Monsieur le Premier ministre, avant de laisser la conclusion à Jean Claude Lenoir, je voudrais de nouveau vous remercier de cet échange. Nous ne sommes pas au bout de l'exercice. J'en veux pour preuve toutes les questions soulevées par vos propositions.
Je souhaite en reprendre au vol quelques-unes, qui pourraient faire l'objet, dans les semaines et les mois qui viennent, d'un travail et de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes.
Tout d'abord, je retiens l'invitation faite au Gouvernement de bien clarifier ses positions au moyen d'une lettre publique.
Ensuite, il me semble que la commission des affaires européennes aurait tout intérêt à élaborer une proposition de résolution, envoyée ensuite à la commission saisie au fond, c'est-à-dire la commission des affaires économiques, pour rappeler qu'un règlement de 1996 traite des problèmes posés par l'extraterritorialité des lois américaines. Or il n'est toujours pas inscrit à l'ordre du jour du Parlement européen, ce qui montre qu'il n'y a pas de volonté politique pour le faire émerger. Par ailleurs, il ne faut pas oublier l'accord multilatéral sur l'ouverture aux marchés publics, qui a été négocié par 45 États, donc qui dépasse le cadre européen. C'est vrai, l'ouverture des marchés publics est contrecarrée aux États-Unis par le Small Business Act et par le Buy American Act. Je ne suis pas naïf au point de penser que nous ferons céder les Américains sur ce point, mais, en vertu du principe de réciprocité, nous pouvons faire sortir ces projets d'acte qui sont coincés au niveau communautaire.
Par ailleurs, je souhaite appuyer les propos de notre collègue Gérard Bailly, président du groupe d'études sur l'élevage. Force est de constater que le modèle agricole européen est très différent du modèle américain. Au-delà de ce constat se pose le problème de l'arme alimentaire, que les Américains ont très bien compris. Devant la constitution d'un certain nombre de conglomérats, notamment dans le domaine des semences - vous voyez où je veux en venir, mais c'est un autre débat -, je crois que nous aurions tout intérêt à bien faire savoir que nous tenons au modèle agricole européen. On nous reproche souvent de subventionner nos agriculteurs, mais il faut savoir que le montant du Farm Bill est beaucoup plus important que celui de la PAC.
Je pense aussi que le droit de la concurrence européen doit être repensé. Il a été écrit en 1957, au moment du traité de Rome, or les choses ont beaucoup changé depuis. À mon sens, la façon dont l'Europe régit les problèmes de concurrence au niveau communautaire ne coïncide pas toujours avec l'intérêt des entreprises françaises. Ensuite, la déclinaison nationale de ces principes laisse apparaître des différences d'approche. Je ne reviendrai pas en détail sur l'action du dernier président de l'Autorité de la concurrence, mais sa vision était quand même plus étroite que ne l'était celle de son homologue allemand. Ces divergences d'approche ont tendance à fragiliser les entreprises françaises.
Enfin, tout le monde convient que le TTIP, en l'état, est trop déséquilibré, mais si nous ne nous mettons pas d'accord sur un traité transatlantique, notamment sur la partie non tarifaire, les normes seront demain élaborées et imposées par des pays qui ne nous demanderont pas notre avis, à savoir la Chine, l'Inde et tous les BRICS. Nous avons donc tout intérêt à mettre en place ces normes, qui deviendront des normes mondiales. Voilà tout l'intérêt de ce traité de 3e génération, comme le dit Pascal Lamy, qui suscite un véritable débat dans l'opinion. Mais, à mon avis, le Sénat est l'enceinte idoine pour nous permettre de sortir par le haut de cette affaire.