Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 mai 2015 à 8h35
Environnement — Perspectives de l'union européenne pour le climat et l'énergie : communication de mme fabienne keller et m. jean-yves leconte

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Avec mon collègue Jean-Yves Leconte, nous avons participé à Bruxelles, le lundi 30 mars dernier, au siège du Parlement européen, à une réunion interparlementaire rassemblant des élus du Parlement européen, le commissaire européen à l'énergie et au climat M. Cañete, et des élus de parlements nationaux (membres de commissions du développement durable ou de commissions des affaires européennes). L'enjeu de la COP 21 y a été largement traité. Je ne regretterai qu'une chose : l'absence de décision opérationnelle à l'issue de cet événement, même si un large consensus était palpable sur la stratégie volontariste à suivre. Deux points particuliers : d'abord une crainte perceptible du Parlement européen de devoir céder ses prérogatives sur le sujet, et ensuite la question de la répartition des rôles entre le commissaire Cañete d'une part et la Haute représentante pour les affaires étrangères et la sécurité d'autre part, dont certains attendent un engagement plus substantiel sur cette question du climat. En résumé, une réunion témoignant utilement de l'existence des Parlements sur le sujet mais si exister c'est bien, décider c'est encore mieux.

La principale disposition du Protocole de Kyoto a été d'inciter au développement d'un marché du carbone afin de contribuer à la réduction d'émissions de GES.

Un marché du carbone consiste à attribuer un prix au droit à émettre des gaz à effet de serre afin d'inciter des acteurs - États ou entreprises - à réduire leurs propres émissions en échangeant entre eux des « droits à polluer ». Un « quota » correspond à l'autorisation d'émettre une tonne d'équivalent de dioxyde de carbone.

Un certain nombre de marchés de quotas ont été mis en place à ce jour, notamment deux : le marché de quotas issu du protocole de Kyoto et le marché européen d'échange de quotas - le Système Européen de Quotas d'Émissions. Je l'appellerai le « Système européen » pour la suite de l'exposé.

Le protocole de Kyoto a posé les bases d'un marché international, grâce à trois mécanismes de flexibilité destinés à aider les 38 pays les plus industrialisés signataires du protocole à respecter leurs objectifs de réduction, je les rappelle :

- un mécanisme international d'échange. Des droits d'émissions sont distribués aux pays en fonction de leurs objectifs de réduction d'émissions de GES fixé par le protocole. Ces droits sont vendables à d'autres États ;

- le Mécanisme de Développement Propre (MDP) octroie des crédits d'émission de GES, aux pays investissant dans des projets réduisant les émissions de GES dans des pays en voie de développement ;

- la Mise en OEuvre Conjointe (MOC) permet d'obtenir des crédits, grâce à l'investissement dans des projets réalisés dans d'autres pays industrialisés.

Un effet pervers est né de cette possibilité donnée aux entreprises européennes d'utiliser les crédits internationaux - dits crédits Kyoto - pour remplir une partie de leurs obligations de réduction d'émission. Ainsi, dans l'Union, sur les deux milliards de tonnes de CO2 « non émises » par les industriels au cours de cette période, un milliard provient de projets réalisés dans des pays tiers. Pour l'essentiel, il s'agit de projets Mécanisme de Développement Propre, dont les crédits, échangés à moins de 1 € la tonne, ont permis aux industriels de remplir leurs obligations à moindre coût, et qui ont dans leur immense majorité profité aux pays émergents et pas aux pays les plus pauvres qui en auraient eu le plus besoin. L'UE a agi pour résorber ce déséquilibre en limitant le recours aux crédits en provenance des pays les moins avancés.

Le fonctionnement d'un marché carbone est basé sur un plafonnement des émissions pour chaque émetteur de GES. L'existence de ce plafond doit créer la rareté nécessaire pour stimuler les échanges. Le prix des quotas est déterminé par l'offre et la demande. Mais contrairement aux autres marchés, il n'y a pas de flexibilité de l'offre. Les différents acteurs - entreprises ou États - doivent acheter des quotas supplémentaires s'ils polluent plus que leur plafond autorisé.

En cas de non-respect du plafonnement, les sanctions varient : les pays du Protocole de Kyoto ne peuvent plus vendre de permis jusqu'à ce que le Comité du respect des engagements leur restitue leurs droits. Des pénalités financières sont prévues dans le cadre du Système européen.

De nombreux pays se sont ainsi engagés dans la constitution de marchés nationaux ou régionaux du carbone : au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Japon ou encore au Mexique. Il n'existe actuellement pas d'interconnexions directes entre les différents marchés de droits à émettre des GES mais quelques interconnexions indirectes via les mécanismes de projets.

Instauré en 2005 au niveau européen, le système européen d'échange de quotas d'émissions constitue le plus important système d'échange des crédits d'émission de gaz à effet de serre. Il vise à atteindre les objectifs de l'Union européenne dans le cadre du protocole de Kyoto. Il se trouve actuellement en phase 3 depuis le 1er janvier 2013 et jusque 2020.

Quels sont les principes de fonctionnement du Système européen ?

