Intervention de Pierre Moscovici

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 mai 2015 à 9h10
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Pierre Moscovici commissaire européen aux affaires économiques et financières à la fiscalité et aux douanes

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes :

Je vous remercie de votre invitation. J'ai eu l'occasion de recevoir plusieurs d'entre vous à Bruxelles, mais c'est ma première audition au Sénat depuis ma prise de fonctions il y a six mois. Je veux rappeler ici toute l'importance que cette Commission européenne attache au dialogue avec les parlements nationaux. Le président Juncker nous a donné à tous mission de nous rendre devant eux. J'étais moi-même lundi au Bundestag, et je serai mardi prochain à Dublin. Je viendrai devant vous aussi régulièrement que vous le souhaiterez pour vous informer sur chacun des rendez-vous, désormais très réguliers, en matière de surveillance budgétaire. J'ajoute que tous les sénateurs sont bienvenus à Bruxelles pour un échange de vues avec le commissaire français que je suis. Je n'oublie pas le pays d'où je viens, et c'est d'ailleurs à quoi nous invite tous le président Juncker, qui n'estime pas que nous sommes des hommes et des femmes « hors sol » et qu'au contraire notre rôle est aussi de communiquer avec les instances de notre pays.

Nous avons franchi, la semaine dernière, une étape du semestre européen, avec la publication des recommandations par pays. L'objectif initial de cet exercice, qui a parfois été perdu de vue dans le passé, est de coordonner les politiques économiques et budgétaires dans le but de favoriser la convergence de nos économies. Nos concitoyens se demandent souvent si l'Europe, et notamment l'euro, n'a pas produit de la divergence. C'est une interrogation légitime, et qui nous appelle à réfléchir aux moyens de faire reconverger, dans un sentier de croissance équilibré, nos économies.

L'ambition du semestre européen n'est pas de propager auprès des États membres je ne sais quelle vérité révélée que détiendrait la Commission européenne. Comme je le disais lundi devant le Bundestag, la Commission n'est pas un professeur, les gouvernements ne sont pas des élèves, et les peuples n'ont pas à être tancés. Cela n'a jamais été ma conception de l'Europe lorsque j'étais parlementaire ou ministre, et mon point de vue n'a pas changé.

L'ambition est de rallier les États membres, de les convaincre d'adhérer à des objectifs économiques partagés pour le bien commun de la zone économique que nous formons et en particulier, pour la France, de la zone euro. Telle est la perspective que la Commission Juncker a adoptée, et qui est peut-être un peu différente de celle de la précédente Commission. Elle est mieux à même, à mon sens, de produire des résultats au niveau national et de recréer, comme cela est fondamental à mes yeux d'européen convaincu, de l'adhésion politique.

Un mot de la conjoncture économique, qui forme la toile de fond des recommandations que nous venons de publier. À mes yeux, le moment économique actuel est caractérisé par deux traits, une bonne nouvelle et un risque persistant. La bonne nouvelle, c'est que l'Europe connaît un printemps économique réel. Pour la première fois depuis le début de la crise, en 2007, les économies de tous les États membres, sauf Chypre, qui est dans une situation un peu particulière, devraient cette année renouer avec la croissance. Notre prévision est de 1,8 % pour l'Union européenne, et de 1,5 % pour la zone euro, et cette tendance, comme le jugent aussi de hautes instances internationales comme le Fonds monétaire international (FMI), devrait s'accélérer l'an prochain, à 2,1 % pour l'Union européenne dans son ensemble et 1,9 % pour la zone euro. Je souligne au passage que l'écart entre l'Union européenne dans son ensemble et la zone euro se réduit, parce que les politiques d'ajustement menées sont très largement engagées, améliorant le potentiel de croissance de la zone euro.

La dernière revue trimestrielle sur l'emploi et la situation sociale, et c'est un bon signal, met en évidence une baisse constante du chômage, notamment des jeunes et des chômeurs de longue durée. La France a elle-même bénéficié d'un rebond plus ferme que prévu - y compris par nous-mêmes - avec une croissance de 0,6 % au premier trimestre 2015, la plus importante enregistrée depuis début 2013. Cela signifie que les prévisions de croissance, communes à la Commission européenne et au Gouvernement français, et que vous avez vous même validées dans vos rapports, sont assez crédibles. La croissance devrait être cette année supérieure à 1 % en France et l'on peut espérer qu'elle s'achemine, d'ici à la fin de l'année, vers un rythme supérieur à 1,5 % : nous prévoyons 1,7 % en 2016, si elle y met du sien.

