Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 novembre 2014 : 1ère réunion
Politique étrangère et de défense — La situation en ukraine après les élections législatives : communication de m. yves pozzo di borgo

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

On ne peut pas comprendre le problème ukrainien si on ne le replace dans le contexte géostratégique des relations entre l'Union européenne et la Russie.

Notre commission - même du temps de la délégation - a toujours joué un très grand rôle dans l'étude des relations entre l'Union européenne et la Russie. Je mentionnerai en particulier le rapport de Jean Bizet et Simon Sutour de 2013, et mes rapports de 2007 et de 2011. Notre action n'a pas été sans influence : le Président Sarkozy, après son élection de 2007, a évolué jusqu'à suggérer un vaste partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie et la suppression des visas. Sur la question de l'Ukraine qui nous occupe aujourd'hui, pour bien comprendre les enjeux, il faut reprendre ce que j'appelle la thèse mittérando-gaullienne qui se décline en deux temps. L'Europe se fait d'abord avec l'Allemagne puis on passe à une « grande Europe » avec la Russie. C'est le vrai sens de notre débat et cette thèse irrigue toujours notre action diplomatique. Il se trouve que l'Ukraine n'est qu'un élément de cette stratégie et que la situation actuelle est un facteur de déstabilisation.

Le dimanche 26 octobre dernier se sont tenues dans 23 des 26 régions que compte l'Ukraine - et donc à l'exception de la Crimée, du Donetsk et du Donbass - des élections législatives anticipées. Pour la Crimée, je rappelle qu'en infraction au droit international, elle a été annexée par la Russie après un référendum non reconnu et non observé par l'OSCE alors que la Russie aurait pu probablement récupérer la Crimée par des voies normales et légales.

Ces élections ont marqué une étape importante dans la détermination de l'Ukraine à consolider ses acquis démocratiques et à organiser des élections parfaitement libres conformément à l'ensemble de ses engagements internationaux.

Ces élections ont été saluées par l'ensemble de l'Union européenne comme une double victoire, celle de la démocratie et celle du peuple ukrainien. Il convient d'ajouter que beaucoup ont parlé aussi de la victoire du « camp occidental ». Il est vrai qu'aucun parti ouvertement prorusse et nostalgique de l'ère soviétique n'est entré au Parlement.

Ayant fait partie de la mission d'observation électorale de l'OSCE, je peux vous confirmer que le scrutin s'est déroulé dans un climat serein et qu'aucune irrégularité n'est à déplorer. Nous avons tous conclu à la régularité du scrutin.

Les conditions pratiques du scrutin étaient toutefois rudes : en raison de la crise énergétique, les bureaux de vote n'étaient pas chauffés et la température oscillait entre - 2° et 0°.

La participation s'est établie à 51 % des inscrits, ce qui traduit un recul par rapport aux précédentes législatives (62 %) et même par rapport aux élections présidentielles (56 %) ayant porté Petro Porochenko au pouvoir en mai dernier.

Cela s'explique par le fait que les Ukrainiens, accablés par les difficultés de la vie quotidienne, avaient certes hâte d'en finir avec la crise politique ouverte par la dissolution de la Rada le 25 août dernier, mais n'ont pas toujours trouvé l'énergie ni le temps de voter.

Pour ces élections, l'Ukraine avait mis en place une Commission électorale centrale « impartiale et efficace » selon les observateurs internationaux. Les électeurs se sont vus offrir un véritable choix et les libertés fondamentales ont été respectées, même si l'on doit reconnaître quelques actes d'intimidation à la fin de la campagne électorale et une inégalité de traitement dans les médias et même si l'on déplore que le scrutin n'ait pas pu être organisé sur l'ensemble du territoire.

On note enfin que le vote a quand même eu lieu dans 12 des 21 circonscriptions électorales de Donetsk et dans 5 des 11 circonscriptions de Louhansk.

Je rappelle que l'Ukraine a un parlement monocaméral nommé la « Rada » où siègent 450 députés, élus selon un scrutin mixte proche du modèle allemand : 225 sont élus à la proportionnelle sur des listes nationales et 225 sont élus au scrutin uninominal à un tour sur le mode anglais.

On considère que le camp pro-occidental mené par le Président Porochenko a remporté une victoire sans précédent depuis l'indépendance de l'Ukraine. On remarque l'accession - somme toute modeste - au Parlement de quelques héritiers de l'ancien président pro-russe Janoukovitch (à travers le « Bloc d'opposition » et l'« Ukraine forte ») et on note la disparition du Parti communiste qui n'est plus représenté au Parlement. D'une manière générale, les Ukrainiens se sont tenus à l'écart des partis les plus extrêmes. Cependant ce camp pro-occidental n'est pas monolithique.

Le « Bloc Petro Porochenko » arrive en tête avec 21,81 % des voix et 132 élus (loin pourtant des 30 % espérés). Le Président Porochenko a échoué dans son pari d'obtenir une majorité absolue.

En effet, le « Front populaire » du Premier ministre sortant Arseni Iatseniouk remporte 22,17 % des voix et 82 sièges. C'est un peu la surprise du scrutin. Le gouvernement de l'Ukraine devra donc reposer sur une coalition qui comprendra forcément les deux premiers partis pro-européens.

Le troisième parti « Samopomitch » ou « auto assistance » du maire de Lviv, Andrey Sadovy, recueille 11 % des votes et 33 sièges. Pro-européen, c'est l'esprit militant de Maïdan dans sa composante la plus pure qui entre au Parlement : société civile, libéralisme économique, lutte contre les oligarques et la corruption.

À propos de Maïdan, je tiens à rappeler que ce fut un très curieux mélange d'extrémistes et d'authentiques pro-européens soutenus par la société civile ; les acteurs de Maïdan sont arrivés au pouvoir avec Porochenko et Iatseniouk dont le premier gouvernement comprenait même cinq ministres de la société civile, très vite éliminés par les oligarques qui ont repris la main.

Les négociations pour la formation d'une large coalition se poursuivent dans la difficulté et ne devraient aboutir qu'en décembre prochain.

Je rappelle que l'Ukraine est un pays très affaibli économiquement, mais qu'il y a eu récemment cet accord sur le gaz qui apporte un peu de réconfort.

Cependant sur la situation récente des affrontements à l'Est, nous devons être prudents et nous méfier des manipulations. Les accords de Minsk n'ont pas encore été dénoncés et je crois qu'il serait profitable pour nous d'entendre les services du ministère des affaires étrangères sur ce qu'ils savent vraiment du conflit.

Une autre question importante est celle des sanctions et de leur effet que nous n'arrivons pas à mesurer. Les sanctions affaiblissent l'Europe et affaiblissent le rouble, mais la chute du prix du pétrole n'est-elle pas aussi responsable de cet affaiblissement ? Je voudrais pouvoir le mesurer.

Je répète que nous devons oeuvrer pour créer le grand bloc Union européenne/Russie avant que la Russie se tourne complètement vers la Chine qui est son vrai problème. La situation en Ukraine nous a détournés de cette mission essentielle et la faute est en partie américaine. Souvenons-nous que les Russes et les Ukrainiens se connaissent bien et que leur opposition apparaît parfois comme une simple bataille entre oligarques des deux pays.

Quant à l'Union européenne, elle a commis la maladresse d'aggraver les sanctions le jour même du rapprochement entre Porochenko et Poutine.

Les sanctions européennes contre la Russie font des dégâts commerciaux des deux côtés ; peut-on les maintenir très longtemps ?

L'interdépendance entre l'Union européenne et la Russie est manifeste. Construire un grand ensemble associant la Russie est une nécessité.

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