Un exploitant - producteur d'électricité, raffinerie de pétrole, entreprise de fabrication de carton, industriel, etc. - obtient, pour une période donnée, le droit d'émettre un certain volume de CO2 qui lui est accordé sous la forme de permis d'émission. Sous ce plafond, les entreprises reçoivent, ou achètent, des quotas d'émissions qu'elles peuvent échanger avec une autre entreprise. L'offre limitée de quotas d'émissions disponibles leur confère une valeur marchande. Le Système européen a pour philosophie d'inciter les industriels à investir dans des technologies propres et un prix du carbone suffisamment élevé est de nature à encourager cet investissement.

En 2009, une réforme importante a permis de renforcer le système : ainsi la mise aux enchères devient le mode d'allocation normal des quotas et remplace progressivement les allocations gratuites des deux premières phases ; depuis 2013, plus de 40 % des quotas ont ainsi été mis aux enchères, et cette proportion croîtra progressivement chaque année. Pour votre information, les recettes totales de l'UE tirées des enchères se sont élevées à 3,6 milliards d'euros, dont 200 millions d'euros pour la France, 800 millions pour l'Allemagne. La directive établissant le Système européen prévoit qu'au moins 50 % des recettes de la mise aux enchères doivent être utilisés par les États membres à des fins liées au climat et à l'énergie.

Pour autant, le Système européen est actuellement confronté à un surplus de quotas, lié en large partie à la crise économique qui a contribué à une réduction des émissions de GES plus élevée que prévu. Un important déséquilibre entre l'offre et la demande de droits d'émissions se traduit donc par un excédent d'environ 2 milliards de quotas, qui devrait croître dans les années à venir pour atteindre plus de 2,6 milliards de quotas d'ici à 2020.

De ce fait le prix de la tonne équivalent CO2 est tombé à 6 € eu lieu de 27 € en 2008 par exemple. Le « signal-prix » est réduit à néant. La Commission a donc proposé de créer un mécanisme de réserve de stabilité, à mettre en oeuvre au début de la prochaine période pour réguler les flux de quotas et conserver une valeur incitative aux investissements dans les stratégies industrielles bas-carbone. Ces efforts pour rééquilibrer le marché seront soutenus aussi par une accélération de la baisse du plafond annuel d'allocation de quotas qui passera de 1,74 % à 2,2 % pour la période 2013-2020.

Le Système européen concerne actuellement en Europe près de 14 000 installations fortement émettrices de GES (plus de 1 000 en France) dans les secteurs de l'énergie, la production et la transformation des métaux ferreux, l'industrie minérale, la fabrication de pâte à papier, et la fabrication de papier et de carton. Les vols aériens de la plupart des 31 pays participant au Système européen sont inclus dans ce marché.

Par ailleurs, une autre démarche européenne, dite du « partage de l'effort », concerne les secteurs non couverts par le système d'échange de quotas : agriculture, transports terrestres, logement et bâtiments, petites installations industrielles et déchets, tous secteurs qui d'ailleurs émettent le plus : quelque 55 % des émissions. L'engagement de l'Union vise ainsi à diminuer, d'ici 2030, les émissions de GES de ces secteurs de 30 % par rapport à 2005, et à répartir, entre les États membres, cet objectif global européen. Cette répartition par pays doit se faire selon des principes équitables prenant en compte le produit intérieur brut.

Nous voudrions formuler trois observations en guise de conclusion. Trois points qui restent à ce jour encore préoccupants au regard des attentes fortes placées dans la COP 21 et ses résultats :

Tout d'abord les « contributions » des grands pays pollueurs.

Il avait été décidé à Lima en décembre dernier que les pays « qui le pouvaient » remettent au Secrétariat de la Convention Climat, avant le 31 mars de cette année, leurs « contributions » décrivant leurs politiques de réduction des émissions de GES. Six pays ont tenu cet engagement (plus l'Union européenne représentant ses 28 États membres) : Suisse, Russie, États-Unis, Gabon, Mexique et Norvège. Au total, ces contributions ne couvrent que 25 % des émissions mondiales.

Si les États-Unis sont donc « dans les temps », ce n'est pas encore le cas de la Chine. Les deux plus gros pollueurs mondiaux ont conclu un accord bilatéral le 12 novembre dernier. Les États-Unis s'y sont ainsi engagés à diminuer de 26 à 28 % leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2025, par rapport à leur niveau de 2005.

La Chine s'est engagée à atteindre un pic de ses émissions de gaz à effet de serre « autour de 2030 » et à porter à 20 % la part des sources non polluantes dans la production énergétique du pays. En d'autres termes, jusque-là la Chine va continuer à émettre, mais après des efforts seront mis en place pour inverser la courbe. Le plus gros émetteur de gaz à effet de serre n'a donc pas promis de diminuer ses émissions, mais seulement de stopper leur augmentation.

Pour leur part, les États-Unis ont fixé leur engagement par rapport au niveau d'émissions atteintes en 2005, soit la deuxième année la plus noire depuis 1990, ce qui relativise l'ambition de la promesse.

On reste aussi dans l'attente de la contribution de l'Inde, troisième pollueur mondial qui a néanmoins - c'est un fait nouveau - accepté de s'engager contre le réchauffement climatique, sinon en s'engageant sur des réductions d'émission de GES, en investissant fortement dans le développement des énergies renouvelables et celui de son parc nucléaire.

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