Intervention de Daniel Raoul

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 décembre 2016 à 8h35
Politique commerciale — Instruments de défense commerciale : proposition de résolution européenne et avis politique de mm. philippe bonnecarrère et daniel raoul

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Vous évoquez, monsieur le Président, la naïveté de la Commission européenne ; je parlerais plutôt d'inertie. L'échéance du 11 décembre était connue depuis longtemps.

L'ouverture des marchés publics européens doit désormais être conditionnée à une meilleure réciprocité - je tiens à ce terme - de la part de nos pays partenaires. En 2012, la Commission européenne avait adopté une proposition de règlement assez offensive - peut-être trop - sur ce sujet. Elle prévoyait par exemple, dans le cas de marchés publics où l'Union européenne n'avait pas pris d'engagements internationaux, la possibilité pour un adjudicateur européen d'exclure une offre émanant d'un pays tiers où il n'y avait pas de réciprocité ; ainsi que la possibilité pour la Commission européenne, après enquête et négociation, de fermer son marché ou de décider des pénalités de prix.

J'avais eu l'occasion de rapporter et de défendre, au nom de la commission des affaires économiques, la proposition de résolution européenne du Sénat soutenant cette option, mais elle n'a jamais franchi l'étape du Conseil : il était difficile d'obtenir une majorité sur une position aussi volontariste, compte tenu de la culture de certains États membres.

C'est pourquoi, en janvier dernier, la Commission a proposé une nouvelle approche plus consensuelle consistant, tout en excluant une fermeture complète de nos marchés publics, à maintenir la sanction par le prix : le soumissionnaire d'un pays peu ouvert aux offres européennes verra ainsi son offre enchérie d'autorité de 20 %.

Cette pénalité de prix serait appliquée d'office sauf si l'offre de l'entreprise soumissionnaire n'est constituée qu'à moins de 50 % de produits ou de services originaires de son pays. Par ailleurs, les entités fédérées d'un pays, ou ses municipalités, pourront être expressément impactées si elles pratiquent de leur côté une discrimination à l'endroit de soumissionnaires européens. Ce sujet a été abordé dans les discussions sur l'accord avec le Canada et son application par les provinces. Cet instrument ne vise que les marchés publics dits « non couverts » par les accords internationaux auxquels l'Union européenne est partie (l'accord multilatéral sur les marchés publics dit AMP) ; l'Union européenne respecte donc les engagements pris dans ce cadre-là, au demeurant assez restrictifs.

Pour autant, si des difficultés apparaissent dans la négociation d'accords bilatéraux - c'est le cas du TTIP -, l'existence de cet instrument serait en quelque sorte l'épée de Damoclès pesant sur le pays partenaire, s'il n'y a pas d'entente sur la réciprocité des marchés publics. Je ne sais pas si nous aurons à nous en servir, mais c'est le principe de la dissuasion.

Il importe par conséquent que le Conseil valide rapidement un dispositif qui rétablisse un peu d'équilibre là où la disparité est aujourd'hui flagrante. Malheureusement la France est très seule dans ce débat : certains pays ont peur des rétorsions que pourraient subir leurs entreprises.

Le dernier point abordé par notre proposition de résolution européenne est l'application extraterritoriale de certaines lois nationales de pays tiers.

Là encore, la Commission européenne avait, en 1996, au lendemain de l'adoption par le Congrès américain des législations sanctionnant toute relation commerciale ou financière avec Cuba ou avec l'Iran et la Libye, adopté un dispositif dit de « blocage » de l'effet extraterritorial de ces lois.

Ce texte, assez fort, est devenu caduc ; il a fait l'objet d'une refonte formelle en 2015, mais son adoption en Conseil semble malheureusement fort peu probable. Dans l'exposé des motifs, nous rappelons que, pour les États-Unis, il n'y a pas d'extraterritorialité, en raison de leur définition très extensive du lien de rattachement territorial. La définition d'une « US person » (« personne américaine ») est particulièrement floue ; et le dollar jouant un rôle prépondérant dans les transactions mondiales, les places financières américaines sont le lieu obligé de toute compensation ou transaction finale dans cette monnaie. Or cela suffit pour que le lien territorial soit considéré comme établi par la justice américaine. Ainsi, les transactions franco-iraniennes se faisant en dollars, les entreprises concernées s'exposent à des sanctions. C'est ce qui est arrivé à la BNP qui n'est pas, à ma connaissance, une entité américaine...

L'Union européenne ne peut envisager de promulguer à son tour des législations extraterritoriales comparables qui, pour l'essentiel, sont contraires aux règles internationales et à celles de l'OMC. En revanche, l'existence d'un bouclier juridique robuste contre leur application aurait un sens. Malheureusement, comme dans le cas précédent, la France est bien seule à promouvoir cet instrument.

Force est donc de laisser sur ce sujet complexe un espace à la coopération et au dialogue, en particulier avec l'Ofac (Office of Foreign Assets Control) qui gère les sanctions économiques édictées par les États-Unis. Confier, en plus des démarches nationales, à une instance de l'Union européenne le rôle d'interlocuteur unique européen pour déminer les procédures susceptibles de frapper nos entreprises en recherche de marchés serait utile - en particulier en Iran, où persistent encore certaines sanctions américaines anciennes, voire demain en Russie. Le fait que les sanctions édictées par l'Union européenne relèvent d'une action intergouvernementale et que leur impact économique concerne la politique commerciale, compétence exclusive de l'Union européenne, complique la donne. Ce rôle doit-il être confié au Service européen d'action extérieure (SEAE), les sanctions étant un instrument de la politique étrangère et de sécurité commune, ou à l'Office européen antifraude (OLAF) ? Notre proposition de résolution européenne ne tranche pas, mais prône la systématisation d'une coopération qui peut être mutuellement bénéfique.

La notion de protection contre des abus manifestes de puissance, tout comme la défense des intérêts de l'Union européenne, sont des valeurs politiques que nous devons promouvoir. Elles s'appliquent aux trois sujets que nous venons d'évoquer et qui inspirent l'essentiel de cette proposition de résolution européenne que nous vous demandons d'adopter.

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