Les deux volets de la politique européenne de voisinage sont complémentaires : l'Union européenne travaille avec ses voisins ne voulant pas forcément adhérer à l'Union mais avec lesquels elle a des relations plus étroites qu'avec d'autres pays. Nous aborderons le volet méditerranéen.
La Commission européenne a présenté, le 18 novembre dernier, une communication proposant une révision de la politique de voisinage. Cette nouvelle approche, plus réaliste, repense le cadre des relations euro-méditerranéennes. L'Union européenne n'avait pas véritablement réévalué ses relations avec la rive sud de la Méditerranée à la lumière des conséquences politiques, économiques et migratoires des printemps arabes, et de la manière dont les événements sont perçus, au Nord de l'Europe ou sur la rive sud de la Méditerranée. L'afflux de réfugiés à ses frontières et la multiplication des attentats revendiqués par Daech ont contribué à réviser sa position initiale. Celle-ci était fondée sur un soutien aux réformes démocratiques, sur la promotion d'une vaste zone de libre-échange pan-euro-méditerranéenne et sur la signature de partenariats pour la mobilité avec plusieurs pays. Ces solutions se sont révélées en décalage avec la réalité de la crise migratoire mais aussi avec les aspirations de ses partenaires méditerranéens, en attente de solutions différenciées, pas uniquement économiques. Cette politique a patiné, à l'exception notoire des relations avec le Maroc où l'accord de libre-échange, signé depuis longtemps, a été amélioré malgré quelques soubresauts au Sahara occidental ou sur la pêche. D'autres pays, comme la Libye ou le Liban, sont restés à l'écart. L'idée était d'apporter quelques millions d'euros en contrepartie d'un cheminement vers les aspirations communautaires, pour commercer un peu plus. L'Égypte commerce peu avec l'Union européenne et reçoit des milliards d'euros de l'Arabie saoudite ou des pays du Golfe. Les quelques millions d'euros de l'Union ne sont pas très incitatifs...
Le Conseil a validé cette réorientation de la politique de voisinage, destinée à diffuser les valeurs européennes mais aussi à défendre les intérêts de l'Union européenne. Il s'agit aujourd'hui d'assurer la stabilité à ses frontières par un soutien précis et efficace, destiné à favoriser la sécurité de la région, le développement de véritables coopérations économiques dépassant le seul libre-échange et la poursuite des réformes démocratiques. Cette réorientation de la stratégie européenne prend acte d'une consultation publique menée par la Commission européenne et qui a réuni 250 entités : États, think tanks, organisation non-gouvernementales et universitaires.
La Commission souhaite évaluer toutes les causes d'instabilité, en dépassant le champ de la sécurité. Elle propose ainsi de cerner les raisons politiques, économiques - faible développement, absence de perspective, corruption - mais aussi de s'interroger sur les déplacements incontrôlés de populations. La nouvelle politique de voisinage va également avoir pour objectif d'agir sur la prévention des conflits avec la mise en place d'une procédure d'alerte précoce doublée de mesures préventives également précoces. Elle passera aussi par un soutien aux pays qui entreprennent une réforme du secteur de la sécurité civile et militaire. Ce faisant, la Commission européenne développe à la fois une approche pragmatique et stratégique.
L'ambition affichée est de parvenir à constituer des partenariats plus efficaces afin de répondre notamment à plusieurs défis : crise migratoire, terrorisme, interdépendance énergétique. L'Union européenne entend faire valoir ses intérêts, en promouvant parallèlement les valeurs universelles. La communication du 18 novembre insiste sur le principe de différenciation. Elle prend ainsi acte du fait que tous les partenaires de l'Union européenne n'aspirent pas à adopter la totalité de l'acquis communautaire. La Commission européenne entend mettre en oeuvre une logique d'appropriation mutuelle destinée à mieux prendre en compte la conception qu'a chaque pays de son partenariat avec l'Union européenne et l'orientation qu'il entend lui donner.
La mise en avant du principe de stabilité répond en large partie aux incidences dans la région des crises syrienne et libyenne, tant sur le plan politique que dans le domaine migratoire. Au-delà des dossiers syriens et libyens, l'Union européenne doit faire face depuis le début de l'année 2016 à des tensions avec ses partenaires au Maghreb, qu'il s'agisse du Maroc, de l'Algérie ou de la Tunisie. Nous détaillons les enjeux dans le rapport.
L'année 2016 est, en tout état de cause, considérée comme une année de transition pour la politique de voisinage renouvelée, destinée à mettre en place de nouveaux instruments.