Il ne s'agit pas, cependant, de tomber dans l'autosatisfaction. Ce serait hors de propos, car un risque persiste : celui que cette embellie ne dure qu'un printemps. On ne saurait se satisfaire d'un printemps économique, quand c'est une reprise de quatre saisons qu'il faut construire en Europe. Pour que cette embellie se prolonge, il faut poursuivre les réformes. Le danger qui nous guette, c'est que les gouvernements ne saisissent l'occasion de cette reprise pour relâcher l'effort d'assainissement budgétaire et de modernisation des structures économiques, alors même qu'elle devrait être la rampe de lancement d'un agenda de réforme ambitieux. Ce serait une bien mauvaise analyse que de considérer que parce que la reprise est là, nous sommes tirés d'affaire. Il faut au contraire tirer parti des marges de manoeuvre qu'elle nous offre pour réformer ce qui, dans un climat moins favorable, n'a pas pu l'être. Il s'agit, en quelque sorte, d'inverser le cycle, sans céder à la tentation du relâchement. Il est plus aisé de réformer en période de rebond qu'en période de contraction.

Il est d'autant plus important de maintenir le cap des réformes que la reprise est d'abord portée par ce que la Commission appelle des vents arrières - taux de change de l'euro favorable à nos exportations, prix bas du pétrole, qui favorisent consommateurs et producteurs, effet incontestable, et même plus fort que prévu, du programme d'assouplissement quantitatif mis en place par la Banque centrale européenne (BCE). Ce sont là des facteurs conjoncturels, qui favorisent une reprise cyclique. Mais tout cycle se renverse un jour, et si l'on n'a pas, pendant sa phase haute, créé les conditions d'une croissance durable, on se retrouve, quand le cycle se retourne, aussi faible, sinon plus faible qu'avant. Ce sont les économies qui auront le plus réformé qui seront les plus fortes.

L'économie européenne repart de l'avant, c'est incontestable, mais elle n'avance pas encore entièrement grâce à la puissance de son moteur propre. Même s'il est vrai que des réformes de structure, de même que des assainissements budgétaires, partout en Europe, ont été menées, qui portent leurs fruits, ces moteurs ne sont pas suffisants, et la reprise est aussi tractée par des facteurs externes, sur lesquels nous n'avons pas de contrôle.

C'est en gardant ce contexte macroéconomique à l'esprit qu'il faut se pencher sur les recommandations de la Commission. Ce qui intéresse le commissaire que je suis, c'est que la France soit en position de contribuer à l'agenda de croissance et d'emploi pour l'Union européenne que la Commission veut promouvoir.

Un mot, tout d'abord, de la méthode. Nous sommes partis d'un projet partagé. Ce que veut la Commission, c'est affermir la croissance et renouer avec l'emploi, ce qui implique de se concentrer sur quelques priorités. Vous observerez que nous avons évité de dresser, comme cela a pu être le cas par le passé, une sorte d'inventaire à la Prévert, d'une utilité discutable. Pour avoir été ministre de l'économie et des finances, je puis attester que lorsque l'on reçoit des recommandations très nombreuses et poussées jusque dans le détail, on a tendance à s'en désintéresser. La Commission a ainsi voulu cibler ses recommandations sur un certain nombre de secteurs stratégiques. Le fait est qu'elle n'a pas à ordonner une prescription détaillée à chaque État membre. Elle n'est pas, je l'ai dit, un professeur, et il ne s'agit pas, pour moi, de donner une liste de devoirs à faire. Ce à quoi elle s'est employée, c'est à identifier les points où un État membre peut faire plus et tenter de le convaincre pour parvenir à un objectif partagé. Il s'agit, en somme, de donner à chaque État membre l'opportunité de prendre toute sa place dans le redressement économique européen. Cette approche, nouvelle, attribue à chacun un rôle mieux défini. La Commission doit identifier les fins et les objectifs communs. Elle doit jouer son rôle de coordination à l'échelle de l'Union. Mais les États membres, à la souveraineté desquels je suis très attaché, doivent avoir le choix des moyens, en toute autonomie, et dans le respect du cadre démocratique interne. Je suis convaincu que ce que beaucoup de nos concitoyens ne supportent plus, c'est cette idée d'une Europe qui impose de l'extérieur. Si l'on veut qu'ils se réapproprient l'idée européenne, cela passe par une meilleure définition des rôles. Je veux sortir de la dynamique binaire qui a souvent prévalu entre prescription et opposition, réprimande et résistance. La logique de cette Commission c'est une éthique de conviction et non une logique de punition. C'est ce qui favorisera l'appropriation des recommandations au niveau national, aujourd'hui quelque peu défaillante si l'on en croit leur taux d'exécution.

J'en viens à la recommandation adressée à la France. Vous avez relevé dans votre propos introductif que la Commission ne s'est pas prononcée, dans sa décision du 13 mai, sur la procédure pour déficit excessif. Pourquoi ? Parce qu'elle avait, le 10 mars, adressé à la France une recommandation, qui fixait un délai de trois mois pour être respectée, ce qui nous mène au 10 juin, date à laquelle la Commission finalisera sont travail d'analyse. Ce délai permet de poursuivre le travail des deux côtés. Pour la France, il s'agit de préciser, en la détaillant, la stratégie de redressement des comptes pour 2015 et 2016. Pour la Commission, il s'agit de voir si, à cet horizon, les mesures nécessaires - notamment un effort structurel de 0,5 % du PIB en 2015 - ont été menés. Mon collègue Valdis Dombrovskis a estimé que les choses allaient plutôt dans le bon sens. Je ne peux qu'y adhérer, mais il nous reste encore un peu de temps pour finaliser le travail. Nos prévisions, comme celles du Gouvernement français, tablent sur 3,8 % de déficit en 2015, quand la recommandation de mars ciblait 4 %. Mais ce sont les résultats qui compteront. Voilà pour le volet finances publiques.

Pour ce qui est des réformes, les recommandations prennent la mesure des progrès accomplis et proposent des voies d'approfondissement, dans une logique d'exigence et d'accompagnement. Quand, le 25 février dernier, la Commission a délibéré, les discussions ont été longues et compliquées, car certains avaient des doutes sur la conduite des réformes en France. La discussion collégiale qui a eu lieu la semaine dernière a été beaucoup plus courte et beaucoup plus simple, parce que la Commission a le sentiment qu'elle a été entendue, et que le plan national de réformes présenté par le Gouvernement français est plus cohérent. Reste que notre exigence collective à l'égard de la France, qui est la deuxième économie de la zone euro, demeure élevé. Nous avons identifié six domaines prioritaires pour la période 2015-2016 : la poursuite de la correction durable du déficit public ; la maîtrise des dépenses et la montée en puissance des économies ; la poursuite des efforts visant à créer un environnement favorable au facteur travail ; l'amélioration du climat des affaires, focalisée sur les barrières réglementaires qui faussent la concurrence afin d'améliorer l'investissement - le projet de loi Macron, que le Sénat vient d'adopter, poursuit sa navette ; l'amélioration de l'équité du système fiscal, qui contient encore trop de poches d'inefficacités - c'est là une recommandation qui vaut pour tous les pays ; l'amélioration, enfin, de l'environnement juridique du marché du travail, où la segmentation s'enracine.

Vous aurez noté que nombre de ces recommandations invitent la France à poursuivre dans la voie qu'elle s'est déjà elle-même tracée, qu'il s'agisse du travail sur les retraites, de la mise en oeuvre du pacte de responsabilité, de la simplification administrative ou de l'amélioration du dispositif d'accords pour le maintien dans l'emploi. La Commission entend encourager les initiatives en cours, et inviter le Gouvernement français à tenir le cap.

Dans certains cas, identifiés comme des priorités, nous recommandons plus, tout en laissant à la France le choix des moyens. Je citerai trois exemples. Nous pensons, en premier lieu, que les conditions de fixation des salaires restent à améliorer, pour éviter une perte de compétitivité. En deuxième lieu, nous soulignons l'importance qu'il y a à simplifier la fiscalité, en particulier celle qui s'applique aux entreprises, et souhaiterions voir la France se rallier davantage à cet objectif. En troisième lieu, nous insistons sur l'accès au contrat à durée indéterminée. Nous estimons que le marché du travail est, en France, très segmenté, ce qui pèse sur le dynamisme du pays et sa cohésion sociale.

J'en arrive à vos questions sur la Grèce et sur la gouvernance de la zone euro.

