Il y a quinze mois, Pierre Bernard-Reymond et moi, nous vous avions présenté un rapport sur les propositions de textes relatifs à la gouvernance économique européenne. Depuis, le fameux six pack a été publié le 20 octobre 2010 et est entré en vigueur le 13 décembre 2011, puis la crise des dettes souveraines a conduit à étendre le Fonds européen de stabilisation financière et le futur Mécanisme européen de stabilité. La Commission a élaboré deux nouveaux textes, le two pack, renforçant encore la surveillance budgétaire des États membres appartenant à la zone euro. Ces deux textes ont été présentés le 23 novembre 2011, c'est à dire avant que 26 des 27 chefs d'Etat et de gouvernement ne décident, le 9 décembre 2011, de préparer le traité arrêté hier à Bruxelles. Destiné à manifester leur détermination face aux marchés financiers, mais redondant avec certaines règles que nous allons examiner, ce traité relève à mon avis d'une forme de « pensée unique » privilégiant par trop l'austérité budgétaire par rapport au soutien de la croissance européenne.
La première proposition de règlement du two pack prévoit un dispositif de suivi et d'évaluation des projets de budget ainsi que de correction des déficits excessifs dans les Etats membres de la zone euro ; la seconde renforce la surveillance économique et budgétaire des Etats de la zone connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés financières, c'est-à-dire ceux qui sont marqués sinon du doigt de Dieu, du moins de celui des marchés. Appuyées sur l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union, elles complètent le millefeuille auquel on avait déjà intégré le six pack et par-dessus lequel viendra le nouveau traité.
Le six pack, je le rappelle, institutionnalise d'abord le « semestre européen », étalé sur toute la première partie de l'année, ainsi que nous l'avait expliqué le directeur général du budget de la Commission, M. Jouanjean. Sur la base de l'analyse de la croissance effectuée par la Commission, les Etats membres définissent de façon coordonnée leurs politiques économiques et budgétaires.
Le six pack comporte aussi une version complétée du pacte de stabilité et de croissance, qui avait montré ses limites en ne détectant pas la crise en Espagne, au Portugal ou encore en Grèce, non plus qu'en Irlande. On a vu que les critères de la dette et du déficit ne suffisaient pas. On cherchera désormais à détecter les écarts de compétitivité par une batterie de critères comme l'évolution des marchés financiers, l'immobilier ou le solde commercial. Si un pays alerté par la Commission ne prend pas de mesures, celle-ci pourra décider de sanctions (dépôt non rémunéré, amende) - on verra si elle le fait. Surtout, on prête attention non seulement au déficit (les 3 %), mais aussi au niveau global de l'endettement (les 60 %). Une surveillance de la réduction de l'endettement est mise en place.
Comment le two pack s'articule-t-il avec ces dispositifs ? Visant à déceler le plus en amont possible toute déviation d'un Etat membre de la zone euro, il instaure une surveillance ex ante des projets de budget nationaux par l'instauration d'une « année européenne », en complétant les procédures qui rythment déjà le premier semestre. C'est ainsi que parallèlement à sa présentation au Parlement, chaque projet de cadre budgétaire national devra être soumis à la mi-octobre à la Commission, qui pourra demander à l'Etat membre de revoir dans les deux semaines son projet, s'il déroge gravement aux obligations découlant du pacte de stabilité. La Commission pourra émettre, avant le 30 novembre, un avis public qu'elle pourra présenter au parlement national concerné. Il est à cette fin prévu d'harmoniser les calendriers budgétaires nationaux, ce qui ne sera peut-être pas simple pour les pays dont l'année fiscale ne coïncide pas avec l'année civile.
Deuxièmement, les projets de budget nationaux seront élaborés à partir de prévisions de croissance indépendantes. Aujourd'hui, le ministre reçoit le directeur du budget et, à l'issue de leur conclave, une fumée noire annonce que nous avons un taux de croissance... Cela pourrait conduire la France à donner une autonomie à la direction de la prévision du ministère de l'économie en garantissant la nomination et l'irrévocabilité de son directeur et ses moyens de fonctionnement. Il serait aussi envisageable de confier ce rôle à l'INSEE ou d'impliquer l'Autorité de la statistique publique, garante de l'indépendance statistique en France.
Troisièmement, le texte prévoit d'exiger l'inscription dans un texte national contraignant, de préférence constitutionnel, d'une règle chiffrée concernant le solde budgétaire. Le respect de la règle d'or sera contrôlé par un conseil budgétaire indépendant - je vais y revenir. Le solde budgétaire devra s'inscrire dans une trajectoire d'ajustement vers l'objectif de moyen terme ; l'objectif de moyen terme fixé pour chaque pays correspond au niveau de solde structurel, corrigé des effets conjoncturels et hors mesures temporaires, qui permet la soutenabilité des finances publiques dans la durée. La définition de cette notion est déjà acquise dans la nomenclature bruxelloise et repose sur un accord entre les pays et la Commission. Des marges de manoeuvre existent en fonction du cycle économique sans possibilité toutefois de dépasser 3 % du PIB, l'objectif de moyen terme devant quant à lui être compris entre un déficit d'1 % du PIB et l'excédent. Le projet de traité en cours de négociation entend resserrer cette contrainte en imposant que, sauf circonstances exceptionnelles en période de grave récession, le déficit structurel ne dépasse pas 0,5 % du PIB.
Comme pour l'organisme de prévision, la mise en place d'un conseil budgétaire indépendant comparable à ceux existant pour l'essentiel dans les pays vertueux, ceux du Nord de l'Europe, pourrait consister en l'octroi d'une forte autonomie à une partie de la direction du budget ; en revanche, le recours à la Cour des comptes semble exclu dans la mesure où son contrôle sur les finances publiques intervient a posteriori.
Le deuxième volet prévoit une surveillance plus étroite des Etats membres de la zone euro déjà sous le coup d'une procédure de déficit excessif, c'est-à-dire tout le monde ou presque : 23 des 27, 14 membres des 17 de la zone euro. Avec le six pack, la sanction pour non-respect du critère de la dette interviendrait en ce cas trois ans après correction du déficit excessif. La Commission ayant jugé que ce n'était pas suffisant, elle propose désormais que la surveillance de la politique budgétaire des pays concernés passe aussi par un suivi de l'exécution budgétaire en cours d'année et la possibilité, pour la Commission, de demander un audit indépendant des comptes publics de l'Etat concerné. En cas de risque de non-respect du délai de correction, la Commission lui adresserait une recommandation et pourrait la présenter au parlement national à la demande de ce dernier.