Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 octobre 2016 à 9h04
Institutions européennes — Audition de M. Harlem Désir secrétaire d'état chargé des affaires européennes - conclusions du conseil européen des 20 et 21 octobre 2016

Harlem Désir, ministre :

L'article 8-2 du code des frontières de Schengen a été modifié, après les attentats de la fin 2015, à notre demande, pour imposer une obligation de contrôle approfondi à toutes les personnes qui franchiraient les frontières de l'espace Schengen, y compris les détenteurs d'un passeport européen. Il s'agissait de se prémunir contre le risque lié à la fraude documentaire, mais aussi contre des terroristes détenant un passeport européen. La seule alternative possible au rétablissement des frontières nationales, c'est de renforcer la protection de la frontière extérieure de l'Europe, en garantissant le contrôle de tous les documents et la possibilité d'interroger tous les fichiers pertinents. Les données biométriques sont en principe harmonisées, avec par exemple la base de données Eurodac sur la reconnaissance d'empreintes digitales pour les demandeurs d'asile. Toutes les données doivent pouvoir être utilisées, qu'elles concernent des citoyens européens ou des citoyens non européens qui auraient été identifiés dans le cadre de procédures intervenant sur le territoire européen. S'il n'existe pas de système de sécurité absolue, on peut travailler à éviter les failles. Il faut discuter avec le Parlement européen pour combiner protection des libertés et sécurité, ce qui implique que nous utilisions les données à bon escient.

Selon le témoignage des migrants, un certain nombre de bateaux partent d'Égypte vers Chypre ou vers la Grèce, ce qui indique une tentative d'ouvrir une route migratoire avec le risque qu'elle soit exploitée par des réseaux criminels. L'Agence des migrations, Frontex et le HCR s'accordent sur le fait que le trafic des migrants est devenu l'un des plus fructueux sur le plan économique, au même titre que le trafic d'armes ou de drogue. On recense déjà 3 800 morts au large de la Libye : un carnage pour l'appât du gain. Il faut éviter à tout prix qu'une nouvelle route s'ouvre au départ de l'Égypte. Lors de la préparation du Conseil européen, la question s'est posée de savoir s'il fallait développer un partenariat avec l'Égypte au sujet des migrations. La taille du pays et l'ampleur de la crise nécessite que l'on expertise le coût commercial et l'impact qu'aurait un tel partenariat. Rappelons que l'Égypte est aussi un point de passage entre le Soudan et l'Europe.

La Grèce est prête à accueillir les demandeurs d'asile qui ne bénéficient pas de la relocalisation, comme les yézidis. D'autres procédures sont possibles pour demander l'asile. La France a accueilli ainsi des chrétiens d'Irak et des yézidis. Le plus important reste de s'assurer que ces populations puissent continuer à vivre dans leur pays. Cela passe par la reconquête de Mossoul...

Les réfugiés qui ont été enregistrés dans les hotspots auraient dû y rester. Toute personne ramenée sur les côtes européennes est enregistrée. C'est dans les hotspots que l'on décide si les réfugiés relèvent ou non de l'asile. L'opération de Calais a été remarquablement menée. On ne pourra pas éviter les cas difficiles. Dans ce type de camp aussi, il y a une exploitation criminelle contre laquelle nous devons lutter.

Les fonds destinés à l'accompagnement des réfugiés en Europe ont été augmentés dans les budgets de l'Union européenne pour 2016 et 2017, et pas seulement à destination de la Grèce ou de l'Italie. S'il faut répondre à l'urgence, nous devons veiller à ne pas déstabiliser la politique de l'Union.

Le plan Juncker pour l'Afrique s'inscrit dans le long terme. Il ne s'agit pas seulement de mettre en place les grands projets structurants des éléphants blancs. Il faut aussi créer de l'activité économique et orienter les investissements vers la transition énergétique et le développement durable.

