Intervention de Louis Nègre

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 novembre 2015 à 8h30
Politique de coopération — Activités de l'assemblée parlementaire de l'union pour la méditerranée : communication de m. louis nègre

Photo de Louis NègreLouis Nègre :

Nous passons dans ce domaine de Charybde en Scylla ! J'ai assisté, il y a quelques semaines, à la session plénière de l'Assemblée parlementaire de l'UpM (AP-UpM), où je représente le Sénat depuis octobre 2014. Cette expérience m'a laissé sceptique sur le fonctionnement de cette enceinte et la portée de ses travaux. Qu'est devenu ce beau projet qu'était l'UpM ?

Abordons en premier lieu le fonctionnement. Je suis membre de deux commissions au sein de cette assemblée : la commission des affaires politiques, de la sécurité et des droits de l'Homme et celle de l'énergie, de l'environnement et de l'eau.

Mes impressions divergent d'une commission à l'autre. Au sein de la première, nous étions amenés à nous prononcer sur une proposition de résolution sur les migrants en situation irrégulière. Comme il s'agit d'un sujet d'une importance capitale pour nos pays, la Méditerranée étant devenue le théâtre de tragédies quotidiennes, je m'attendais à un débat nourri durant les trois heures de réunion, autour de problématiques telles que la lutte contre les filières de passeurs, la question de l'accueil et de la soutenabilité de celui-ci par les États de la rive nord - voire sur la question des conflits syrien ou libyen. Ces thèmes ont été esquissés, j'en conviens. Ils ont cependant été parasités par deux sujets connexes : la question du Sahara occidental, qui a donné lieu à des passes d'armes sémantiques entre parlementaires marocains et représentants du Parlement européen, et le conflit israélo-palestinien. Au moins deux heures sur trois ont été consacrées à ces problèmes, ce qui a paralysé la discussion sur le coeur même du sujet. Faute de temps, l'examen du texte a été très sommaire, ce qui empêché tout débat de fond sur les thèmes dont j'ai fait état, et notamment sur la relocalisation. Ne souhaitant pas m'associer à ce texte, j'ai demandé un vote, comme il est de tradition dans une commission parlementaire. Il m'a alors été objecté que les procédures en la matière étaient complexes et que l'Assemblée de l'UpM s'efforçait de rechercher avant tout le consensus. Comment trouver un consensus à propos du Sahara occidental ou du conflit israélo-palestinien ? Étrange.

L'examen en séance plénière, le lendemain, n'a pas donné lieu non plus à un véritable débat, la séance étant principalement consacrée à des interventions mêlant satisfecit et incantations. Seule l'intervention d'une ambassadrice libyenne a eu le mérite de rappeler la réalité des drames que traversait la région. Non voilée, elle a lancé un appel à l'aide qui nous a fortement impressionnés, car il incarnait les valeurs mêmes que nous défendons.

Quant à la deuxième commission, plus technique, je suis également quelque peu resté sur ma faim. Je ne nie pas la qualité des échanges sur des sujets aussi divers que la protection du milieu marin, le tourisme écologique et marin ou les énergies renouvelables. Je m'interroge simplement sur la valeur ajoutée de l'action de cette assemblée, qui n'a pas su, à mon sens, accompagner véritablement les grands projets que devait porter l'UpM, comme le projet Desertec, qui prévoit l'exploitation du potentiel énergétique des déserts ou le plan solaire méditerranéen, qui visait à explorer les possibilités de développer des sources d'énergie alternatives dans la région méditerranéenne. L'objectif affiché était pourtant d'atteindre en 2020 une puissance installée totale de 20 GW, dont 5 GW à réexporter vers l'Europe.

Ce constat amer mais lucide quant à ma première expérience au sein de l'AP-UpM me pousse à m'interroger sur ce qu'est aujourd'hui l'UpM. Cette organisation me semble souffrir tout d'abord d'un vrai problème de lisibilité et de positionnement. Je ne mésestime pas la qualité des projets qu'elle a labélisés, comme l'usine de dessalement des eaux de Gaza ou la Transmaghrébine, mais qui connaît le rôle de l'UpM en faveur du développement de la rive sud ?

Politiquement, elle est relativement inexistante. Portée sur des fonts baptismaux en juillet 2008, elle n'a finalement jamais trouvé sa vitesse de croisière. Le processus de Barcelone grippé, le président Sarkozy avait souhaité relancer la politique méditerranéenne de l'Union par cette assemblée, censée dépasser les crispations politiques grâce à une logique de projets. L'UpM étudie la faisabilité de chacun de ces chantiers et les soumet ensuite à des bailleurs de fonds institutionnels ou privés. Une fois concrétisés, ces projets devaient pousser au rapprochement politique. L'opération « Plomb durci » en décembre 2008 a pourtant replacé le conflit israélo-palestinien au coeur de cette politique méditerranéenne, ce qui a fragilisé tout dialogue. La délégation israélienne n'était ainsi pas présente à la session plénière de l'AP-UpM. Le « printemps arabe » et ses conséquences ont également fragilisé un peu plus l'édifice. Certains pays ne sont plus parties prenantes aux discussions, comme le Liban, la Syrie et d'autres, qui étaient pourtant les piliers de cette nouvelle organisation. D'autres se trouvent clairement en retrait : c'est notamment le cas de l'Égypte.

L'effacement de l'UpM contraste avec la nécessité de trouver des réponses politiques aux crises multiples que traverse la région. L'UpM doit s'affirmer comme un forum indispensable d'échanges entre rives nord et sud du Bassin. La question des migrations ou celle du terrorisme ne sauraient se régler au sein du seul Conseil européen. Je ne doute pas de l'ambition politique de l'AP-UpM, mais suis sceptique sur la qualité des textes qu'elle adopte faute de débat structuré. Je regrette que cette ambition politique soit absente du Conseil des ministres de l'Union pour la Méditerranée. Je vous ai parlé du poids du contexte pour expliquer cette relative atonie. Je regrette également que l'Union européenne n'ait pas tenté de relancer la dynamique initiale en profitant notamment du bouleversement qu'a représenté le printemps arabe. J'espère que le renouvellement du volet méditerranéen de sa politique de voisinage, qui nous a été annoncé pour cet automne, permettra d'avancer dans cette direction. La déclaration de Florence, dont mes collègues viennent de parler, demande de recentrer le quadrant géostratégique sur la Méditerranée. La carte murale de cette salle, par exemple, montre fort bien l'Islande - qui nous pose assez peu de problèmes - mais s'arrête avant la rive sud de la Méditerranée...

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