Intervention de Daniel Raoul

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 novembre 2015 à 8h30
Politique commerciale — Agriculture et pêche - proposition de résolution européenne sur les conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire : rapport de mm. philippe bonnecarrère et daniel raoul

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

L'agriculture est un secteur stratégique sur le plan économique et commercial, singulièrement en France ; les enjeux de société et d'environnement en font un élément essentiel des négociations du traité transatlantique. C'est le message important que fait passer la proposition de notre collègue Michel Billout, sur lequel nous présenterons cinq observations.

D'abord, la fin progressive des droits de douane, objectif du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (en français PTIC), se fait dans un contexte de compétitivité déséquilibrée entre l'Union européenne et les États-Unis.

Globalement, les droits de douane appliqués aux produits agricoles et agroalimentaires dans l'Union européenne sont deux fois supérieurs à ceux qui sont appliqués aux États-Unis : 12,2 % en moyenne contre 6,6 %. Des deux côtés sont aussi appliqués des pics tarifaires élevés : dans l'Union européenne pour certains produits sensibles, aux États-Unis pour quelques produits européens : 112 % sur le lactosérum, 39 % pour certains fromages, principalement au lait cru.

Certains produits déclarés sensibles compte tenu de leur fragilité économique ou commerciale ne sont pas concernés par la réduction des droits de douane : la viande de boeuf, de porc et la volaille, les ovoproduits, le maïs doux, les petits légumes, les produits à base d'amidon, l'éthanol, ses produits dérivés et le rhum. Leur traitement spécifique, déterminé à l'issue de la négociation, peut aboutir à l'octroi au partenaire d'un contingent à droit réduit ou nul.

L'accès des produits européens au marché des États-Unis pâtit d'un grand écart de compétitivité. Le coût de l'énergie, les différences de réglementation, en particulier sanitaire, les écarts de coût du travail, enfin et surtout la taille et la structure respective des exploitations, tous ces paramètres sont autant d'éléments d'une concurrence inégalitaire.

En deuxième lieu, le secteur de la viande bovine est particulièrement exposé ; il est emblématique des pratiques respectives de chacune des parties dans leurs systèmes d'élevage, qui placent l'Europe, mais plus singulièrement la France, dans une posture défensive.

En France, 90 % des aliments de troupeau bovin sont produits sur l'exploitation et 80 % de la ration de base est composée d'herbe. L'alimentation du cheptel bovin aux États-Unis se fait à base d'additifs alimentaires utilisés comme activateurs de croissance - un euphémisme pour désigner les hormones. Les deux tiers des bovins y sont engraissés dans des « feedlots », des espaces artificiels de production pouvant contenir jusqu'à 200 000 bêtes, quand en France les exploitations d'élevage dit intensif accueillent en moyenne entre 60 et 200 bovins, la ferme des mille vaches faisant figure d'exception.

La concurrence de la viande bovine des États-Unis est aussi qualitative. Le consommateur américain mangeant surtout de la viande hachée, fabriquée à partir de tous les morceaux, la filière américaine a tout intérêt à concentrer ses exportations sur le marché européen des morceaux nobles. Or ce marché, estimé à seulement 400 000 tonnes, est à ce jour le plus rentable pour les producteurs français de viande bovine.

Par ailleurs, États-Unis et Canada bénéficient déjà de contingents d'exportation vers l'Union européenne de viande bovine pour les produits sans hormones ni accélérateurs de croissance - 45 000 tonnes en faveur des États-Unis, mais aussi à l'égard d'autres membres de l'OMC, depuis 2009. Un autre contingent, dit contingent Hilton, est ouvert conjointement pour le Canada et les États-Unis, qui s'en partagent les 11 500 tonnes ; un droit de 20 % y est associé, mais il a été réduit à zéro pour le Canada dans le cadre de l'Accord économique et commercial global (AECG).

L'exposé des motifs de la proposition de résolution mentionne également l'inquiétude que suscite le risque de fusion des contingents du Canada et des États-Unis, dans l'hypothèse d'une conclusion de l'accord de libre-échange. Il faut en effet être vigilant : une viande bovine, née aux États-Unis, pourrait se voir conférer une origine préférentielle « Canada » lorsqu'elle est exportée depuis ce pays dans l'UE.

Enfin, des embargos interdisent l'exportation européenne des viandes bovine, ovine et caprine depuis l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Les États-Unis ne l'ont levé, récemment, que pour les viandes d'Irlande et de Lituanie. Les expertises conduites l'an passé en France doivent aboutir à une levée prochaine des exportations françaises.

Notre troisième observation concerne les intérêts offensifs de la filière laitière. Les professionnels français du secteur font valoir que dans un marché européen saturé, le développement de la production laitière, et particulièrement des fromages, passe par le développement de l'exportation, notamment vers les États-Unis. Mais il y a un obstacle tarifaire : les droits américains sur les produits laitiers dépassent le niveau des droits moyens - 80 % pour certains fromages, 112 % pour la poudre de lactosérum. Le deuxième obstacle concerne les règles sanitaires : les États-Unis imposent des contrôles plus rigoureux encore que l'Union européenne. Les importations de fromages au lait cru pâtissent évidemment de cette situation.

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