Intervention de François Marc

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 décembre 2016 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Régulation de la finance parallèle shadow banking : communication de m. françois marc

Photo de François MarcFrançois Marc :

J'ai le plaisir d'aborder un thème qui est désormais assez familier pour les membres de cette commission.

Après la crise financière de 2007-2008, nous avons porté une attention soutenue à l'intermédiation financière, laquelle comprend à la fois des activités régulées et des activités qui le sont moins. L'activité bancaire s'inscrit dans un processus régulé, contrôlé et surveillé, puisque l'on exige des intermédiaires de respecter un certain nombre de règles. En revanche, il subsiste des activités peu régulées, qui suscitent encore quelques inquiétudes, dans la mesure où elles ont probablement occasionné certains dysfonctionnements à l'origine de la crise.

C'est la raison pour laquelle notre commission s'est penchée sur le sujet depuis plusieurs années. C'est même le sujet du rapport d'information qu'elle a établi il y a quelques mois sous le titre : « Le système financier parallèle : pour une transparence accrue et une régulation améliorée en Europe ».

L'objectif de ma communication est double. Il s'agit d'abord de vous informer sur l'état d'avancement des deux principales initiatives européennes visant à encadrer la finance parallèle et à limiter des risques qui pourraient se révéler explosifs : le règlement concernant les fonds monétaires et celui sur la titrisation.

En préambule, je rappelle les particularités d'un processus législatif désormais largement prédominant et qui n'est pas sans poser de problèmes. Simon Sutour et vous-même, monsieur le président, dans le cadre de vos travaux sur le « mieux légiférer », nous avaient déjà alertés sur les négociations informelles, mieux connues sous le nom de « trilogues », et sur les enjeux qu'elles soulèvent en termes de transparence. Dans la procédure législative ordinaire, le Parlement européen et le Conseil adoptent conjointement des propositions législatives. En réalité, lors de la dernière législature, 85 % de la législation a été adoptée en trilogues. Au cours des deux législatures précédentes, ce chiffre ne s'élevait qu'à 29 % !

L'incertitude est totale en ce qui concerne la composition des trilogues. Par ailleurs, l'ordre du jour des réunions ou leurs comptes rendus ne sont pas publiés. Enfin, il est difficile d'obtenir les documents de compromis... À l'heure où le déficit démocratique de l'Union européenne est constamment souligné, il est impossible de savoir comment et pourquoi les décisions finales concernant plus de 80 % de la législation européenne sont prises en trilogues. Les parlements nationaux sont, eux aussi, privés de toute information sur la façon dont sont prises en compte les observations qu'ils ont pu transmettre, tant à leurs gouvernements qu'à la Commission européenne, sur les textes concernés.

La médiatrice européenne Emily O'Reilly, après une longue enquête sur le sujet, a demandé aux institutions - Conseil, Parlement européen et Commission - de lui indiquer les mesures qu'elles prendront ou envisagent de prendre pour pallier l'opacité de ce processus. Les réponses doivent lui parvenir aujourd'hui même, alors que les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, prévoient d'adopter une déclaration commune identifiant près de quarante propositions législatives qui seront adoptées en procédure accélérée - c'est-à-dire lors de trilogues - en 2017. Parmi les sujets abordés dans ces textes, on trouve le « paquet Télécom », les droits d'auteur, les travailleurs détachés, l'Union économique et monétaire, l'union des marchés de capitaux, les droits fondamentaux, etc. Bref, il est prévu de travailler de nouveau lors de trilogues sur un champ considérable de questions et d'aboutir ainsi à des décisions importantes sans toute la transparence requise.

Je m'arrête là pour ce rappel général et en viens plus précisément à une illustration concrète du fonctionnement en trilogue.

Un accord politique informel vient d'être trouvé sur le règlement européen concernant les fonds monétaires au terme de cinq trilogues confidentiels. Rappelons que l'encadrement des fonds monétaires constitue un enjeu majeur, tant pour la stabilité financière que pour le financement de l'économie : il s'agit en Europe d'un marché de plus de 1 000 milliards d'euros. Or ces fonds sont souvent présentés à tort comme des produits sans risque, car principalement investis dans des titres souverains ou des certificats de dépôts des établissements financiers. Ils font en réalité courir de réels risques au système financier, en raison de leur vulnérabilité à des rachats massifs de titres et parce qu'ils sont susceptibles de nécessiter un sauvetage sur fonds publics.

Dans notre rapport sur le système financier parallèle, nous avions indiqué qu'il était nécessaire que l'Union européenne adopte une législation ambitieuse pour renforcer l'encadrement de ces fonds. Il faut donc bien sûr se réjouir du fait que l'Europe se dote enfin d'un règlement sur les fonds monétaires. Jusqu'à présent, nous faisions figure de mauvais élève au regard notamment du Conseil de stabilité financière et de l'Organisation internationale des commissions de valeurs.

