Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 octobre 2010 : 1ère réunion
Politique transfrontalière présentation par mme fabienne keller de son rapport au premier ministre

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Je vous remercie, chers collègues, de votre intérêt pour la question transfrontalière et c'est avec plaisir que je viens devant vous présenter ce rapport dont je dois vous dire qu'il existe déjà une version allemande et dont il y aura peut-être une version en catalan, car je tiens tout particulièrement à la traduction des documents que nous produisons. Au cours de cette mission, j'ai été heureuse de travailler avec l'appui de mes collègues Etienne Blanc, maire de Divonne, et Marie-Thérèse Sanchez-Schmid, adjoint au maire de Perpignan et tous deux bien placés pour connaître les questions transfrontalières.

Je tiens à rappeler que nous étions en mission - conjointement - auprès de Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes et de Michel Mercier, Ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, que la question transfrontalière implique la collaboration de nombreux acteurs publics des deux côtés de la frontière et, enfin, que s'y intéresser entraîne très vite la nécessité de respecter un certain formalisme propres aux relations diplomatiques.

Notre mission s'est déroulée en trois temps : premièrement, lecture des rapports déjà existants et auditions de leurs auteurs, deuxièmement, enquêtes sur place dans les régions frontalières, et troisièmement, élaboration des conclusions. Je vais vous présenter brièvement les grandes lignes du rapport.

Je distinguerai deux parties : les constats et les propositions.

Pour ce qui est des constats, nous avons découvert que ces territoires étaient dynamiques, mais en tension, que leur compétitivité était menacée et que la caractéristique majeure est le déséquilibre prononcé des échanges entre la France et l'extérieur : 330 000 frontaliers travaillent à l'extérieur et résident en France contre seulement 10 000 frontaliers qui travaillent en France et résident dans les pays voisins.

Autre constatation : le travail frontalier connaît une croissance rapide puisqu'aujourd'hui 330.000 frontaliers travaillent hors de France contre 158.000 en 1990 ; le nombre des frontaliers a été multiplié par 10 en 40 ans.

Ces territoires traversent des tensions d'ordre démographique, économique, foncier et environnemental et ils sont confrontés à des fractures institutionnelles, juridiques, fiscales et sociales ainsi qu'à une concurrence économique forte des pays voisins. Ils sont donc révélateurs d'une France qui est à la peine dans la concurrence européenne et dans la mondialisation des échanges.

Il ressort de ces constats que les frontières sont une entrave dans les espaces de la vie quotidienne : les préoccupations concrètes d'emploi, de chômage, de santé, de logement, de transport, d'éducation et de services y sont plus sensibles qu'ailleurs et les distorsions relatives aux impôts et à la législation sociale plus criantes. Ainsi, alors que, en France, le contribuable, personne physique ou entreprise, subit de plein fouet le risque fiscal avec une loi fiscale française changeante et aléatoire, il existe en Suisse le « rescrit » qui assure la stabilité des situations fiscales jusqu'à dix ans.

La dynamique transfrontalière a pour conséquence que les agglomérations, les métropoles ou les territoires ruraux frontaliers font face à des surcroîts de charges et à la nécessité urgente d'organiser l'espace transfrontalier et de pallier les déséquilibres territoriaux, financiers et fiscaux engendrés ; ce sont surtout les acteurs publics, et en particulier les collectivités territoriales, qui assument les charges liées aux populations accueillies sans toujours bénéficier des ressources correspondant aux activités économiques.

On remarque pourtant avec satisfaction qu'à la grande diversité des territoires frontaliers répondent l'enthousiasme et l'inventivité des dynamiques locales et nous avons noté avec plaisir que la volonté des acteurs locaux d'oeuvrer ensemble était très forte ; c'est ainsi qu'il existe un grand nombre de coopérations. Toutefois les difficultés d'organisation sont accentuées par un manque de vision stratégique du développement des zones frontalières, même s'il existe des outils de coopération très efficaces comme les GLCT (groupements locaux de coopération transfrontalière), les GECT (groupements européens de coopération transfrontalière) et bientôt les GEC (groupements eurorégionaux de coopération).

On doit reconnaître que la politique de cohésion de l'Union européenne a accru le soutien financier aux territoires transfrontaliers, mais il apparaît maintenant primordial de donner à la politique frontalière une vraie gouvernance qui permettra de porter la prise en charge des enjeux au niveau politique, de renforcer l'organisation et la compétitivité des territoires français, et de coopérer avec les pays voisins.

Je rappelle que, à titre personnel, je considère que ces territoires sont passionnants, riches d'histoire et de culture et dynamiques et pourtant mes convictions européennes ont été ébranlées quand je me suis rendu compte que, au lieu d'aller vers plus de convergence européenne, ces territoires se spécialisaient et se figeaient dans leur spécialisation. Les différences fiscales et juridiques continuent à entraîner des distorsions et figent des situations de fait ; pour prendre l'exemple le plus parlant et le plus simple, le Luxembourg continue à vendre quatre fois plus de carburant que sa consommation nationale, simplement parce que les taxes sur le pétrole y sont moins lourdes. Or, si l'on prend d'autres exemples, on s'aperçoit chaque fois que c'est la France qui en pâtit.

J'en viens maintenant à nos propositions : il s'agit de doter la France d'une boîte à outils pour obtenir plus de compétitivité sur nos frontières. Nous souhaitons expérimenter des pôles de développement économiques frontaliers, zones économiques à statut spécifique qui auraient un fort effet de levier. Ces pôles seraient naturellement situés à côté des grands équipements. Nous préconisons de lutter contre les délocalisations en adaptant les aides publiques, de promouvoir et de valoriser les atouts économiques français aux frontières, de sécuriser les règles fiscales et de reconsidérer les conditions de bi-localisation. Il faut également simplifier les procédures douanières avec la Suisse. Il convient d'envisager enfin de mobiliser localement des outils financiers transfrontaliers avec l'idée d'allier des capitaux d'au moins deux pays (fonds d'amorçage et capital-risque).

Nous formulons d'autres propositions pour répondre aux besoins de service des populations : inciter systématiquement à la mise en place de schémas de services transfrontaliers à l'échelle des bassins de population ; mutualiser une offre transfrontalière dans le domaine de la santé, développer l'apprentissage de la langue du voisin, les activités culturelles, la formation et l'emploi ; faciliter les transports et les communications et désigner, dans chaque région, un correspondant du Médiateur de la République dédié aux questions transfrontalières.

Une série de propositions visent à faciliter l'organisation spatiale des territoires transfrontaliers : développer la consultation réciproque et l'élaboration commune des documents d'aménagement et d'urbanisme (il faut des documents d'urbanisme communs), gérer l'espace en commun, développer des cofinancements transfrontaliers plus équitables ; installer une autorité politique gouvernementale dédiée aux questions transfrontalières auprès du Premier Ministre ; se doter d'un observatoire stratégique des régions transfrontalières ; développer les GECT en rendant plus souple le statut de leur personnel ; oeuvrer à l'avènement d'une collectivité territoriale transfrontalière de droit européen ; structurer la gouvernance des régions métropolitaines et rurales transfrontalières et enfin rendre obligatoire un volet transfrontalier dans les contrats de projet État- Région.

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