Intervention de Louis Nègre

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 mai 2016 à 9h00
Politique de coopération — Révision de la politique européenne de voisinage volet concernant la méditerranée : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. louis nègre et simon sutour

Photo de Louis NègreLouis Nègre :

Merci beaucoup au spécialiste du dossier, M. Simon Sutour : il a cinq ans d'avance ! Nous nous sommes rendus en Égypte du 20 au 25 mars derniers. Mon intervention portera principalement sur les rapports entre l'Égypte et l'Union européenne.

L'Égypte, acteur important de la politique euro-méditerranéenne depuis sa création, a été le premier pays du Sud à coprésider l'Union pour la Méditerranée. Elle est également un élément majeur dans le paysage régional, au carrefour de l'Afrique et du Moyen-Orient. Elle a enfin été l'un des pays symbole du printemps arabe avec la Tunisie. Mais si la Tunisie a pu faire émerger une forme d'union nationale en faveur de la démocratie et contre le terrorisme depuis 2013, la situation de l'Égypte est beaucoup plus contrastée, marquée par une double révolution en 2011 puis en 2013, qui a conduit à la chute des Frères musulmans. La mise en place d'un pouvoir fort depuis cette date, privilégiant la sécurité du pays et son redressement économique à toute autre considération, a pu fragiliser voire distendre le lien noué avec l'Union européenne.

La révision de la politique de voisinage invite cependant à repenser ces relations. Si l'Union européenne entend promouvoir en priorité la stabilité à ses frontières, il convient de redéfinir ses relations avec un pays clé dans le contexte régional et mettre en place un dialogue à la fois franc et constructif, fondé sur des projets concrets de coopération politique et économique, comme le rappelait M. Simon Sutour.

L'Union européenne a marqué en 2013 puis en 2014 sa préoccupation face à la dégradation des libertés publiques mais aussi aux difficultés auxquelles l'économie égyptienne est confrontée. Aux termes des conclusions du 10 février 2014, le Conseil déplorait plus particulièrement les mesures de détention systématique et la justice sélective dont ferait l'objet l'opposition. Il souhaitait que soit garanti le droit à un procès équitable et engagé dans des délais raisonnables, sur la base d'accusations claires et à la suite d'une enquête adéquate et indépendante, ainsi que le droit de bénéficier de l'assistance d'un avocat et de contacter les membres de la famille. Il demandait instamment aux autorités de permettre à tous les journalistes d'exercer leur profession en toute sécurité et de mettre un terme aux arrestations à motivation politique, ainsi qu'aux actes d'intimidation subis par les journalistes égyptiens et étrangers et aux campagnes menées à leur encontre. Il réaffirmait son soutien à une société civile dynamique et indépendante, saluant notamment les organisations non gouvernementales. Le Conseil considérait néanmoins l'Égypte comme un partenaire essentiel dans la région, pour y renforcer la stabilité et la paix. La constitution, adoptée le 15 janvier 2014, a été considérée comme une « étape importante ».

Cette position nuancée du Conseil reprenait celle exprimée le 21 août 2013. Condamnant les actes de violence de part et d'autre du pays, le Conseil avait alors décidé de suspendre les licences d'exportation vers l'Égypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne, les États membres devant également réexaminer les licences d'exportation des équipements militaires et l'assistance qu'ils apportent à l'Égypte dans le domaine de la sécurité.

Les conclusions du Conseil sont jugées négatives par les autorités égyptiennes, qui regrettent que l'Union européenne fasse plus office de juge que de partenaire. L'Égypte juge de son côté qu'il convient de lui accorder du temps pour mener à bien la transition politique. Elle regrette une attention trop importante accordée par certains États membres de l'Union européenne aux thèses de représentants des Frères musulmans en exil. Les autorités estiment qu'un choix clair a été opéré dans leur pays en faveur de la stabilité à l'occasion des événements de juin 2013 puis de l'élection présidentielle. La mobilisation de l'Union européenne dans la lutte contre le terrorisme mais aussi sa détermination à oeuvrer en faveur de la paix dans le conflit israélo-palestinien et en Libye impliquent, selon elles, un rapprochement inévitable et la mise en oeuvre d'un nouveau partenariat.

La révision de la politique de voisinage, désormais plus pragmatique - more for more, c'est-à-dire « plus de libertés et nous vous accorderons plus d'argent » - devrait constituer le cadre d'une nouvelle approche des relations entre l'Union européenne et l'Égypte. Le dernier Conseil d'association avec l'Égypte, co-présidé par la Haute représentante et le ministre des affaires étrangères égyptien, s'était tenu le 27 avril 2010, avec des discussions tendues sur les droits de l'homme. Aucun sous-comité sectoriel n'a ensuite été organisé entre janvier 2011 et novembre 2015, date à laquelle les relations entre l'Union européenne et l'Égypte ont été relancées par la tenue d'un sous-comité sur les affaires politiques au sein du Conseil d'association. Des sous-comités justice et migrations se sont, par la suite, réunis en janvier dernier. L'Égypte souhaite désormais que se tienne un nouveau Conseil d'association, qui pourrait se réunir d'ici à la fin du premier semestre 2016, et devrait constituer le prélude à l'adoption de nouvelles conclusions par le Conseil, qu'il convient d'encourager. Certaines élites francophones considèrent que la France joue un rôle essentiel et pourrait les appuyer pour sortir le pays de l'impasse.

La relance de l'association devrait passer, dans le cadre de la politique européenne de voisinage révisée, par l'abandon du plan d'action et l'élaboration de priorités de partenariat. Trois pourraient être proposées : l'aide européenne au plan Vision 2030 du gouvernement en faveur d'une économie moderne et pérenne, qui passerait par un appui aux réformes du système éducatif et du secteur financier et un soutien aux petites et moyennes entreprises ainsi qu'aux populations les plus vulnérables ; l'appui à l'Égypte comme acteur régional pour assurer la stabilité de la zone ; un soutien aux réformes démocratiques et aux mesures en faveur des droits de l'homme ainsi qu'au combat contre le terrorisme.

L'adoption de nouvelles conclusions au Conseil, même si celui-ci est encore divisé sur cette question entre pays du Nord et du Sud de l'Europe, et l'élaboration de nouvelles priorités de partenariat apparaissent indispensables. Si l'Union européenne entend participer à la stabilité de régions situées à ses frontières, celle-ci passe par un soutien à l'Égypte. Il n'y a pas d'alternative crédible. Cet appui doit bien évidemment être lucide. Il ne s'agit pas, au nom de l'impératif de stabilité, de renoncer aux valeurs européennes. Reste que celles-ci ne sauraient totalement conditionner la coopération avec un pays apte à jouer un rôle important en matière de lutte contre le terrorisme et de gestion des flux migratoires. L'efficacité de l'action égyptienne en la matière repose cependant sur le concept de « sécurité durable ». S'il est légitime que le gouvernement s'attaque aux foyers de terrorisme de part et d'autre du pays, la répression ne saurait être aveugle et assimiler toute opposition politique ou sociale à un facteur de menace, sous peine justement de la conduire à la radicalisation.

Ces nouvelles conclusions doivent permettre de débloquer 400 millions d'euros actuellement gelés : l'Union européenne a débloqué un milliard d'euros potentiel depuis 2011, mais à des conditions précises. En parallèle, l'Arabie Saoudite verse chaque année 25 milliards d'euros sans condition !

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