Intervention de Maros Sefcovic

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 octobre 2015 à 16h20
Énergie — Audition de M. Maros Sefcovic vice-président de la commission européenne en charge de l'énergie et du climat

Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne en charge de l'énergie et du climat :

Je suis très honoré d'être reçu par cinq commissions du Parlement, on m'a dit qu'il s'agissait d'un record ! Depuis plusieurs semaines, je voyage beaucoup, afin de comparer et de croiser les expériences dans l'optique de l'Union européenne de l'énergie. La transition énergétique est fondamentale, et nous disposons de nombreux exemples vertueux dans ce domaine dans l'Union européenne. Ma visite en France constitue une étape importante de mon tour d'Europe, car votre pays est un acteur incontournable dans tous les domaines constituant la stratégie pour l'union de l'énergie et joue un rôle historique dans la préparation de la COP 21. Je suis ici, car on ne peut pas bâtir l'Union européenne de l'énergie à Bruxelles. Il faut se rendre dans les capitales des pays membres pour obtenir le soutien des parlements nationaux et des populations.

Le 25 février dernier, la Commission européenne a défini sa stratégie pour une Union de l'énergie qui permette aux citoyens et aux entreprises de disposer d'une énergie sûre, durable, respectueuse du climat, compétitive et abordable. L'actuel système énergétique en Europe n'était plus soutenable, si bien que la transition énergétique s'avère indispensable.

Dans cette optique, trois thèmes émergent : la nécessité de renforcer nos coopérations via un projet ambitieux, celui de l'Union de l'énergie, et de créer un nouveau pacte européen de gouvernance énergétique ; l'importance de mener à bien la transition énergétique pour lutter contre le changement climatique et pour relancer l'économie européenne ; enfin, la préparation de la conférence de Paris.

Pourquoi l'Union de l'énergie est-elle nécessaire ? D'abord, parce que le coût de l'énergie est une question cruciale pour la compétitivité et la croissance de l'économie européenne. En 2012, la facture des importations de gaz et de pétrole de l'Union européenne a dépassé 400 milliards d'euros, soit plus d'un milliard d'euros par jour et 3,1 % du PIB de l'Union. Près de 11 % des foyers européens souffrent de précarité énergétique et ont du mal à payer leurs factures d'énergie tous les mois ; en outre, le coût de l'énergie a un impact direct sur la compétitivité des petites et des grandes entreprises, et donc sur la croissance économique en général.

Nous avons également besoin d'une union pour assurer notre sécurité énergétique. Les enjeux sont aujourd'hui considérables, et les tensions géopolitiques avec la Russie en Ukraine et les troubles en Afrique du Nord et au Moyen-Orient nous ont rappelé notre dépendance en matière d'approvisionnement, ces régions abritant certains de nos plus importants fournisseurs de gaz et de pétrole. Le marché européen de l'énergie doit donc être capable de faire face à des chocs extérieurs de cette nature, mais il nous reste beaucoup à faire pour parvenir à bâtir un véritable marché intégré de l'énergie. Madame Auroi, afin de ne pas dépendre de quelques acteurs, il convient de diversifier nos sources et nos routes d'approvisionnement de pétrole et de gaz.

Un citoyen ou une entreprise devront avoir la possibilité d'acheter leur électricité librement, y compris à un fournisseur situé dans un autre pays membre de l'Union européenne. Nous en sommes aujourd'hui loin, car de nombreuses barrières techniques et administratives subsistent.

L'Union européenne de l'énergie devra répondre à l'enjeu majeur de notre temps, celui de la lutte contre le changement climatique, celui-ci menaçant nos sociétés et nos économies. Nous avons déjà accompli de nombreux progrès, mais nous devons redoubler nos efforts pour atteindre nos objectifs contraignants pour 2020 et 2030 en matière de réduction d'émission de gaz à effet de serre (GES), d'amélioration de l'efficacité énergétique et de croissance des énergies renouvelables.

L'Union européenne importe 66 % du gaz naturel qu'elle consomme ; la Russie nous fournit 42 % de ce gaz, la Norvège 38 %, et le dernier cinquième est réparti à parts égales entre l'Algérie, la Libye et les gaz naturels liquéfiés (GNL). Au vu de ce constat et de la situation géopolitique actuelle, il s'avère impératif pour l'Europe de diversifier ses sources, ses fournisseurs et ses itinéraires d'approvisionnement. En effet, il convient de sortir de la situation de dépendance envers la Russie dans laquelle se trouvent plusieurs pays de l'Union européenne.

Il nous faut donc prioritairement accélérer le développement du corridor gazier sud-européen afin de bénéficier du gaz caspien avant 2020. En outre, il y a lieu de mettre en place un hub gazier en Méditerranée, et les récentes découvertes de gisements près de l'Égypte et d'Israël devraient y contribuer. Nous devons développer notre coopération avec les pays méditerranéens pour notre approvisionnement en électricité et en énergies renouvelables, et améliorer la qualité de notre dialogue énergétique avec l'Algérie et la Turquie. Il convient également d'encourager la création de hubs gaziers en Europe centrale et orientale. L'annulation par la Russie du projet de gazoduc South Stream en décembre dernier a mis en lumière les dangers de la dépendance et la nécessité de diversifier les sources d'approvisionnement. Je me réjouis qu'en juillet dernier, quelques mois seulement après cette annonce, nous soyons parvenus à conclure un accord à Dubrovnik, qui marque le soutien de quinze pays de cette région à sept projets importants qui permettront de bénéficier de nouvelles sources et routes d'approvisionnement en énergie.

