Je remercie Éric Bocquet de sa jolie formule d'« assouplissement qualitatif ». Travailler avec les États en confiance, cesser d'être prescriptif ne veut pas dire, Monsieur Delahaye, que les sanctions sont exclues. Que leur rôle soit avant tout de dissuasion ne veut pas dire qu'elles ne peuvent être, le cas échéant, appliquées. Mon attitude à l'égard de la France, parce que je suis Français, est observée à la loupe. Je me garde de toute forme de complaisance, c'est une question de crédibilité. Vous me demandez ce qui pourrait déclencher les sanctions ? Si ni le déficit nominal, ni le déficit structurel n'étaient tenus, la Commission n'aurait d'autre choix que de les appliquer. C'est en vertu de l'effort sur le structurel que nous avons décidé, en février, d'accorder un délai. Notre logique n'est pas punitive. Pour moi, si des sanctions devaient intervenir, ce serait un échec. On sait, au plan national, qui en profiterait : les forces anti-européennes. L'approche par la conviction fonctionne mieux, de surcroît, qu'une approche purement disciplinaire.
François Marc juge mes propos rassurants. Ils le sont sur un point : incontestablement, l'économie européenne se porte mieux, et l'économie française ne fait pas exception. Mais il faut faire en sorte que ce ne soit pas un feu de paille. Ce n'est pas parce que les perspectives sont bonnes sur un semestre qu'il faut croire que c'est arrivé. Nos économies ont subi une récession et ne commencent qu'aujourd'hui à retrouver leur PIB de 2008. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir si nous voulons que ce rétablissement soit durable.
L'emploi, Monsieur Bocquet, est évidemment une préoccupation première. Le chômage baisse en Europe. La France, pour arriver à le réduire en France, a besoin d'un taux de croissance de 1,5 %, et d'améliorer le contenu de la croissance en emplois. On ne peut donc se contenter d'un taux de croissance à 1 %. Pour nous, il est possible d'atteindre 1,7 % en 2016. On en verra alors le résultat sur le marché du travail.
Je pense comme vous que l'investissement est une question fondamentale. Le plan Juncker vise un modèle de croissance fondé sur l'investissement et il est ciblé : sur le numérique, l'énergie, la transition énergétique, les transports, le capital humain, à travers l'innovation et la recherche. Je partage, Monsieur Gattolin, votre souci de l'industrie. J'ai été vingt ans l'élu d'une grande région industrielle. Pourquoi n'avons-nous pas d'industrie numérique significative en Europe ? Le premier constat, c'est que lorsqu'il existe des obstacles sur le marché, une société n'a pas la possibilité de s'étendre. C'est ainsi qu'il faut entendre l'initiative du marché unique numérique : il s'agit de lever les barrières, de réguler les plates-formes, de mettre en place une fiscalité adaptée. Au-delà, il faut une politique d'investissement ambitieuse. D'où les priorités du plan Juncker, dont fait partie le numérique.
François Marc m'interroge sur les flexibilités. La communication sur le sujet que j'ai présentée en janvier tient en trois points : un État qui investit doit être encouragé ; un État qui engage des réformes structurelles doit être encouragé ; l'effort structurel requis doit tenir compte de la situation cyclique du pays - on ne saurait demander le même effort à un pays en récession qu'à un autre. Comme vous l'avez noté avec votre acuité habituelle, tous les pays ne peuvent bénéficier de la clause d'investissement, car il faut être sorti de la procédure corrective et être en dessous de la barre des 3 % de déficit. Quels investissements peuvent être exclus ? Tous ceux qui entrent, d'abord, dans le périmètre du plan Juncker. Si un pays veut, par exemple, entrer au capital du plan stratégique européen d'investissement qui devrait voir le jour dans quelques semaines, cet effort ne sera pas comptabilisé comme déficit dans la procédure de surveillance. De même pour tout cofinancement entrepris dans le cadre du plan. Ces flexibilités ne sont pas nouvelles, elles existaient dans le cadre du pacte de croissance et de responsabilité, mais nous les systématisons.