D'un point de vue juridique, la Grande-Bretagne est toujours sous régime commercial de l'Union européenne. Il faudra que les Britanniques sortent et adhèrent à l'OMC, puis qu'ils renégocient les accords de libre-échange dont ils ne seront plus signataires, ceux avec la Corée par exemple. Ils souhaiteront sans doute négocier également de nouveaux accords, avec les États-Unis notamment. La Grande Bretagne a six négociations à mener : la sortie de l'Union, en application de l'article 50 ; les futurs arrangements avec l'Union européenne en matière économique ; l'adhésion à l'OMC ; les partenariats commerciaux avec tous les pays qui ont des accords bilatéraux de libre-échange avec l'Union européenne, en matière de coopération judiciaire ou policière, par exemple ; un accord intermédiaire avec l'Union européenne pour la période de transition. Rien n'est insurmontable. Il faudra cependant compter avec la baisse de la livre, le changement de statut, l'incertitude pour les investisseurs ou encore la complexité du jeu politique anglais. Autant dire que la période n'ira pas sans trouble. La Grande Bretagne reste un ami et un partenaire, avec lequel nous sommes liés par des accords très importants en matière de défense et de sécurité. Nous devons préserver cette cohésion.

Au cours de l'opération Sophia, nous avons pu constater que les trafiquants étaient rarement sur les bateaux. Beaucoup de migrants témoignent des traitements épouvantables qu'ils ont subis, surtout les femmes. De tels crimes pourraient relever de la cour de justice internationale. Quoi qu'il en soit, quand les pirates ou les trafiquants sont arrêtés, ils sont automatiquement traduits devant la justice.

Nous essayons de faciliter les échanges entre le Maroc et l'Europe, en développant notamment des voies d'immigration légales à destination des universitaires, des artistes, etc. La Méditerranée est notre mer commune. C'est un lieu d'échanges et pas seulement un cimetière ou une barrière.

Voilà longtemps que M. Billout nous met en garde contre l'opacité des négociations en coulisses. Pour relancer le CETA, il faut montrer que c'est un accord qui répond à l'intérêt général et qui offre des possibilités d'exportation intéressantes pour la France. Les points de désaccord doivent être discutés bien en amont de la signature du traité. Mieux vaut associer les États aux négociations. Une déclaration précisant que l'accord ne met pas en cause les normes sociales ou environnementales rassurerait le parlement wallon.

Certains accords commerciaux ont un impact sur les départements d'outre-mer. C'est un problème bien connu. Les accords avec le Vietnam ne sont pas sans conséquences pour la Réunion, la Martinique ou la Guadeloupe. Il faut trouver un équilibre pour préserver les productions de nos régions périphériques, en utilisant par exemple un système de quotas. Nous avons un gros problème avec les pays d'Amérique latine sur la production de bananes. Il faut veiller à préserver notre production, car ce sont des emplois qui sont en jeu dans les territoires d'outre-mer.

Bernard Cazeneuve s'est rendu récemment en Guyane. À chaque fois qu'Haïti est confronté à une crise, des habitants tentent de trouver refuge dans d'autres pays de la région. La priorité est d'aider à la reconstruction et à la stabilisation d'Haïti. Nous sommes tout à fait conscients des difficultés que connaît la Guyane, à cause de sa frontière avec le Brésil.

La Hongrie a établi des clôtures sur une grande partie de ses frontières. Ce n'est sans doute pas la meilleure manière de faire respecter les règles. La Serbie s'est montrée très digne en accueillant des centaines de milliers de réfugiés dans des conditions difficiles. Elle est prête à contribuer au contrôle de ses propres frontières. Il faut coopérer avec ces pays limitrophes et les aider à assurer le contrôle de leurs frontières, tout en gérant avec eux les enjeux sécuritaires. Nous leur demandons surtout d'enregistrer les migrants, de signaler les identités et de lutter contre les groupes criminels. La coopération, telle est la solution.

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