Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 novembre 2015 à 8h30
Institutions européennes — Rencontre avec la commission des affaires européennes du sénat italien : rapport d'information de mm jean bizet michel billout mmes pascale gruny gisèle jourda mm. jean-yves leconte didier marie yves pozzo di borgo jean-claude requier et simon sutour

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Plus de 136 000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes depuis le début de l'année. Si le rythme est moins intense ces dernières semaines, les autorités italiennes estiment que ce chiffre devrait atteindre 150 000 à la fin de l'année. Les principales nationalités représentées sont issues d'Afrique subsaharienne et 89 % des arrivées proviennent de Libye. La voie maritime n'est pas la seule, puisqu'on observe de nouveaux flux au Nord-Est du pays en provenance des Balkans, via la Slovénie et la Croatie. L'Italie ne dispose que de trois centres d'accueil et d'enregistrement. Ces hot spots sont situés en Sicile...

Les équipes sur place sont confrontées au refus des migrants d'être enregistrés par leurs empreintes digitales, le droit italien limitant par ailleurs les possibilités de contrainte et de rétention. Sur les 92 000 migrants arrivés en Italie entre janvier et juillet 2015, seuls 30 000 ont pu être enregistrés. L'enregistrement n'est d'ailleurs pas systématiquement demandé. La distinction entre demandeurs d'asile et migrants économiques est délicate. L'Italie a enregistré 64 600 demandes d'asile en 2014 et en a accepté 21 000. Comme la France, elle est confrontée à la difficulté de faire exécuter les décisions de retour dans le pays d'origine, en l'absence d'accords de réadmission avec les principaux pays de départ.

Son statut de pays d'accueil confère à l'Italie une expertise particulière pour définir les contours d'une nouvelle politique migratoire européenne. Les autorités italiennes souhaitent voir émerger un véritable droit d'asile européen, dépassant le cadre du système de Dublin, et plaident pour une négociation européenne des accords de réadmission avec les pays tiers. Elles militent également pour une gestion des retours via l'agence Frontex, dont le mandat serait révisé et les moyens, renforcés. Ces positions sont proches des nôtres.

Dans ce contexte, notre déplacement en Italie, à l'invitation de la commission sur les politiques de l'Union européenne du Sénat de la République, prenait tout son sens.

Quatre thèmes de travail avaient été retenus : la crise des migrants et la coopération euro-méditerranéenne ; l'avenir de l'Union économique et monétaire et les politiques européennes en faveur de la croissance et de l'emploi ; le numérique et ses incidences industrielles ; l'Union de l'énergie et le rôle de l'Union européenne en faveur de la lutte contre le changement climatique. À l'issue de cette réunion, une déclaration conjointe a été adoptée.

Sur la crise des migrants et de la politique méditerranéenne, nous avons insisté sur le double défi auquel l'Union est confrontée : accueillir les personnes persécutées et veiller, dans le même temps, au contrôle effectif de ses frontières extérieures, nécessité que nous ont rappelée les attentats de Paris. Nous avons salué le fait que l'Union entende se doter d'instruments pour parvenir à ces objectifs, qu'il s'agisse de l'établissement d'une liste de pays sûrs ou du mécanisme de relocalisation exceptionnel et temporaire des migrants. Un mécanisme pérenne soulève des questions plus complexes. Nous avons également appelé de nos voeux la mise en place progressive d'un système de gestion intégrée des frontières extérieures et la création d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens. Comme nous, nos homologues italiens demandent que Frontex puisse conduire des opérations de retour conjointes.

Nous n'avons pas occulté plusieurs questions de fond, notamment celle de la culture de l'asile au sein de l'Union européenne, alors que les prévisions de l'OCDE tablent sur des flux équivalents de migrants en direction de l'Union européenne pendant la prochaine décennie. Le phénomène n'est donc pas temporaire et ne saurait se limiter à la seule question syrienne. La réussite de l'intégration devrait dépendre pour partie des conditions économiques des pays d'accueil. La dimension démographique ne doit pas non plus être négligée, les migrations pouvant être une des réponses, à terme, à la baisse du taux de fécondité en Europe, comme elles le sont en Russie.

Nos deux commissions ont regretté par ailleurs la priorité accordée au Partenariat oriental, alors même que le printemps arabe bouleversait les équilibres sur la rive Sud de la Méditerranée. L'Union européenne a insuffisamment pris en compte cette mutation dans sa politique de voisinage, n'accompagnant pas suffisamment ce qui peut être comparé à la chute du Mur de Berlin. Loin d'opposer Est européen et rive Sud de la Méditerranée, nous avons rappelé l'interdépendance des enjeux, dont témoigne l'intervention russe en Syrie. La Méditerranée ne doit en aucun cas être considérée comme une frontière fermée, mais bien comme une zone d'échanges, devant nourrir de nombreux partenariats. Il s'agit de dépasser la promotion d'une zone de libre-échange complet et approfondi pour envisager une nouvelle relation permettant à l'Union européenne de défendre ses valeurs mais aussi ses intérêts. Avant notre déplacement à Rome, nous avions participé la veille avec MM. Bizet et Sutour à une rencontre à Florence avec des représentants politiques des pays de l'Union pour la Méditerranée (UpM) où nous avons pu constater que la refonte de la politique méditerranéenne de l'Union européenne est une ambition partagée sur les deux rives.

Au sujet de l'Union économique et monétaire, les deux commissions ont convenu que son approfondissement passait à la fois par une convergence plus poussée des économies nationales et par l'adoption de réformes structurelles - y compris en France ! - renforçant la compétitivité des États membres. La convergence implique de progresser en vue d'un approfondissement du marché intérieur mais aussi d'une plus grande harmonisation des pratiques fiscales et sociales. Il s'agit d'éviter toute distorsion de concurrence à l'intérieur de la zone euro. Toute consolidation de l'Union économique et monétaire doit aller de pair avec un renforcement de sa légitimité démocratique et l'instauration d'un véritable contrôle parlementaire. Celui-ci doit, selon les deux commissions, associer pleinement les parlements nationaux. L'idée d'un Parlement de la zone euro, défendue par la France, a notamment été abordée.

Les deux commissions ont par ailleurs souligné les questions que posait le passage à l'ère numérique, qu'il s'agisse des atteintes possibles aux libertés fondamentales des individus et à la souveraineté des États, de l'émergence de nouveaux comportements citoyens et de nouveaux modes de consommation ou des défis que représentent l'extraterritorialité, les incidences commerciales de l'innovation et l'émergence d'une économie du partage, qui requiert elle-même un débat sur ses contours et sa fiscalisation. Les deux commissions ont surtout souligné la nécessité de mettre en place une politique numérique européenne répondant à deux ambitions : protection des consommateurs et promotion d'une industrie européenne compétitive face aux géants américains et chinois.

Les deux commissions ont, enfin, salué le projet d'Union de l'énergie, présenté par la Commission européenne début 2015. Elles souhaitent que deux objectifs soient atteints : la mise à disposition d'une énergie sécurisée, durable et bon marché et la mise en place de larges interconnexions sur le territoire européen. Il s'agit ainsi d'organiser le marché intérieur de l'énergie en limitant son coût et sans préjudice de la compétence reconnue à chaque État membre de déterminer le mix énergétique sur son territoire. La question de l'énergie a été liée à celle du climat, dans le contexte de la préparation de la COP21. Nous avons salué les engagements ambitieux souscrits par l'Union européenne dans sa contribution à la réduction des gaz à effet de serre et appelé à dégager les ressources publiques nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des émissions des gaz à effet de serre.

Les déclarations communes de Rome et de Florence sont reproduites dans le rapport.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion