Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 novembre 2015 à 8h30
Politique commerciale — Agriculture et pêche - proposition de résolution européenne sur les conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire : rapport de mm. philippe bonnecarrère et daniel raoul

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

En préambule, avant de poursuivre, permettez-moi d'attirer votre attention sur deux points. Vous constaterez à la page 7 de notre rapport que les vins et spiritueux constituent la très grande majorité de nos exportations vers les États-Unis. Le tableau de la page 9 montre que contrairement à une idée reçue, la différence de taille moyenne entre les exploitations n'est pas si grande : 55 hectares de surface agricole utile pour la France, 169 hectares, seulement, en moyenne, pour les États-Unis, certes très au-dessus de la moyenne européenne, qui est de 14 hectares ! L'Est de l'Europe devra engager un effort de restructuration comparable à celui que notre pays a mené dans l'après-guerre.

J'en viens à notre quatrième observation : les autorités de régulation de l'Union européenne et des États-Unis ont bien sûr en commun le souci de protéger leurs consommateurs, mais les démarches respectives pour y aboutir sont très différentes. La disparité des normes freine le flux des échanges.

Il existe deux conceptions du risque sanitaire : l'approche américaine « fondée sur la science », et l'approche européenne du principe de précaution lié à un ensemble de choix sociétaux, les « préférences collectives ».

Le mandat de négociation de la Commission fait droit aux deux approches (science et précaution) pour inciter à une convergence, à une harmonisation règlementaire ou à une reconnaissance d'équivalence.

Les négociateurs doivent donc veiller à obtenir une reconnaissance réciproque des principes et des outils de facilitation des échanges, en particulier par une reconnaissance mutuelle des systèmes de contrôle. Une telle démarche devra exclure les inspections préalables à l'exportation, réalisées dans le pays exportateur par des équipes du pays d'importation au frais de l'exportateur. Lors des auditions, nous avons découvert que faute d'engager ces inspections préalables, les entreprises françaises, à l'exception des plus importantes, n'exportaient pas vers les États-Unis.

Ces derniers ne reconnaissent pas les normes de pasteurisation européennes. Une reconnaissance de l'équivalence des réglementations de ce type de produits « grade A » faciliterait les exportations, alors même que le marché américain est aujourd'hui fermé à la plupart des fromages au lait cru.

Pour en revenir aux préférences collectives européennes, les « promoteurs de croissance » - euphémisme ! -, les OGM, la décontamination chimique des viandes et le clonage animal constituent un enjeu majeur. La gestion du risque fondé sur le principe de précaution en situation d'incertitude scientifique s'applique ici pleinement. Les négociateurs doivent prendre en compte, en complément de l'évaluation scientifique, les intérêts et choix exprimés par les consommateurs et citoyens européens en tant que préférences collectives. Sur ce point, au-delà des préoccupations exprimées par Michel Billout, il faut raison garder : l'accord ne pourra remettre en cause la capacité de l'Union et de ses États membres à faire respecter ces choix collectifs qui, rappelons-le, sont exclus du mandat de négociation confié à la Commission.

Enfin, le sujet le plus difficile dans la négociation reste celui des indications géographiques : le système européen s'oppose au système américain des marques. L'indication géographique est ancrée dans un territoire. Elle est liée à un savoir-faire, à un mode de production, défendus et entretenus par les fabricants, souvent des producteurs locaux.

À l'inverse, les États-Unis font prévaloir le système de la marque. Contrairement aux indications géographiques, les marques ont une durée limitée, qui doit être renouvelée tous les dix ans ; une marque peut être vendue, à la différence d'une indication géographique.

Cette conception européenne des indications géographiques a reçu, l'an passé, au grand dam des États-Unis, une consécration juridique avec l'acte de Genève modifiant l'arrangement de Lisbonne dans le cadre de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Cela renforce la main de la Commission dans la négociation commerciale sur ce point, même si les États-Unis ne sont pas partie à l'accord en question.

