises par les États membres sur les taux, la perception de la taxe en cascade et l'absence d'exonération sur les fonds de pension et les fonds communs de placement. Le commissaire européen semble considérer la coopération renforcée comme un simple moyen pour parvenir à la même fin que celle qu'il se proposait en septembre 2011 : contraindre même ceux qui ne souhaitent pas adopter la TTF. Cette approche ne peut que renforcer les tensions entre les États membres.