Monsieur le Premier ministre, messieurs les présidents, mes chers collègues, cette présentation permet de poser les termes du débat, qui est de fait un débat politique, quoi que vous en disiez, car il n'est pas seulement technique. Il intéresse l'ensemble de nos concitoyens, et, partant, devient un sujet politique, au sens noble du terme. Au fond, il revient à faire un choix d'organisation du monde économique, pour aujourd'hui et pour demain. Le libéralisme, qu'il soit régulé, réglementé, modéré, est un choix d'organisation économique du monde.
Ce texte nous inspire des réserves, car, finalement, il consacre un nouveau recul de la puissance publique dans la marche du monde. J'ai en tête ce que l'on vit aujourd'hui sur le plan fiscal, par exemple. Ainsi, les multinationales choisissent de payer tel montant d'impôt dans tel pays, réclamant même des exceptions à la loi fiscale que les États déterminent eux-mêmes en pleine souveraineté. On peut imaginer que, demain, d'autres « coups de force » soient décidés par les multinationales pour défier les États, donc les peuples et les citoyens.
J'ai eu la chance de me rendre en Californie au printemps dernier, au nom de la commission des finances du Sénat, avec plusieurs de mes collègues, pour travailler sur le sujet de la fiscalité du numérique, qui est très complexe et pour lequel il va falloir inventer quelque chose d'efficace rapidement. Nous avons pu constater, en visitant les différents campus des grands groupes du numérique, c'est-à-dire Google, Apple, Facebook et Amazon, et en rencontrant leurs dirigeants, que ces gens peuvent demain gérer le monde sans les États. Pour tout dire, je pense même que tel est leur projet. Leur vision du monde économique de demain s'articule autour de 40 ou 50 multinationales en face de 6 ou 7 milliards d'êtres humains, par-dessus les États. En effet, au-delà des services qu'ils fournissent aujourd'hui, contre espèces sonnantes et trébuchantes, ces grands groupes investissent également dans l'éducation, dans la santé, dans la formation, en lieu et place des États, mais pas nécessairement avec le même objectif final, ce qui ne laisse pas de m'inquiéter.
Vous avez parlé de la réaction du parlement wallon, qui vient de donner son avis très clair sur la CETA, lequel s'inspire de la même philosophie que le TTIP. À mon sens, nos amis wallons posent le vrai problème de fond dans ce débat. Je ne me situe pas forcément dans le camp des TTIPistes ou TAFTAistes. Il s'agit d'un sujet qui concerne tous les citoyens.
Où est aujourd'hui cette puissance européenne, que vous évoquez, quand le continent est divisé, mis en concurrence, fiscalement, socialement ? À l'évidence, nous sommes en état de faiblesse face à la puissance américaine. Nous avons certes des projets européens différents, mais nous sommes tous convaincus que l'Europe doit être tirée vers le haut, avec un vrai projet politique qui rende la vie meilleure pour tous, ce qui n'est pas le cas actuellement.