Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 octobre 2016 à 9h04
Institutions européennes — Audition de M. Harlem Désir secrétaire d'état chargé des affaires européennes - conclusions du conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes :

Pour la France, il importe que ce Conseil poursuive la mise en oeuvre de la feuille de route de Bratislava : les conclusions correspondent aux priorités fixées, en particulier sur les enjeux de sécurité intérieure et le suivi des questions de migration, mais également sur des questions économiques prioritaires, dont l'extension du plan Juncker.

Le premier Conseil européen de Mme Theresa May lui a donné l'occasion de confirmer les déclarations qu'elle avait faites au Royaume-Uni : l'article 50 serait activé avant la fin du mois de mars 2017 ; les Vingt-Sept n'en n'ont pas débattu, s'en tenant à la ligne de conduite établie et sur laquelle il faut rester ferme, qu'il n'y aura pas de pré-négociations avant l'activation de cet article.

Cet article 50 est la seule façon de sortir de l'Union européenne et les quatre libertés du marché intérieur vont de pair : si un État membre souhaite conserver un accès au marché intérieur, il doit assurer la liberté de circulation des personnes. Or, eu égard au référendum, le gouvernement britannique ne semble pas vouloir assurer cette liberté. Dans ce cas, il ne peut y avoir maintien de l'accès au marché intérieur. Ensuite, toute participation à des politiques de l'Union européenne - certains États tiers, tels que la Norvège ou la Suisse, participent, par exemple, au programme Horizon 2020 - implique une contribution financière ; l'accès au marché européen implique aussi le respect d'un certain nombre de règles.

Une fois l'article 50 activé, un compte à rebours est déclenché, qui ne peut pas aller au-delà de deux ans : la date de mars 2017 implique que la sortie du Royaume-Uni sera réglée avant le renouvellement de la Commission européenne et du Parlement européen en 2019, même s'il est possible qu'il faille plus de temps pour négocier les accords définitifs entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Il faut être clair, il y a un cadre : des délais sont prévus, qui permettent au Royaume-Uni de se préparer. Il y va de la cohésion et de la préservation des intérêts de l'Union européenne.

Cette discussion aura peut-être lieu en décembre si Mme May précise les éléments de négociation pour la sortie, sinon elle se déroulera quand la notification aura été transmise. Le Royaume-Uni indiquera alors s'il souhaite conserver des relations avec l'Union européenne, en maintenant le contrôle de l'immigration et sans liberté de circulation, par exemple.

J'en viens aux trois grands sujets qui ont occupé l'essentiel des débats.

Sur les questions de migration et de sécurité, les conclusions du Conseil européen nous conviennent en ce qu'elles reprennent le premier volet de la Déclaration de Bratislava et qu'elles mettent l'accent sur les deux principaux objectifs à ce stade : le contrôle de la frontière extérieure et la maîtrise des flux.

Le contrôle de la frontière extérieure a été modifié par la création du corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes, le 6 octobre, et la mise en oeuvre juridique du règlement : ce corps commence à être opérationnel à la frontière de la Bulgarie, c'est une avancée majeure, il faut maintenant lui faire atteindre sa pleine capacité d'ici la fin de l'année, celle d'une réserve de 1 500 personnels utilisable en permanence ; la contribution de la France s'élève à 170 personnels.

Le Conseil européen a également souhaité l'adoption de plusieurs législations importantes.

D'abord, la révision du code frontières Schengen, bloquée par le Parlement européen alors qu'il est devenu urgent d'instaurer un contrôle systématique et coordonné de tous les voyageurs franchissant les frontières extérieures de l'Union européenne. Il en va de la crédibilité de Schengen, et s'il n'y a pas de contrôles efficaces aux frontières extérieures, des contrôles aux frontières intérieures seront immanquablement rétablis ; nous devons également adopter une position sur le système d'entrées et de sorties, c'est un élément du paquet « Frontières intelligentes » qui complètera la révision du code frontières Schengen. Ensuite, nous attendons la proposition de la Commission européenne sur le Système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages, le système ETIAS, qui s'apparente à l'ESTA américain, qui identifie les voyageurs avant leur voyage, par pré-enregistrement électronique.