Le Conseil a souhaité établir des priorités de partenariats avec les pays associés à la politique de voisinage. Celles-ci, centrées sur quelques domaines, pourraient se substituer aux plans d'action globaux, renouvelés régulièrement, sans pour autant que les relations avec les pays concernés soient rehaussées.
L'autre nouveauté concerne l'analyse de la situation des pays. Deux types de documents devraient être privilégiés. Premièrement, des rapports par pays qui soient courts et politiques, destinés à mettre en avant les priorités de partenariat ou les avancées des plans d'action, s'ils existent. Deuxièmement, un rapport unique, annuel, concernant l'ensemble des pays concernés, incluant notamment les progrès en matière de droits de l'homme. Ceux-ci conditionnent une partie des aides financières. Mais pour ces pays, le premier droit de l'homme, c'est d'abord la sécurité...
Au-delà de la révision du cadre général qu'il convient de saluer et de soutenir, plusieurs questions restent posées. La première tient au rôle de l'Union pour la Méditerranée - où nous représente Louis Nègre ; j'y représentais le Sénat entre 2011 et 2014. L'Union pour la Méditerranée (UpM) souffre incontestablement d'un malentendu. Fondée pour dépasser les clivages géopolitiques autour de projets concrets qu'elle labellise sans les financer - le label devant leur permettre de récolter d'autres financements -, elle a très vite été rattrapée par la question israélo-palestinienne ou, à un degré moindre, par celle du Sahara occidental. Elle a cependant le mérite de faire siéger côte à côte un vice-président israélien et un vice-président palestinien... Lorsque j'étais vice-président de la commission politique, j'ai ainsi pu suppléer la présidente.
Le mandat de l'UpM comme l'absence de moyens conséquents à sa disposition fragilisent sa participation aux débats sur l'avenir de la politique euro-méditerranéenne. Ce relatif effacement contraste pourtant avec la nécessité de trouver des réponses politiques aux crises multiples que traverse la région. L'Union pour la Méditerranée doit incontestablement s'affirmer comme ce forum d'échanges entre rives nord et sud du bassin méditerranéen. La question des migrations ou celle du terrorisme ne saurait se régler au sein du seul Conseil européen. À la demande des ministres des affaires étrangères de l'UpM réunis le 26 novembre 2015 pour la première fois depuis 2008, son secrétaire général a été chargé d'élaborer une feuille de route pour l'organisation. Celle-ci vise à répondre aux défis que connaît la région. Afin d'y parvenir, l'UpM, dont le siège est à Barcelone, souhaite pouvoir disposer d'un budget plus réactif - actuellement 6 millions d'euros annuels - et entamer une véritable réflexion sur la valeur ajoutée de la labellisation qu'elle propose.
La feuille de route du secrétaire général de l'UpM insiste sur la nécessité de nouer des partenariats entre son organisation et les instruments déjà existants dans le domaine euro-méditerranéen, particulièrement nombreux. Nous les détaillons dans le rapport. Rationaliser le paysage institutionnel euro-méditerranéen est indispensable si l'on souhaite renforcer la visibilité et la lisibilité de toute action publique dans cette région. Quand j'ai commencé à m'intéresser à ce sujet il y a cinq ans, j'ai mis un certain temps à en comprendre toutes les subtilités...
Une attention particulière doit être portée au dialogue en Méditerranée occidentale dit « 5 plus 5 », créé en 1990 puis relancé en 2001, qui réunit les cinq pays de l'Union du Maghreb arabe (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie) ainsi que cinq États membres de l'Union européenne (la France, l'Espagne, l'Italie, Malte et le Portugal). La promotion d'un sous-ensemble régional, laboratoire pour une coopération plus étroite entre États membres, n'est pas dépourvue d'intérêts. Elle ne saurait être valable que si elle est élargie à l'Égypte et à la Grèce, comme le demandait déjà la commission des affaires européennes du Sénat en 2013, à mon initiative. L'Union européenne doit aussi oeuvrer en faveur d'une véritable relance des organisations régionales de la rive sud de la Méditerranée à l'image de l'Union du Maghreb arabe ou de l'accord d'Agadir.
Le Sénat est aussi représenté - par François Commeinhes et moi-même - à l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, qui rassemble les pays bordant la Méditerranée, tandis que l'UpM regroupe les 28 États membres et la rive sud. Ces deux organisations ont intérêt à travailler en commun, et peut-être envisager de se regrouper dans un seul organisme avec une représentation élargie.
Je laisse la parole à Louis Nègre qui va nous présenter un pays qui peut être considéré comme un cas d'école pour cette nouvelle politique de voisinage : l'Égypte.