Vous appelez de vos voeux, Monsieur Bocquet, un passage à la règle de la majorité qualifiée en matière fiscale. Je ne peux que vous suivre, mais le problème reste bien que pour modifier la règle de l'unanimité, il faut modifier les traités, ce qui requiert l'unanimité. Je crains donc que nous soyons contraints, pour un certain temps, à nous accommoder de la règle de l'unanimité... C'est un énorme sujet de frustration pour le commissaire à la fiscalité que je suis, tant les dossiers qui sont sur la table sont nombreux, mais c'est ainsi. Sur chaque projet fiscal, je dois me demander non seulement s'il est bon, mais s'il est susceptible de franchir la barre de l'unanimité. Il est des bons projets que nous avons dû retirer parce que la réponse à cette deuxième question était négative.
Sur le TAFTA, le traité transatlantique, des efforts de transparence beaucoup plus importants que ce qui ressort de vos propos ont été faits. Tant au niveau de la Commission, où un certain nombre de documents, et notamment le mandat de négociation, ont été rendus publics, qu'au niveau des gouvernements, qui font ce qu'il faut pour informer la représentation nationale. J'ai, au cours de ma vie politique, vu trop de projets capoter parce qu'une information lacunaire nourrissait les fantasmes pour être convaincu qu'il ne faut pas avoir peur de la transparence ; elle sécurise, quand l'opacité inquiète. Ce traité représente pour nous une opportunité importante, car le marché américain est beaucoup moins ouvert que le marché européen. Il doit être bien négocié, mais il y a aussi un combat à mener pour que les opinions y adhèrent, et dans ce combat, la transparence est une arme essentielle.
Je me garderai, Monsieur Delahaye, de répondre à votre question sur la simplification fiscale. La Commission ne livre que des analyses, qui fondent de grandes orientations. C'est ensuite à vous, parlementaires, de débattre, avec le Gouvernement, des mesures fiscales que vous souhaitez mettre en place.
Vous avez raison, Monsieur Gattolin, de juger que la priorité industrielle n'a pas suffisamment été affirmée dans le passé. Mais je pense qu'il ne faut pas opposer, comme je le disais au sujet du numérique, industrie et règles de marché. Vous aurez sans nul doute observé les évolutions de la Commission sur les questions relatives à la concurrence. Ma collègue Margrethe Vestager a pris, sur un certain nombre de sujets, des décisions courageuses et qui tranchent sur le passé. La concurrence ne doit pas jouer contre l'industrie. Il faut privilégier une approche transversale, qui mêle les aspects fiscaux, normatifs, industriels, et s'appuie sur le plan d'investissement et les réformes structurelles. C'est ainsi que l'on construira une politique industrielle moderne.
L'analyse de la Commission, Monsieur Karoutchi, est qu'il n'y a pas de déflation en Europe, mais qu'en revanche, l'inflation, trop basse, menace de nous entraîner vers un cycle déflationniste. L'inflation négative que nous avons connue était selon nous temporaire et largement alimentée par la baisse des prix du pétrole, dont l'effet est plutôt positif sur l'économie. Elle ne saurait être comparée à celle qui a suivi la crise de 1929. On sait ce que l'hyperinflation a provoqué en Allemagne, on sait aussi ce que la déflation, avec la politique de Laval, a provoqué en France. Nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure. Techniquement, l'Europe est sortie de cette spirale de l'inflation négative. Eurostat nous classe parmi les territoires légèrement positifs en matière d'inflation. Pourquoi, me demandez-vous, la BCE a-t-elle changé de politique ? Mais c'est toujours l'inflation qui reste son objectif. Quand l'inflation est trop élevée, elle pratique des politiques restrictives, quand elle est trop faible, elle met en oeuvre une politique d'assouplissement quantitatif pour la faire remonter autour de 2 %. Selon nos prévisions, l'inflation devrait être très légèrement positive en 2015 et remonter vers 1,5 % en 2016.