L'accord trouvé semble satisfaire l'objectif de stabilité financière, puisque l'on remplace des fonds monétaires à valeur liquidative constante, les CNAV - Constant Net Asset Value -, considérés comme les fonds les plus risqués par un nouveau type de fonds à faible volatilité, dit LVNAV - Low Volatility Net Asset Value. Il semble aussi de nature à préserver le financement de l'économie européenne et notamment de la zone euro, via des dispositions adaptées et différenciées pour les différentes typologies de fonds présents en Europe.

Il convient toutefois de poser un regard plus exigeant et, ce faisant, plus critique sur le compromis obtenu.

Dans le prolongement des travaux internationaux, le Comité européen du risque systémique s'était prononcé, dès 2012, pour une suppression des CNAV, qui sont susceptibles de donner une illusion trompeuse de stabilité et de quasi-équivalence avec des dépôts bancaires, alors même que, dans les faits, leur valeur liquidative ne représente pas la valeur des actifs sous-jacents.

La proposition élaborée par la Commission européenne en septembre 2013 était ambitieuse et en ligne avec ces recommandations. Elle prévoyait notamment des exigences en fonds propres spécifiques pour les CNAV, réduisant de facto la viabilité de ces produits qui, rappelons-le, représenteraient près de 65 % de l'encours global mondial des fonds monétaires. La proposition de la Commission européenne a suscité de très vives réactions, et ce n'est qu'en avril 2015, après de longs débats et près de 800 amendements, que le Parlement européen s'est prononcé sur ce projet. L'idée de contraindre significativement l'utilisation des CNAV n'a pas été retenue par les députés européens, qui ont opté pour une solution intermédiaire en proposant la création temporaire de fonds monétaires à faible volatilité, les LVNAV. Aucune étude d'impact sur ce nouveau type de fonds n'a, à notre connaissance, été publiée. Le Parlement européen est finalement allé moins loin que certaines propositions concernant ce produit à risque.

Il a ensuite fallu attendre l'actuelle présidence slovaque pour engager un trilogue sur ce sujet qui, au-delà des enjeux de stabilité financière, cristallisait des oppositions entre certains États membres. En effet, au sein de l'Union européenne, trois pays se partagent plus de 95 % du marché de la gestion monétaire : l'Irlande pour 42 %, le Luxembourg pour 24 % avec des fonds CNAV et, enfin, la France pour 29 %, via des fonds monétaires à valeur liquidative variable, c'est-à-dire considérés comme plus sécurisés.

L'accord issu des trilogues confirme la création des LVNAV proposée par le Parlement européen, mais supprime la clause de conversion des fonds après cinq années. Même s'il en renforce les contraintes réglementaires, il pérennise le modèle des CNAV à travers un règlement applicable à l'ensemble des pays de l'Union européenne.

Ainsi, il aura fallu plus de trois ans pour que l'Union européenne se dote d'un règlement qui était certes indispensable, mais au sujet duquel il nous est difficile de savoir si les arbitrages finaux adoptés en trilogue l'ont été à bon escient. On relèvera l'influence déterminante des banques anglo-saxonnes, ainsi que l'insuffisance d'un regard démocratique extérieur sur le processus.

Le temps qu'il aura fallu pour que le règlement soit adopté aurait pu contribuer à ce que s'instaure une relative transparence des négociations mais, en l'espèce, tel n'a pas été le cas.

Sur les fonds monétaires, on peut se réjouir que les choses aient avancé. Nous avons limité les risques de façon conséquente, mais la faible transparence du processus d'adoption, qui a pourtant duré trois ans, nous a rendus critiques et lucides sur le manque de dialogue en Europe à ce sujet et sur le fonctionnement des trilogues.

Le parcours européen du règlement relatif à l'encadrement de la titrisation, deuxième vecteur sur lequel nous souhaitons avancer, n'a d'autre point commun avec les fonds monétaires que le fait d'être destiné, lui aussi, à une prise de décision en trilogue. Là s'arrête la similitude. Les deux projets de règlement adoptés par la Commission européenne en septembre 2015 ont fait l'objet d'un accord au Conseil Ecofin en moins de trois mois. Alors que ce mandat de négociation du Conseil a formellement ouvert la voie aux discussions avec le Parlement européen, les travaux parlementaires sont depuis lors à l'arrêt, sans qu'il soit possible de comprendre les causes réelles du blocage. Aussi, nous devons nous passer, pour de nombreux mois encore, d'un texte qui, même imparfait, avait le mérite de fixer un cadre pour les opérations de titrisation européennes. Si le marché se développe dans les prochains mois au gré de l'évolution des taux et des contraintes réglementaires, il le fera sans cadre européen.

Je crois utile que notre commission mesure le chemin qu'il reste à parcourir et les difficultés rencontrées pour encadrer la finance parallèle en Europe. Notre vigilance doit être élevée, tant sur le fond des législations que sur le processus d'adoption lui-même, car les acteurs du secteur voient les positions acquises potentiellement remises en jeu, et que les exigences en matière de stabilité financière sont plus que jamais d'actualité.

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