La Commission européenne proposera, au début de l'année 2016, une stratégie en matière de GNL et de stockage de gaz, afin que l'Union européenne devienne un acteur prépondérant du stockage d'énergie.

Cette nouvelle approche en matière de diplomatie énergétique doit permettre à l'Union européenne de parler d'une seule voix et de peser dans les négociations internationales. Responsable des discussions avec la Russie et l'Ukraine pour le secteur gazier, je mesure l'importance de l'Union européenne dans la gestion du conflit entre ces deux pays et j'espère que nos efforts permettront aux citoyens ukrainiens et européens de disposer de toute l'énergie nécessaire cet hiver.

Nous devons améliorer l'interconnexion entre les États membres et abolir les barrières qui subsistent dans le marché unique. Nous avons donc proposé de fixer un objectif de 10 % d'interconnexions électriques d'ici à 2020, et je voudrais, à ce titre, remercier la France d'avoir signé un accord avec le Portugal et l'Espagne sur les interconnexions énergétiques qui constitue une grande avancée pour mettre un terme à l'isolement de la péninsule ibérique.

Cependant, les interconnexions coûtant cher, les besoins en investissements sont élevés. Le soutien aux projets dans le domaine des infrastructures d'énergie, de son transport et de son efficacité constitue donc l'un des axes principaux du plan d'investissement du président Juncker. Ces fonds représenteront des leviers pour les investisseurs privés dans ce secteur si important pour la relance économique en Europe.

Monsieur Bizet, je suis sûr que nous sommes d'accord pour estimer que le marché de l'électricité a profondément évolué au cours des cinq dernières années, et notre « Nouvelle organisation du marché de l'électricité » répondra aux nouveaux défis en assurant davantage de prévisibilité et en attirant les investissements à long terme nécessaires pour les nouvelles technologies. Nous avons initié une consultation publique - je discutais de ces sujets avec les représentants des industries françaises il y a deux heures -, afin de nourrir notre projet des meilleures idées.

Je tiens à vous féliciter pour la loi de transition énergétique que vous avez adoptée, mesdames et messieurs les parlementaires. En effet, cette loi est très ambitieuse en termes de périmètre, d'objectifs et d'actions concrètes, et elle s'avère également proche des cent thèmes constituant l'Union de l'énergie. Ce texte couvre de nombreux domaines, dont l'efficacité énergétique des logements, l'environnement, le transport, la recherche et l'innovation, et l'interaction entre l'énergie et le climat. Le déploiement de l'Union de l'énergie amplifiera les effets de cette loi, qui, de son côté, renforce la dimension sociale de l'Union, ainsi que la compétitivité de l'industrie et de l'économie françaises et européennes.

Nous tenons une opportunité historique de parvenir à un accord en décembre à Paris, et la Commission apporte aux autorités françaises son soutien le plus total pour faire de la COP 21 un grand succès français, européen et mondial. Aujourd'hui, le fait que 148 pays, couvrant plus de 88 % des émissions mondiales, aient communiqué leur plan climat à l'horizon de 2025 ou de 2030, représente un progrès considérable par rapport au Protocole de Kyoto. Cependant, il faut approfondir la coopération européenne et internationale, car il est difficile de conduire des négociations avec plus de 190 gouvernements. Nous restons vigilants sur le rythme d'avancement des travaux et sur le niveau des ambitions, et je discuterai de ces questions avec M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, demain matin.

Je suis très impressionné par le plan de la RATP pour 2025, car Paris sera la première ville où seuls des bus électriques ou hybrides circuleront. C'est un objectif impressionnant qui doit servir d'inspiration partout en Europe. J'ai entendu les attentes des entreprises françaises pour la COP 21, comparables à celles exprimées par leurs homologues européennes : elles sont prêtes à consentir des efforts pour continuer d'être des têtes de pont dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais elles attendent que leurs concurrentes dans les autres régions du monde évoluent avec les mêmes contraintes. Lutter contre le réchauffement climatique pour sauver la planète est une tâche mondiale qui ne doit pas incomber à la seule industrie européenne.

Mesdames et messieurs les députés et sénateurs, les deux objectifs clés que le Président Juncker a fixés à la Commission européenne sont de retrouver le chemin de la croissance et de remettre les Européens au travail, et de bâtir une Union de l'énergie résiliente et une politique visionnaire en matière de changement climatique. Ces deux buts m'apparaissent non seulement complémentaires, mais également interdépendants. Nous ne pourrons pas les atteindre sans une industrie compétitive, forte et prospère. J'espère que nos échanges d'aujourd'hui nous permettront d'avancer ensemble dans ce chemin et vers une économie européenne plus durable, sobre en carbone et respectueuse de l'environnement.

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