Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 octobre 2010 : 1ère réunion
Examen de projets d'actes législatifs au regard du principe de subsidiarité

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Je vais évoquer, dans le cadre de cet examen au regard de la subsidiarité, deux textes de nature très différente, mais qui présentent tous deux la même lacune. C'est pourquoi je vais vous les présenter successivement l'un et l'autre avant d'ouvrir le débat.

Le premier texte est le premier programme en matière de politique du spectre radioélectrique (COM (2010) 471 final).

La directive 2009/140/CE du 25 novembre 2009, qui faisait partie du paquet dit Telecom, dispose que « les États membres collaborent entre eux et avec la Commission en ce qui concerne la planification stratégique, la coordination et l'harmonisation de l'utilisation du spectre radioélectrique dans la Communauté européenne » et qu'à cette fin, « la Commission [...] peut présenter au Parlement européen et au Conseil des propositions législatives en vue de l'établissement de programmes pluriannuels en matière de spectre radioélectrique. Ces programmes définissent les orientations et les objectifs de la planification stratégique et de l'harmonisation de l'utilisation du spectre radioélectrique conformément aux dispositions de la présente directive et des directives particulières ».

Tel est l'objet de ce texte transmis à notre assemblée dans le cadre du contrôle de subsidiarité mis en place par le traité de Lisbonne.

Outre l'énumération des principes généraux devant gouverner la gestion du spectre (concurrence, neutralité, efficacité...), ce programme fixe des échéances importantes dans l'utilisation de celui-ci. En particulier, il arrête au 1er janvier 2013 la date à laquelle les États membres devront mettre la bande de 800 MHz à la disposition des services de communications électroniques. En d'autres termes, le « dividende numérique » qui correspond à la portion du spectre radioélectrique rendue disponible par le passage de la télévision analogique à la télévision numérique devra être mis à la disposition des services de communications électroniques. Le principal bénéfice attendu est le déploiement rapide et à un coût relativement faible de l'Internet à haut débit sans fil, y compris dans les régions isolées.

Ce texte ne soulève pas d'interrogations au regard du principe de subsidiarité. L'intervention de l'Union européenne devrait faciliter l'essor de nouvelles applications et éviter des effets de brouillage entre États membres. La proposition incite les États membres à adopter une démarche concertée et commune. En revanche, l'exposé des motifs de la proposition me paraît poser un problème au regard de l'article 5 du protocole n° 2 annexé aux traités. Cet article prévoit en effet que « les projets d'actes législatifs sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Tout projet d'acte législatif devrait comporter une fiche contenant des éléments circonstanciés permettant d'apprécier le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. [...] Les raisons permettant de conclure qu'un objectif de l'Union peut être mieux atteint au niveau de celle-ci s'appuient sur des indicateurs qualitatifs et, chaque fois que c'est possible, quantitatifs ».

Or, en l'espèce, la proposition de décision justifie de son respect du principe de subsidiarité par le seul fait que l'Union a déjà légiféré dans ce domaine. Je cite le document : « L'action proposée implique de modifier le cadre réglementaire actuel de l'Union européenne et concerne donc un domaine dans lequel l'Union a déjà exercé sa compétence. La proposition est donc conforme au principe de subsidiarité. »

Cet argument ne paraît pas recevable. Entrer dans une telle logique reviendrait à neutraliser le principe de subsidiarité, tant les domaines dans lesquelles l'Union légifère sont variés. Avoir déjà légiféré ne saurait délivrer un blanc seing à toute future initiative.

Quand on se trouve dans un domaine de compétence partagée entre l'Union et les États membres, dès lors que l'Union a pris des mesures, les États membres ne peuvent plus légiférer dans le champ de ces mesures, mais l'Union n'en acquiert pas pour autant une compétence exclusive, et ses interventions restent soumises au principe de subsidiarité.

Si je crois utile de faire ce rappel, c'est parce que l'obligation pour la Commission européenne de motiver sérieusement ses propositions au regard de la subsidiarité résulte des traités, et qu'il s'agit du point de départ de notre contrôle. Notre première tâche est de contrôler si les arguments de la Commission européenne sont valables : comment l'exercer si elle se dispense de les fournir ?

Pour cette raison, je vous propose d'adopter un « avis motivé ».

Le second texte vise à modifier deux règlements européens concernant la distribution de denrées alimentaires aux personnes les plus démunies de l'Union (COM (2010) 486 final).

