Intervention de François Marc

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 mai 2016 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Système financier parallèle : rapport d'information et avis politique de m. françois marc

Photo de François MarcFrançois Marc :

Il s'est développé dans les années 1980 dans le sillage de la libéralisation des marchés financiers aux États-Unis. Son rôle a été clairement identifié dans le déclenchement de la crise avec l'effondrement du marché de la titrisation sur les crédits immobiliers dits « subprimes » puis dans la propagation de la crise à travers les fonds monétaires et les mécanismes de prêt-emprunt de titres.

Malgré les forts risques qu'il représente, le système financier parallèle reste un phénomène mal connu. En quoi consiste-t-il ? Quelle est l'ampleur du phénomène ? Quels sont les risques qu'il représente ? Comment évoluent-ils ? Sont-ils suffisamment évalués et surveillés ? Persiste-t-il des zones d'ombre dans la surveillance de certaines pratiques financières ? Ces questions essentielles méritent, à mon sens, d'être éclairées et débattues.

En quoi consiste cette finance « de l'ombre » ? Partons d'un constat simple. Le financement de l'économie met en rapport des emprunteurs et des prêteurs. Cela peut se faire soit par l'entremise de banques - c'est l'intermédiation bancaire - soit par l'intermédiaire d'entités ou d'activités qui n'ont pas le statut de banques - c'est une intermédiation non bancaire et c'est là que se trouve le système financier parallèle. Tout ce qui n'est pas une banque serait-il ainsi une banque de l'ombre, échappant à toute supervision ?

La réalité est beaucoup plus complexe. Les institutions du système financier parallèle pratiquent des activités similaires à celles des banques : elles accordent des crédits, collectent des fonds, transforment des ressources financières à court terme en des prêts à long terme, elles s'endettent... Elles font tout cela en étant parfois couvertes par des réglementions mais sans être soumises aux contraintes prudentielles applicables aux banques. Ainsi, certains fonds d'investissement réalisent directement des opérations de crédit, sans avoir l'obligation de constituer des capitaux propres pour faire face à ce risque, contrairement aux banques, soumises aux règles de Bâle 2 et Bâle 3. Ils font l'objet d'une surveillance et d'une réglementation générales mais pas spécifiquement au titre de cette activité de crédit.

Les entités du système financier parallèle peuvent être des fonds d'investissement, des fonds d'assurance-vie, des fonds de placements monétaires, des fonds alternatifs, spéculatifs, des fonds immobiliers, des fonds de capital-investissement... Le secteur de la gestion d'actifs constitue donc une part très importante du système financier parallèle auquel on peut ajouter les sociétés de crédit-bail, d'affacturage, le crowd funding... La liste des entités et des activités est longue, non exhaustive et hétérogène mais trois activités se distinguent : la titrisation, les fonds monétaires et les prêts-emprunts de titres. Elles ont en commun d'avoir joué un rôle considérable dans la crise et d'être encore très prégnantes dans le système financier actuel.

Quelle est l'ampleur de ce système parallèle ? Répondre à cette question est une tâche ardue, dont le G20 a chargé le Conseil de stabilité financière depuis 2011. Le Conseil de stabilité financière, qui a succédé en 2009 au Forum de stabilité financière, regroupe les autorités financières nationales, les banques centrales et plusieurs organisations internationales, afin d'identifier les vulnérabilités du système financier mondial et de développer des principes de régulation et de supervision dans le domaine de la stabilité financière. La plupart des acteurs majeurs du secteur y sont représentés.

Quels sont les ordres de grandeur identifiés par le Conseil de stabilité financière ? L'estimation globale, sur la base des déclarations de 26 pays représentant 80 % du PIB mondial et 90 % des actifs mondiaux, s'élève à 80 000 milliards de dollars, soit 130 % du PIB de ces pays. Ce montant, si on limite le périmètre aux activités considérées comme représentant un risque pour le système financier, est ramené à 36 000 milliards de dollars. Au-delà des écarts dans les évaluations, il s'agit de montants considérables, qui doivent toutefois être évalués avec prudence : le secteur financier parallèle chinois, sujet de préoccupation mondial à lui seul, n'en représente que 2 % soit 720 milliards de dollars, c'est-à-dire moins que celui de la France... Cette zone d'ombre est inquiétante.

Ce système financier parallèle est sans doute amené à croître, en raison de la dérégulation et de l'innovation financière, mais aussi du contournement, c'est-à-dire de l'arbitrage réglementaire, auquel se livrent les banques soumises à de fortes contraintes depuis la crise. M. Frédéric Oudéa a convenu hier devant la commission des finances que les réglementations plus contraignantes poussaient les banques à aller chercher de la rentabilité ailleurs, dans des activités menées par des opérateurs extérieurs au système bancaire. L'interpénétration entre système régulé et système non-régulé est donc croissante. Les politiques d'assouplissement quantitatif menées par plusieurs banques centrales dont la Banque centrale européenne et l'environnement de taux d'intérêt durablement bas incitent les différents acteurs financiers à chercher des rendements plus élevés auprès des entités du système financier parallèle. Les sociétés d'assurance, qui ont promis à leurs clients des rendements de 3 % ou 4 %, ne trouvent dans le système financier régulé que des taux presque nuls, voire négatifs.

En quoi est-ce un problème ? Certains avancent que, puisque les dépôts sont garantis, le système financier parallèle assure la respiration du système et la circulation des flux financiers. Mais il est aussi considéré comme une cause majeure, avérée, d'instabilité financière. Des inquiétudes s'expriment sur son impact sur la liquidité et la volatilité de marchés financiers qui ont connu, en effet, des épisodes de turbulence. Ainsi, le 15 octobre 2014, en une heure, le rendement des emprunts d'État américains à 10 ans plongeait de 16 points de base, puis repartait à la hausse sans raison apparente. L'amplitude du mouvement a atteint 37 points de base en 12 minutes. Ce phénomène est encore largement incompris à ce jour. Il y a donc des tentations d'opérer des arbitrages subits de façon moutonnière et donc amplifiées avec des impacts sur la liquidité des marchés et leur stabilité.

La Banque centrale européenne s'est tout récemment inquiétée que des risques financiers conséquents se développent dans des segments du système financier parallèle pour lesquels des informations détaillées ne sont pas disponibles. Or, la circulation de rumeurs peut créer des paniques subites. Prendre conscience du phénomène de la finance parallèle est donc une nécessité. En mesurer mieux les contours et les risques constitue une étape indispensable. D'ailleurs, certains de nos interlocuteurs, lors des auditions, ont reconnu qu'ils n'étaient pas en mesure de fournir des informations suffisantes à leurs clients. D'autres ont été réticents à répondre à certaines de nos questions. Élaborer et mettre en place les outils de régulation adaptés est un défi dont on ne doit pas faire l'économie. L'échelle pertinente est sans conteste mondiale mais l'Europe doit poursuivre aussi un engagement clair dans cette démarche. C'est l'esprit de l'avis politique que nous nous proposons d'adresser à la Commission européenne.

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