Oui, nous avons voulu réduire le nombre de recommandations, qui est de trois à six selon les pays. Ce n'est pas un hasard si la France fait partie des pays auxquels six recommandations ont été adressées. J'ai évoqué notre réunion collégiale de février. Dans la procédure applicable aux déséquilibres macroéconomiques, dite Macroeconomic Imbalance Procedure, la France avait atteint le cinquième cran. Quand on en arrive au dernier, le sixième, cette procédure devient un peu désagréable, et nous voulions l'éviter. La France a entendu le message, et ce qu'elle a ensuite présenté était de meilleure qualité, et nous ne sommes donc pas allés plus loin. Cela étant, la France est la deuxième économie de la zone euro, et la Commission estime qu'il y a des réformes à faire. D'où un plus grand nombre de recommandations que pour l'Allemagne, où elles sont au nombre de trois, parce que nous tenons compte de la performance économique.
La France, qui représente 20 % de l'économie de la zone euro, a des atouts formidables - et vous me trouverez toujours dressé contre le « French bashing ». Mais elle a besoin de réformes, et c'est d'ailleurs ce que vous proposez sur tous les rangs de cette assemblée - en retenant des formules différentes, cela s'appelle la démocratie.
Un effort structurel doit-il être demandé à la France en 2015 ? Nous ne l'estimons pas, à ce stade, même si l'examen contradictoire n'est pas achevé. Les règles européennes, contrairement à ce que l'on pense, ne sont ni stupides ni rigides. Quand un pays ne réussit pas, pour des raisons diverses, à réduire suffisamment son déficit nominal, la corde de rappel du déficit structurel est là. C'est ce qui s'est passé au cours des dernières années, et qui a justifié deux reports supplémentaires du délai pour arriver sous les 3 %. La Commission a été amenée à constater, chaque fois, que l'effort structurel avait été mené, et qu'il pouvait être poursuivi. Mais quand cet effort structurel est en question, c'est le nominal qui prime. Or, pour 2015 et 2016, nous avons des raisons de penser que les prévisions de croissance retenues par le Gouvernement français sont assez valides, ainsi que vous le relevez, me semble-t-il, dans votre rapport. Pour 2014, la Commission, comme d'ailleurs le Gouvernement français, avait fait une erreur, puisque le déficit a été de 4 % au lieu de 4,3 % ou 4,4 %. Dès lors, il est réaliste de penser que nous serons à 3,5 % cette année, et à 3,4 % l'année suivante, à politique inchangée, c'est-à-dire sans prendre en compte les effets de réformes comme le CICE, que nous ne pouvons anticiper.
Pour ce qui est de l'effort de défense, le Gouvernement français a annoncé qu'il serait financé. C'est à lui de faire les propositions adéquates.
Le suramortissement ? Je ne me prononcerai pas sur les mesures dont vous débattez dans le cadre de l'examen d'un projet de loi. Je souligne simplement que tout ce qui va dans le sens de l'encouragement à l'investissement est bienvenu, car le taux d'investissement est le gros problème de l'économie européenne. Entre 2007 et 2015, les taux d'investissement globaux ont été de moins 15 %. Si nous ne faisons rien, alors que dans d'autres économies, et notamment l'économie américaine, l'innovation et l'investissement sont dynamiques, nous serons, dans dix ans - et cela vaut aussi pour l'Allemagne -, des pays de seconde zone. Il faut prioriser l'investissement, charge à chaque pays de déterminer les moyens.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, je reprendrai, je l'ai dit, le projet d'assiette commune consolidée, dit ACCIS, parce qu'il faut d'abord harmoniser les bases. Quant à la convergence des taux, j'y suis favorable, et c'est une option que la Commission considère avec beaucoup de sympathie, comme vous l'avez vu dans nos recommandations. Peut-être les initiatives franco-allemandes annoncées en d'autres temps pourraient-elles être reprises.
Vous comparez, sur la fiscalité, les initiatives de l'OCDE et celles de la Commission. Je ne vous suivrai pas sur ce terrain, parce que l'OCDE, à travers son travail sur l'érosion des bases fiscales, connu sous le nom de BEPS, mène une réflexion à l'échelle internationale. Je puis vous dire qu'au G2O, où, comme ministre des finances français, je représentais, jusqu'il y a quelques mois, notre pays, et où je représente aujourd'hui la Commission, ces travaux sont un appui pour faire avancer les standards, et notamment l'échange automatique d'informations. Et la Commission européenne joue pleinement son rôle en la matière. Je suis fier de pouvoir dire que s'agissant de l'échange automatique d'informations sur les tax rulings, c'est l'Europe, et non pas les États-Unis, comme ce fut le cas avec FATCA, qui va entraîner le peloton. Et je compte sur les États membres pour changer de braquet sur la transparence. Vous savez ce qu'il en est de la décision en Europe. Le projet ACCIS a été posé par la Commission sur la table du Conseil en 2011. Mais obtenir l'unanimité à vingt-huit n'est pas simple. Pour pousser les États membres à aller de l'avant, je ferai une nouvelle proposition, à la mi-juin. Et je ne compte pas m'arrêter à l'échange automatique sur les tax rulings ; il faut aller plus loin. Le Parlement européen se demande s'il ne faut pas des rapports pays par pays. J'ai dit ma sympathie pour cette idée. Nous allons au moins analyser l'impact économique que cela peut avoir. Et tout ce qui viendra des parlements nationaux pour nous aider à lutter contre l'évasion fiscale, la fraude fiscale, l'érosion des bases fiscales nous inspirera, croyez-moi. Cette commission veut mettre la transparence à son agenda du premier au dernier jour. Et je m'en réjouis, car c'est un combat que je mène, à titre personnel, depuis longtemps.
Je comprends, enfin, votre préoccupation sur la TVA. J'ai fait inscrire au programme de travail de 2016, dans le cadre de l'initiative dite « Mieux légiférer », une mise en place du régime définitif de TVA, qui supposera de réfléchir au numérique. Si nous n'avons pas souhaité inclure les problèmes fiscaux dans le projet de marché unique du numérique présenté par mes collègues Andrus Ansip et Günther Oettinger, c'est que nous estimons qu'ils doivent être traités dans un cadre plus large. Il est aussi une préoccupation très présente dans le débat français, celle de la TVA sur le livre numérique et la presse en ligne. La France, comme le Luxembourg, a été condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne. Mon intention n'est pas de mettre en cause les décisions de justice, mais il est des solutions possibles, qui permettent de prendre en compte ce qu'est l'économie du numérique. J'en ai évoqué quelques-unes, comme la possibilité de laisser le choix aux États membres. En tout état de cause, tous ces sujets seront repris en 2016.