Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 décembre 2016 à 8h35
Politique commerciale — Instruments de défense commerciale : proposition de résolution européenne et avis politique de mm. philippe bonnecarrère et daniel raoul

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Merci de cette mise en perspective. Les termes de « défense » et « commerce » vous donnent bien le cadre de la proposition de résolution européenne que Daniel Raoul et moi-même vous soumettons aujourd'hui, dont l'objectif est que la politique commerciale de l'Union européenne vise davantage la défense des intérêts économiques européens. C'est un thème classique des réunions de notre commission. En d'autres termes, nous souhaitons faire en sorte que dans le cadre de son ouverture commerciale, l'Union européenne utilise des armes équivalentes à celles dont disposent ses partenaires pour des échanges équilibrés, réciproques et régulés.

J'évoquerai le renforcement des instruments dits de défense commerciale dont l'Union dispose, en particulier la lutte contre les pratiques commerciales déloyales qui faussent artificiellement les termes des échanges ; Daniel Raoul abordera ensuite l'établissement d'une réciprocité équilibrée dans l'accès aux marchés publics et moyens pour l'Union de contrer l'effet extraterritorial de certaines législations nationales, en clair certaines législations américaines - autre thème sur lequel nous nous sommes fréquemment mobilisés.

L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a posé les règles de base des échanges commerciaux internationaux, parmi lesquelles figure la possibilité de contrer des pratiques commerciales déloyales et inéquitables. Les mesures antidumping, avec les instruments anti-subventions, sont les plus couramment utilisées.

Les premières s'attaquent aux importations de produits venant d'un pays tiers vendus à des prix inférieurs à une valeur dite « normale », dans la mesure où elles affectent les intérêts de l'Union.

Les secondes permettent de se protéger des subventions publiques massives qui donnent à l'exportateur de l'État tiers des avantages particuliers, avec le même résultat : la possibilité de vendre à un prix inférieur à la normale. Ces mesures de défense commerciale de l'Union européenne n'ont jamais été réellement actualisées depuis 1995 : leur modernisation fait l'objet d'une réflexion en cours.

Les textes de la Commission européenne débattus depuis trois ans au Conseil européen, jusqu'à présent sans résultats opérationnels, ont d'abord pour objectif de donner aux opérateurs concernés - importateurs et exportateurs - une pré-information d'un mois avant la mise en place des contre-mesures commerciales pour leur permettre de se préparer ou de réagir, et raccourcir de deux mois les délais d'enquête de la Commission afin de rendre les mesures plus efficaces.

Il est également prévu qu'afin d'éviter des mesures de rétorsion contre un producteur européen qui déposerait une plainte contre l'exportateur concurrent d'un pays tiers, la Commission européenne puisse ouvrir elle-même une enquête d'office, mettant ainsi l'entreprise concernée dans une position plus confortable.

Les propositions de modernisation visent également à faciliter l'action des PME dans des procédures de défense commerciale souvent longues et complexes.

Mais la réforme la plus importante concerne l'application de la règle dite du droit moindre. Pour justifier une mesure antidumping, il faut prouver la réalité de cette pratique et la causalité entre ce dumping et le préjudice subi par l'industrie - c'est la règle traditionnelle de la responsabilité en droit civil. Le droit antidumping établi correspond alors soit à la marge du dumping lui-même tel qu'il est objectivé, soit au niveau nécessaire pour éliminer le préjudice, si celui-ci est plus faible. En d'autres termes, nous appliquons deux règles et non une seule, et celle du droit moindre est retenue. C'est cette pratique qui a toujours été privilégiée par la Commission, contrairement à tous nos partenaires.

Une position de compromis entre deux positions maximalistes exprimées par les États membres - supprimer la règle ou n'y rien changer - a été proposée au Conseil. Elle consiste, sans l'abroger, à laisser cette règle de côté dans deux cas bien délimités, les plus graves au point de vue commercial : des subventions publiques massives, et surtout une distorsion manifeste des coûts de production d'un bien exporté résultant d'un prix artificiel des matières premières ou de l'énergie payé dans le pays de référence. Autant de pratiques qui alimentent les surcapacités sur les produits sidérurgiques mais aussi, demain, des produits à base d'aluminium et - au grand dam de l'Italie - de céramique. Un document joint précise la position de compromis soumise par la Présidence slovaque : un abandon, dans certaines conditions très encadrées, du droit moindre.

Au Conseil de l'Union européenne, à 14 États contre 14, la position de compromis était possible compte tenu du poids respectif de chaque État dans le calcul de la minorité de blocage, la France et l'Allemagne étant partisans de l'abandon de la règle. Avant-hier, au Conseil, les États membres ont finalement trouvé un accord sur la proposition slovaque de compromis. Il semble que l'Estonie et les Pays-Bas, pourtant un pays à tradition libérale, aient fait pencher la balance du côté de la position défendue par l'Allemagne et la France.

Deuxième élément, que l'on pourrait appeler le paquet « Chine » : le nouveau mode de calcul de mesures antidumping à l'égard d'entreprises chinoises qui le pratiquent à grande échelle. En effet, certaines dispositions du protocole d'adhésion de la Chine à l'OMC étant venues à échéance le 11 décembre dernier, le mode de calcul des pratiques de dumping d'entreprises devra changer. Vous avez exprimé vos inquiétudes à ce sujet. Il va de soi que la Chine ne saurait, comme elle le réclame, être considérée comme une économie de marché, ce qui aurait réduit drastiquement les capacités de défense de l'Union européenne. Avec le nouveau mode de calcul, cette dernière aura au contraire des éléments de réponse.

La Chine a, dès lundi 12 décembre, déposé un recours à l'OMC. Cependant, la position juridique de l'Union européenne est plus solide que si elle avait conservé le statu quo. Économiquement enfin, ses capacités de défense devraient rester au moins aussi protectrices qu'aujourd'hui grâce aux deux bornes que j'ai présentées, alors que l'octroi du statut d'économie de marché à la Chine les aurait réduites, selon nos interlocuteurs, de 90 % au moins.

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