Intervention de Paul Dühr

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 juillet 2015 à 16h00
Institutions européennes — Audition de M. Paul Dühr ambassadeur du luxembourg en france

Paul Dühr, ambassadeur du Luxembourg en France :

Je souhaite d'abord revenir sur le degré d'ambition de la présidence luxembourgeoise. Nous avons simplement réalisé un inventaire des différents travaux inscrits au programme de travail des institutions européennes et dont l'échéance probable se situe au deuxième semestre 2015. Nous n'envisageons pas d'en mener à bien la totalité mais notre ambition est de mettre de l'huile dans les rouages et de faire avancer les choses. Nous sommes très conscients de nos limites car nous avons peu de moyens mais beaucoup d'énergie. Pour nous, l'Europe est une question de survie et nous nous investirons totalement dans cette Présidence.

J'en viens ensuite au volet transfrontalier. Actuellement entre 80 000 et 90 000 Français traversent quotidiennement la frontière vers le Luxembourg. À cela il faut ajouter les Français résidant au Luxembourg. Cette situation n'est pas sans conséquence en ce qui concerne le transport, les prestations de chômage mais des difficultés identiques se posent de l'autre côté de la frontière en France. Les charges sociales sont plus réduites à Luxembourg qu'en France et cela peut être la source d'une concurrence déloyale. Nous disposons d'un cadre intergouvernemental qui oeuvre à trouver des solutions à l'ensemble de ces problèmes. Vous avez mentionné la centrale de Cattenom qui pose de nombreux problèmes aux Luxembourgeois. Il faut envisager la situation à l'échelle européenne afin d'enclencher une transition énergétique pour sortir du nucléaire qui ne constitue pas une ressource pérenne.

En ce qui concerne la défense commune, notre sécurité passe par une défense crédible qui doit être mutualisée afin d'en maîtriser les coûts qui sont autrement exorbitants. Depuis le traité de Lisbonne, les sujets militaires ont été relégués au rang de discussion accessoire et cela est une erreur stratégique. J'entends les appels de la France à ce sujet et les Luxembourgeois sont très attachés à la défense commune. Le projet de défense commune sera soutenu par les Luxembourgeois mais nous nous inquiétons de l'évolution de la position britannique au sein de l'Union européenne. Il faut aussi intégrer dans notre réflexion le partage de notre sécurité avec la force de dissuasion américaine.

Monsieur Gattolin, par croissance inclusive, je comprends une croissance qui profite à tous et n'aggrave pas les inégalités.

Je suis entièrement d'accord avec vous sur le financement de l'Union européenne. Je me souviens d'ailleurs des difficultés que nous avions rencontrées avec nos partenaires britanniques lors de notre dernière présidence semestrielle en 2005 dans la négociation du nouveau cadre financier pluriannuel. M. Blair s'était montré inflexible en matière budgétaire. Évidemment, nous avons besoin de fonds propres. Évidemment, les moyens budgétaires de l'Union européenne sont ridicules. Mais je crois qu'il y a dans beaucoup d'États membres la crainte d'une instrumentalisation démagogique de la question du budget européen par les formations d'extrême gauche ou d'extrême droite, qui les incite à une grande prudence. Jean-Claude Juncker lorsqu'il était Premier ministre du Luxembourg avait proposé des pistes pour aller vers un autofinancement de l'Union européenne, les eurobonds notamment, mais vous savez ce qu'il est advenu de ces propositions...

Faut-il privilégier l'approfondissement de l'Union européenne à son élargissement ? Nous avons intégré la Grèce, l'Espagne et le Portugal pour y consolider la démocratie, de même avec les jeunes démocraties de l'Est lorsque le rideau de fer est tombé. Mais vous avez raison, Monsieur Raoul, nos procédures décisionnelles au regard des compétences que nous voulons conférer à l'Union européenne ne sont pas adaptées au nombre d'États membres. Quelle pourrait être la solution ? Procéder à des réformes d'envergure en rouvrant des négociations en vue d'un nouveau traité ? Le Luxembourg est opposé à une telle option. Je crois que pour le moment, malheureusement, nous devrons nous contenter de petits pas et essayer d'en tirer le maximum. Le drame actuellement, c'est qu'il n'y a plus de narratif européen ! Vers quelle Europe souhaitons-nous aller ? Vers plus de fédéralisme ou plus d'intergouvernemental ? Personne n'ose relancer ces débats car on sait qu'un consensus est très compliqué à obtenir.

Dans ce contexte, le Luxembourg sera très vigilant sur les dossiers des adhésions en cours. Les Balkans occidentaux restent une région instable. Je suis très inquiet lorsque je vois les affrontements qui se sont déroulés début mai en Macédoine, près de la frontière avec le Kosovo. Je crois personnellement qu'il faut donner à ces pays une raison d'espérer en confirmant leur perspective européenne, tout en se gardant de reproduire les erreurs commises au moment de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, voire de la Grèce.

En matière de formation professionnelle, la coopération transfrontalière a beaucoup de choses à nous apprendre. Il peut être plus avantageux d'être formé dans le cadre d'une coopération transfrontalière comme celle qui existe entre le Luxembourg, l'Allemagne et la région Lorraine qu'à 1 000 kms de distance dans le cadre d'un échange Erasmus. Je ne critique pas Erasmus, je souligne simplement une logique différente.

Dans le domaine du numérique, nous sommes dans une situation où les États-Unis ont la haute main sur le marché mondial. En Europe, nous avons la volonté d'investir davantage ce secteur mais nous pâtissons de manière générale d'un environnement administratif lourd, lent et compliqué. Des problèmes fiscaux se posent également. Le problème est que nous manquons de temps ; le marché numérique se développe malgré les gouvernements. Aujourd'hui, l'enjeu n'est plus de rattraper les américains mais de rester compétitifs par rapport aux pays émergents.

Je comprends les appréhensions françaises au sujet du dossier agricole dans le cadre des négociations sur le Partenariat transatlantique. Il faut rechercher un accord général équilibré, peut-être avec une clause de sauvegarde pour le volet agricole. Cela dit, les problèmes ne sont plus les mêmes qu'au moment de l'Uruguay round au début des années 1990, la population mondiale a presque doublé, il y a peut-être une autre agriculture à offrir. Nous avons tout intérêt à réorganiser notre agriculture afin d'être compétitifs. Il n'est toutefois assurément pas question de brader l'agriculture européenne dans le cadre du TTIP. La perte actuelle du marché russe est un vrai handicap pour nos agriculteurs et je crains qu'il soit très compliqué de le reconquérir lorsque les sanctions seront levées.

Les fonds de cohésion ne sont pas le seul domaine où l'Europe manifeste de la lourdeur ! Cela rejoint la question sur le fait de savoir si la Commission européenne n'a pas trop de poids. C'est tout l'enjeu et l'intérêt du paquet « Mieux légiférer ». En effet, on ne comprend plus qui légifère, de plus on légifère mal, lentement...

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