Concernant la maîtrise des flux, le principal enjeu concerne la poursuite de la mise en oeuvre de la Déclaration Union européenne-Turquie de mars 2016. Les flux ont beaucoup diminué dans la Méditerranée orientale entre la Turquie et la Grèce : on est passé de 2 000-2 500 arrivées à moins de 80 par jour : de ce point de vue, le plan est efficace. Cependant, après la fermeture de la route des Balkans, la situation en Grèce reste difficile : quelque 60 000 personnes y sont bloquées, dont 14 000 dans les îles. Les procédures de traitement des demandes d'asile au terme desquelles les demandeurs déboutés peuvent être envoyés en Turquie, sont très lentes. Le système d'asile grec a besoin d'être renforcé, de même que le Bureau européen d'appui pour l'asile (EASO), qui traite les demandes des migrants ou des réfugiés arrivés avant l'accord. Si leur demande d'asile est recevable, ils doivent être relocalisés dans les autres pays de l'Union européenne ; dans le cas contraire, soit la Grèce décide de leur accorder un droit au séjour, soit ils relèvent d'une procédure de réadmission ou de retour dans leur pays d'origine. Il convient alors de mettre en oeuvre les accords avec l'Afghanistan et, éventuellement, des pays d'Afrique.

Le Conseil européen a insisté sur le fait que les États membres devaient respecter leurs engagements à l'égard de l'EASO et accélérer la relocalisation. La France arrive en tête pour les relocalisations, avec 1 756 Syriens, Irakiens et Érythréens relocalisés depuis le 1er janvier.

Sur la libéralisation du régime des visas, le Conseil européen a appelé au respect des engagements et des 72 critères, ainsi qu'à la révision du mécanisme de suspension en matière de visa comme préalable à toute décision. Lors du conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI), Bernard Cazeneuve et Thomas de Maizière ont insisté sur la nécessité de réformer d'abord la clause de suspension, pour la rendre plus opérationnelle. La libéralisation pour les ressortissants turcs est conditionnée par le respect des 72 critères, nous demandons en particulier que la Turquie révise sa loi sur le terrorisme, qui ne correspond pas au droit européen.

Pour agir sur les causes mêmes des migrations, l'Europe a pris des décisions importantes, en renforçant le partenariat avec les pays d'origine ou de transit, notamment l'Éthiopie, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Nigeria. Il faut mobiliser très fortement toutes les politiques de l'Union européenne, en particulier les politiques de développement et de commerce, ainsi que la coopération en matière de sécurité pour aider ces pays à bien contrôler leurs frontières. Il faut travailler sur les migrations légales et la lutte contre les immigrations illégales, ainsi que sur les accords de réadmission, et mener une action en profondeur sur les causes des migrations dans les pays d'origine et dans les pays de transit.

Sur le volet financier, le lancement du plan d'investissement extérieur européen - une sorte de plan Juncker tourné vers l'extérieur, en Afrique comme sur le continent européen - a été décidé, même si les instruments juridiques n'en sont pas encore présentés. L'Europe doit investir beaucoup plus dans le développement du continent africain, confronté à une multitude de défis et de problèmes liés à la pauvreté, à la démographie, aux instabilités et aux guerres. Il faut encourager les investissements en Afrique, le continent est en croissance : investir dans les infrastructures, l'énergie, l'équipement des villes, la formation, c'est accompagner le développement des pays africains, tout en apportant une réponse à la question des migrations d'un continent dont la population va doubler au cours des prochaines années. La France, avec l'Italie et les pays d'Europe du Sud, plaide pour une telle politique.