La Grèce est un sujet qui m'occupe jour et nuit puisque je suis chargé, auprès du président de la Commission, qui suit ce dossier avec beaucoup d'attention, de la négociation avec ce pays. C'est le degré de volonté politique qui déterminera la suite des événements. Incontestablement, depuis quelques semaines, la situation s'est améliorée. L'Eurogroupe qui s'est tenu il y a quelques semaines à Riga avait été un moment de très grande tension, parce que nous y constations que durant les trois mois précédents, les négociations avaient patiné. Depuis trois semaines, cela va mieux. La négociation a produit plus de résultats qu'au cours de tous les mois précédents. Il faut l'imputer à un changement de méthode, à l'arrivée de nouvelles équipes, mais aussi au fait que la Grèce a entendu l'impatience de certains de ses partenaires. Une partie des obstacles plus ou moins artificiels qui pesaient sur la conduite des négociations ont été levés. Le Gouvernement grec a émis des propositions qui représentent des progrès réels, et c'est pourquoi l'Eurogroupe a parlé de « changements substantiels ». Sur plusieurs points, nous avons rapproché nos positions, et des propositions tangibles ont enfin été mises sur la table. Nous avons eu des discussions constructives sur une réforme en profondeur de la TVA. Les autorités grecques nous ont fait part de leur intention de légiférer pour la création d'une agence indépendante pour l'administration des revenus. Nous avons fait des progrès sur la stratégie à mettre en oeuvre pour faire face au problème des prêts non performants. Nous commençons à parler de réforme des retraites. Ce sont là des avancées précises, mais le compte n'y est pas encore. Il reste des divergences importantes à réduire sur d'autres sujets si nous voulons arriver à un accord dans les prochaines semaines. En particulier sur deux grands sujets, les retraites et le marché du travail. Les autorités grecques ont été claires sur les aspects du programme qu'elles n'acceptent pas. C'est leur droit, mais il est logique qu'elles indiquent, en retour, les alternatives qu'elles proposent pour atteindre l'objectif de création d'emploi et de soutenabilité des finances publiques.

Le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, désormais bien connu, estime que la fenêtre d'opportunité pour un accord est de deux semaines. Parce que la Grèce fait face à des problèmes de liquidité que chacun connaît. Nous n'ignorons pas ces tensions sur les liquidités, même si le Gouvernement a su faire preuve jusqu'à présent de créativité face aux exigences de paiement... Il est donc clair pour chacun qu'il faut aller vite. Il faut qu'un accord intervienne dans les quelques semaines à venir. Mon sentiment est que c'est possible, si l'on poursuit le rythme de travail qui est le nôtre, et qui a désormais un sens. La Commission s'y consacre. Elle n'a pas de plan B ; elle souhaite vraiment une Grèce plus solide, plus compétitive, qui reste dans la zone euro. C'est à quoi elle consacre ses efforts dans un dialogue constructif, même s'il n'est pas toujours facile, avec le Gouvernement grec. La Grèce doit rester dans la zone euro, c'est sa place, c'est son rang, c'est sa famille ; tous nos efforts sont tendus vers cet objectif.

Un mot, pour finir, sur la gouvernance de la zone euro. Comme vous le savez, un rapport dit des quatre présidents - Commission, Conseil, Eurogroupe, BCE - est en train de s'élaborer, travail auquel le Parlement européen apporte son appui. Il sera soumis au Parlement européen le mois prochain. Je pense, comme Mario Draghi, que nous devons nous fixer des objectifs de gouvernance ambitieux. Il faut à la zone euro des instruments de gouvernance à la hauteur de l'importance de cette monnaie dans les affaires internationales, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Pour moi, je crois profondément nécessaire que la zone euro se dote d'une capacité financière autonome. C'est une exigence fondamentale, en faveur de laquelle les autorités françaises plaident depuis de nombreuses années. En tout état de cause, il faut aller de l'avant sur la gouvernance.

Il est d'autres sujets qui nourrissent mon agenda, comme celui de la fiscalité, sur lequel je suis prêt à répondre à vos questions. Deux objectifs me guident, transparence et compétitivité. Cette Commission est attachée à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, à la lutte contre l'érosion des bases fiscales. Sur la transparence, j'ai un mandat très clair du président Juncker. J'ai proposé une directive sur l'échange automatique d'informations en matière de tax ruling. Autant il me paraît bon que les entreprises puissent, grâce à la procédure du rescrit fiscal, prévoir l'impôt qu'elles vont verser, car c'est un facteur d'attractivité, autant il ne me paraît pas logique qu'elles puissent, sur cette base, organiser une planification fiscale agressive qui ressemble parfois non seulement à de l'optimisation mais à de l'évasion. Il faut aller plus loin, d'où le projet d'assiette commune consolidée pour les sociétés que je présenterai dans quelques semaines.

L'une des ambitions de cette commission est de favoriser un dialogue de meilleure qualité entre le niveau communautaire et le niveau national, grâce à des échanges plus structurés en amont et à une discussion plus fournie avec les autorités de chaque pays. Le dialogue avec le Parlement est, dans ce cadre, très important, et j'espère que notre échange d'aujourd'hui sera le premier d'une série : je serai disponible chaque fois que vous le voudrez, tant pour parler du semestre européen que de la trajectoire budgétaire, de la fiscalité, ou des douanes - ce qui n'est pas un mince sujet.

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