Intervention de Edouard Balladur

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 octobre 2016 à 9h35
Politique commerciale — Audition de M. édouard Balladur ancien premier ministre sur les négociations relatives au ttip

Edouard Balladur, ancien Premier ministre :

je reconnais bien volontiers que ce problème existe dans la famille politique dont je suis issu, à savoir la droite. Il y a sur la question du degré auquel il faut garantir la souveraineté nationale ou la coordination européenne des désaccords profonds. Il y en a aussi au sein de la gauche, et l'on retrouve parfois des convergences transpartisanes.

J'ai la conviction que nous ne resterons pas éternellement avec une zone euro dans laquelle on n'est pas maître de sa monnaie, mais où l'on demeure maître de sa fiscalité, de son budget, de ses transferts sociaux. C'est ou l'un ou l'autre. Si l'on veut retrouver une souveraineté totale, il faudrait retourner au franc, et nous en verrions alors les conséquences.

Je suis cependant embarrassé par ma réponse, qui pointe la difficulté sans laisser entrevoir de solution. Mais faisons confiance au temps : il fut une époque, que la plupart d'entre vous n'ont pas connue, où il était question d'une coordination militaire entre la France et l'Allemagne. Ce projet, vieux de 60 ans, et qui avait pour nom la CED, a été rejeté à l'époque ; maintenant, tout le monde appelle de ses voeux la création d'une armée européenne.

Vous avez raison, j'ai parlé d'une puissance européenne, mais je reconnais qu'elle n'existe pas en ce moment, pour la bonne et simple raison qu'elle ne veut pas exister. Pourquoi ? Justement parce que l'on n'a pas tranché pour savoir jusqu'où l'on veut aller dans la coordination entre États européens.

Ce choix est très difficile à faire, surtout pour les hommes de ma génération, qui ont vu les effets de la guerre sur notre pays et savent combien le fait de retrouver son indépendance est important. Pourtant, j'en suis convaincu, il faut que nous sachions organiser une interdépendance des pays européens les uns avec les autres, faute de quoi aucun pays, même pas l'Allemagne, ne s'en sortira tout seul. Telle est mon intime conviction, même si je reconnais que je ne suis pas en mesure de proposer une solution rapide. J'irai même plus loin : si l'on me demandait demain d'accepter que le niveau de l'IS en France soit décidé par l'Europe et non par la France, j'aurais beaucoup de mal à m'y résigner. Et je pense que tout le monde autour de cette table est à peu près dans le même état d'esprit.

Monsieur Poniatowski, je note que vous êtes d'accord avec moi sur la publicité des négociations. Je me réjouis que les sénateurs souhaitent être plus amplement informés qu'ils ne le sont actuellement par les négociateurs gouvernementaux. En revanche, je ne suis pas capable de répondre à votre remarque sur les marchés publics énergétiques, pour lesquels les Américains seraient plus ouverts qu'on ne le dit. C'est sans doute vrai mais, grosso modo, les lois américaines font le plus souvent prévaloir la préférence nationale dans les marchés publics. Or rien de tel n'existe pour les entreprises françaises. D'ailleurs, l'Europe ne l'accepterait pas. Pire, pour obtenir une véritable concurrence au sein de l'Union européenne, on a affaibli un certain nombre de grands groupes européens dans la concurrence internationale.

M. Vaugrenard a évoqué le rôle de la Commission de Bruxelles. Je suis d'accord, elle a un rôle de négociation, la décision finale incombant au Conseil. Cependant, elle a un rôle de négociateur exclusif pour les questions qui sont de la compétence de l'Union. Le problème, dans notre affaire, c'est que l'on a ajouté aux éléments tarifaires des éléments non tarifaires, qui sont normalement de la compétence des États. Ces derniers ont donc donné mandat à la Commission à l'unanimité pour négocier en leurs lieux et places. Pour finir de vous convaincre de mon impartialité politique, je me demande même si la droite n'était pas au pouvoir à l'époque... Si tel était le cas, ce ne serait pas de nature à m'émouvoir particulièrement, car le résultat est le même : nous sommes devant une négociation dans laquelle le négociateur, à savoir la Commission, ne veut pas donner suffisamment d'informations - je crois savoir que l'accès aux documents a été organisé dans des conditions absolument rocambolesques. Vous avez déclaré avoir été surpris que le président Larcher fasse appel à moi, mais si mon intervention vous permet d'être mieux informé, vous n'aurez pas lieu de le regretter. Nous verrons bien.

Enfin, pour stigmatiser le libéralisme, vous avez utilisé la métaphore du renard dans le poulailler. Je suis très à l'aise sur ce sujet, car j'ai en mon temps concouru à mener une politique libérale sur le plan économique. Pourtant, on m'a reproché de ne pas être assez libéral... (Sourires.) En effet, je veillais à ce que les intérêts de l'État fussent défendus, ce qui m'a valu de ne pas être en odeur de sainteté auprès de milieux intellectuels qui considéraient que le marché devait tout décider librement sans aucun contrôle, ce qui n'est pas ma conception.

Soyez rassuré, j'ai beaucoup de considération pour M. Fekl. Cependant, si ce qu'il dit devant vous est important, une communication officielle du chef du Gouvernement sur nos positions à la Commission de Bruxelles, envoyée en copie à tous les membres de l'Union, semblerait souhaitable.

Monsieur Bailly, vous m'avez demandé quelle était la différence entre les Républicains et les Démocrates sur ce sujet. Je suis bien en peine de vous répondre. J'entends par exemple que Mme Clinton propose d'augmenter le salaire minimum de presque 100 %, ce qui, me semble-t-il, serait plutôt contraire à la doctrine traditionnelle américaine. Quant à M. Trump, c'est une autre affaire (Sourires), et je ne me hasarderai pas à vous dire quelle est sa position sur un sujet aussi technique. J'ai plutôt le sentiment que souffle en ce moment sur le monde un vent de protectionnisme et de correction de ce que l'on appelle « les erreurs du libéralisme ».

On en tire d'ailleurs des conséquences pour la France, d'aucuns s'étonnant que des candidats à la magistrature suprême veuillent mener une politique libérale, alors que, partout dans le monde, on revient en arrière. Monsieur Vaugrenard, pardonnez-moi, mais je vais faire encore un peu de politique... Comme nous avons fait beaucoup moins de réformes libérales que nos voisins allemands ou anglais, on ne doit surtout pas tirer argument de cette soi-disant tendance mondiale pour en conclure que nous ne devons plus rien faire du tout. Mais je m'éloigne un peu de la mission que le président Larcher a bien voulu me confier. En résumé, je donne ma langue au chat pour la différence entre les Démocrates et les Républicains.

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