L'actualité de l'accord Union européenne-Canada (CETA) a perturbé l'ordre du jour initial du Conseil, qui avait prévu de débattre de la politique commerciale et plus généralement des instruments de défense commerciale. Vingt-sept États membres ont donné leur accord pour signer le CETA. Après de longues années de négociation, nous sommes parvenus à un bon accord, qui reconnaît les indications géographiques, ouvre les marchés publics, donne des garanties sur les normes sociales et environnementales, la protection des services publics, et organise un règlement des différends public plutôt que secret. La France y est donc favorable, le Premier ministre l'a réaffirmé lors de son déplacement au Canada. Mais la signature de l'accord est suspendue à l'approbation de la Belgique, pour l'heure empêchée par l'opposition de parlements régionaux, notamment celui de la Wallonie. Ce matin, les Canadiens ont annoncé un report du sommet Union européenne-Canada, faute de réponse belge.

Sur le fond, la déclaration interprétative, discutée ces dernières semaines et qui aura la même valeur que le traité, devrait pouvoir répondre aux questions posées par le Parlement de Wallonie, de même qu'elle a déjà pris en compte des demandes d'autres États membres - motivées par exemple par une cour constitutionnelle ou un Parlement. Nous regrettons ce report, tout en espérant qu'un accord sera trouvé au plus tôt avec la Belgique, pour la signature du CETA.

Sur le traité transatlantique - le TTIP -, en revanche, les conditions nécessaires à un accord ambitieux et équilibré n'ont pas été trouvées. L'offre américaine est faible, elle n'ouvre pas les marchés publics subfédéraux et refuse de reconnaître les indications géographiques. Ensuite, nous demandons d'expliciter les conditions de non-réciprocité entre les entreprises américaines et européennes, car l'extraterritorialité de la loi américaine a entraîné des décisions scandaleuses. La situation de blocage doit être dépassée pour repartir, le moment venu, sur de nouvelles bases, mais nous en sommes très loin - et ce n'est pas l'actuelle administration américaine qui peut relancer la négociation. Il faut profiter de ce nouveau calendrier pour poser les problèmes plus clairement.

La négociation sur le CETA démontre que le fond est plus important que le calendrier. Les accords de commerce doivent être négociés d'une façon plus transparente ; ils doivent être fondés sur la réciprocité, garantir le respect des normes environnementales et sociales, ne pas remettre en cause le droit des États à réguler pour être soutenus par les Parlements. De bons accords commerciaux sont possibles : en négociant avec des exigences fortes, l'Europe peut contribuer à une mondialisation mieux régulée et mieux acceptée. D'autres accords sont en cours de discussion, plus ou moins avancés, avec le Japon, le Vietnam ou d'autres pays de l'ASEAN, qui peuvent déboucher sur de bons partenariats. Ce fut le cas avec la Corée, après des discussions très longues et précises. C'est l'intérêt de l'Union européenne que d'être un grand acteur du commerce international ! Elle est un grand exportateur et le premier marché intérieur au monde : elle doit utiliser cette puissance commerciale pour bien défendre ses intérêts et promouvoir des règles, c'est la condition pour que les citoyens acceptent la mondialisation.

C'est sur cette toile de fond que le Conseil européen a débattu de la modernisation de la politique commerciale, en particulier des instruments de défense commerciale ; nous avons gardé à l'esprit la situation de la sidérurgie, les surcapacités de production en Chine, l'évolution possible du statut de la Chine et la nécessité de défendre des secteurs où des milliers d'emplois sont en jeu en Europe. Nous avons débattu de la règle du droit moindre (the lesser duty rule), dont nous ne disposons pas en Europe, contrairement à d'autres pays membres de l'OMC. Ainsi, au nom de l'anti-dumping, les États-Unis peuvent appliquer des droits de douane jusqu'à 200 %, contre 25 % pour l'Europe. Sans ouvrir sur des décisions, le débat a montré que la France et l'Allemagne souhaitent renforcer les instruments de défense commerciale ; il faut maintenant passer au stade législatif, avec l'objectif de parvenir à un accord d'ici à la fin de l'année.