L'hiver 1986-1987 particulièrement rigoureux avait amené la Communauté à adopter des mesures de distribution gratuite de nourriture aux personnes les plus démunies. Ces mesures ont été pérennisées dans un programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), participant de la politique agricole commune, donc financé par l'Union et actuellement intégré dans le règlement relatif à l'organisation commune de marché unique. La Commission européenne propose de modifier ce programme.

Le fonctionnement du PEAD est le suivant : chaque année, en fonction du nombre estimé de personnes démunies sur son territoire, chaque État membre fait une demande en nature de produits alimentaires à la Commission qui établit une allocation monétaire par État et les quantités de produits auxquelles il a droit ; ces produits (qui vont des aliments de base aux plats préparés) sont prélevés sur les stocks communautaires et, en cas d'indisponibilité, achetés sur le marché ; la distribution est ensuite effectuée par des ONG ou des services sociaux locaux désignés par les États. En France, ce sont principalement les Banques alimentaires, le Secours populaire et les Restos du coeur.

À l'origine, des achats de denrées sur les marchés n'étaient pas prévus. L'aide provenait uniquement des stocks d'intervention, alors importants. Dans les années 90, la raréfaction de certains produits a amené la Commission à introduire le système d'achat sur les marchés pour maintenir le programme. Plus récemment, l'élargissement, qui a augmenté le nombre des personnes démunies, et la diminution du niveau des stocks liée la réorientation de la PAC, ont modifié les équilibres entre les deux ressources : en 2008, les achats sur les marchés représentaient 90 % des denrées alimentaires distribuées.

Selon la Commission, 13 millions de personnes ont bénéficié du PEAD en 2007, dont 2,7 millions de Français. Le coût pour le budget de la PAC est de l'ordre de 500 millions d'euros. Devant ce coût élevé et la quasi-disparition des stocks d'intervention, la Commission a organisé une consultation publique, qui l'a conduite à proposer les aménagements suivants :

- l'autorisation d'achats sur les marchés serait pérennisée;

- la liste des produits distribués serait élargie, le panel étant désormais fondé sur des critères nutritionnels ;

- une programmation pluriannuelle sur 3 ans serait mise en place, avec des budgets indicatifs pour les deuxième et troisième années ;

- un mécanisme de cofinancement du programme par les États membres entrerait en vigueur.

La proposition s'est heurtée à l'opposition de plusieurs pays, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui estiment que les stocks d'intervention ayant disparu, il n'y a plus lieu de gérer dans le cadre de la PAC l'aide alimentaire aux plus démunis. Celle-ci doit relever de la politique sociale, et être de la responsabilité de chaque État membre. À l'opposé, le Parlement européen a demandé le maintien du PEAD tout en s'opposant à l'introduction d'un cofinancement par les États membres.

À la suite de ces débats, la Commission a présenté une proposition modifiée - celle dont nous sommes saisis - qui tient compte des préoccupations exprimées par le Parlement européen. Tout en maintenant le principe du cofinancement par les États membres, la proposition le limite en effet à 10 % pour les pays bénéficiant du fonds de cohésion, et à 25 % pour les autres. L'essentiel du financement relèverait donc de l'Union.

Les deux chambres du Parlement britannique nous ont fait part de ce qu'elles jugeaient ce texte contraire au principe de subsidiarité.

Il faut reconnaître que la distribution d'aides alimentaires aux personnes les plus démunies peut difficilement être présentée comme un objectif dépassant les capacités d'action des États membres et pouvant donc être mieux réalisé par l'Union. Néanmoins, en l'occurrence, une considération d'opportunité doit à mon avis intervenir. Un programme de ce type contribue à corriger l'image de l'Europe, souvent critiquée pour une action insuffisante sur le plan social. Il contribue également à redresser l'image de la politique agricole commune. Enfin, la France a su tirer parti de ce programme au profit d'associations caritatives nationales qui ont fait la preuve de leur efficacité. Dans ces conditions, il ne me paraît pas opportun de soulever la question de la subsidiarité.

En revanche, ce texte pose un problème de principe. Ni cette proposition modifiée, ni la proposition initiale ne comportent de motivation au regard du principe de subsidiarité. Or, il s'agit là d'une obligation pour la Commission européenne depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Il paraît indispensable d'insister sur le respect de cette exigence : en effet, la motivation donnée par la Commission européenne est le point de départ de notre contrôle de subsidiarité ; notre première tâche est de vérifier si les arguments avancés par la Commission européenne sont valables.

Pour cette raison, je vous propose également d'adopter un avis motivé.

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