La France doit donc insister avec force auprès de la Commission pour la reconnaissance et la protection d'une liste ciblée d'indications géographiques dans le cadre de l'accord. La reconnaissance du millier d'indications géographiques existantes en France est illusoire, mais nous espérons en faire admettre une centaine. Aucun progrès n'a été fait sur ce sujet à ce jour. Il s'agit pour la France d'un intérêt offensif majeur et d'importance stratégique : s'il n'était pas reconnu dans le Traité transatlantique, il disparaîtrait de tous les accords commerciaux à venir.

En effet, après l'échec des négociations de l'OMC et la mise en sommeil des discussions avec le Mercosur, le travail des négociateurs européens s'est concentré sur les accords bilatéraux, d'abord avec certains pays émergents puis avec les États-Unis. Nous avons rencontré quelques succès sur la question des indications géographiques, en particulier dans l'accord avec le Vietnam. C'est la force du précédent : si un élément - ici l'indication géographique - est intégré dans une série de traités et surtout dans le traité transatlantique, le prix à payer pour son inclusion dans d'autres accords sera moins élevé. Vu l'importance économique des partenaires, le traité transatlantique aura en effet un impact sur tous les accords qui suivront.

La proposition de résolution de notre collègue Michel Billout est importante, car les agricultures européenne et française sont des secteurs économiquement, socialement, et même culturellement essentiels. Les dispositions qui les concerneront dans le cadre d'un futur accord commercial ne doivent pas être les variables d'ajustement de concessions obtenues sur d'autres secteurs en débat.

De plus, cette proposition de résolution arrive à point nommé, au moment où les négociations entre la Commission et ses interlocuteurs américains semblent entrer, enfin, dans le vif des sujets. Les questions en discussion dans le volet agricole ont été divisées en trois « boîtes » : les sujets sensibles, non sensibles et intermédiaires.

Les quelques modifications que nous vous proposons d'apporter ont surtout pour but de renforcer le texte en le complétant.

D'abord, il faut faire valoir les aspects positifs de la conclusion d'un accord équilibré, qui lèverait des obstacles non tarifaires et qui prendrait en compte les consignes que les États membres ont données à la Commission, dans l'intérêt du secteur agricole français, en particulier de ceux de ses opérateurs qui y trouveront une ouverture pour leurs intérêts offensifs.

Nous proposons aussi de rappeler le nécessaire respect des préférences collectives dans le projet d'accord : la convergence réglementaire ou les reconnaissances d'équivalence ne doivent pas affecter les hauts niveaux de protection des consommateurs.

Il faut également mentionner explicitement l'importance de la reconnaissance et de la protection des indications géographiques.

Veillons aussi à préserver les produits classés sensibles de tout traitement particulier de fin de négociation qui aboutirait à une fragilisation accrue du secteur de l'élevage bovin français, en particulier par un octroi trop généreux de contingents tarifaires à droits réduits ou nuls.

Il convient de faire en sorte que la Commission européenne obtienne du partenaire américain une ouverture et une transparence comparables à celles dont il bénéficie de la part de l'Union européenne. Vos rapporteurs rappellent aussi que la Commission a déjà reçu une demande d'étude d'impact sur le secteur agricole d'un éventuel traité.

Enfin, faisons entendre qu'un accord équilibré ne saurait être obtenu dans la précipitation. Les Américains apprécient particulièrement ces fins de négociation qu'ils appellent « endgame »... Les négociations ne doivent pas se dérouler dans le cadre d'un timing prédéterminé dont l'agriculture pâtirait certainement. Le contenu doit l'emporter sur le calendrier. Les négociations entre les États-Unis et leurs onze partenaires du Partenariat transpacifique ont duré cinq ans, comme celles qui ont conduit à la conclusion de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada. Pour la conclusion du traité transatlantique, 2020 nous semble une échéance convenable, concomitante avec la fin de la PAC et sa renégociation.

Il reviendra le moment venu au Conseil - et donc aux gouvernements nationaux - puis au Parlement européen et surtout, enfin, aux parlements nationaux, d'évaluer le contenu du Traité avant de le signer puis de le ratifier, ou non.

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