Quelles relations avec la Russie ? Au-delà de savoir si nous allons renouveler les sanctions sectorielles liées à la situation en Ukraine, les relations stratégiques avec la Russie figurent de longue date à l'ordre du jour du Conseil européen. Le Conseil des affaires étrangères avait défini cinq principes, que la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est chargée de mettre en oeuvre. Mais l'actualité, ici encore, en a changé les conditions ; le débat a porté sur la situation à Alep, sur la nécessité d'obtenir un arrêt des bombardements, sur le refus par la Russie de soutenir la résolution présentée par la France au Conseil de sécurité de l'ONU, sur les crimes commis contre les populations civiles et l'échec de toutes les négociations tentées les jours précédents. À la suite d'une réunion au format Normandie, le président de la République, la Chancelière allemande et le président Poutine s'étaient rencontrés la veille à Berlin.

Pour le Conseil européen, la priorité, c'est l'arrêt des bombardements, avec, le plus rapidement possible, l'accès du personnel humanitaire aux populations civiles. L'Europe dénonce évidemment les violations du droit international humanitaire - les coupables doivent rendre compte de leurs actes - et n'exclut aucune option en cas de poursuite des atrocités. Cette position concerne la Syrie, mais aussi ses soutiens. Il y a eu unanimité pour avoir cette attitude ferme. Pour répondre à votre question, on n'a pas parlé de sanctions à l'égard des personnes. On veut amener la Russie à prolonger la trêve alors en vigueur, qui ne l'est plus aujourd'hui, et à accepter que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ait accès de façon durable à la population civile, afin de créer les conditions d'un retour à la négociation politique. Cela est d'autant plus indispensable au moment où les opérations contre Daech à Mossoul et, prochainement, à Raqqa vont s'intensifier. La Russie doit cesser de soutenir les atrocités commises par le régime syrien et les bombardements contre les populations civiles auxquelles elle-même participe. L'urgence, c'est l'initiative humanitaire annoncée par la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, pour organiser les évacuations sanitaires.

Concernant le volet ukrainien, la Chancelière Merkel et le président Hollande ont rendu compte de la rencontre qui avait eu lieu la veille à Berlin en format Normandie avec le président Poutine et le président Porochenko. Les discussions ont été très dures parce que les relations entre ces deux pays sont aujourd'hui très difficiles. La décision qui a été prise et qui est soutenue par le Conseil européen, c'est de poursuivre le dialogue sous ce format, en mettant en oeuvre la feuille de route décidée au cours de cette réunion, qui découle des accords de Minsk, à savoir le cessez-le-feu, l'accès par les observateurs de l'OSCE aux zones de l'est du Donbass, l'adoption par l'Ukraine de la loi électorale, la réforme du statut de cette région et l'organisation dans des conditions de sécurité acceptables des élections dans l'est de l'Ukraine. C'est cette feuille de route que l'Union européenne demande à la Russie et à l'Ukraine de poursuivre.

Le débat sur les relations avec la Russie a eu lieu, mais il a été aussi marqué par les inquiétudes exprimées par plusieurs États membres sur les agissements de la Russie à l'égard de l'Europe directement. Ont notamment été évoqués le problème des survols aériens, les cyberattaques, les campagnes de désinformation, et les efforts de l'Union européenne pour les contrer. Il importait d'avoir un échange sur ce point et de montrer la détermination des Européens à avoir une attitude ferme et unie face à ces agissements.

Enfin, le Conseil européen a salué la ratification par l'Union européenne de l'accord de Paris issu de la COP 21. Dans le cadre de la COP 22, l'Union européenne va pouvoir participer dans quelques jours à Marrakech à la première réunion des parties de l'accord de Paris.

Tels sont les principaux éléments dont je souhaitais vous rendre compte. L'objectif, c'est la mise en oeuvre de la feuille de route établie à Bratislava ; d'autres éléments seront évoqués ultérieurement lors du Conseil européen de décembre, en particulier pour ce qui concerne l'Europe de la défense. Une réunion importante des ministres de la défense aura lieu au mois de novembre prochain sur la base, en grande partie, des propositions franco-allemandes, qui sont maintenant partagées par les Vingt-Sept et qui devront faire l'objet de décisions lors du Conseil européen.

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