Je vous remercie d'avoir répondu favorablement à notre invitation de venir vous exprimer à l'Assemblée nationale, pour cette audition conjointe avec la commission des Affaires économiques et la Commission des affaires européennes du Sénat.
Alors que les négociations commerciales multilatérales du cycle de Doha durent depuis 2001, l'Union européenne, comme d'ailleurs les États-Unis, ont fait le choix de multiplier les accords bilatéraux de commerce et d'investissement. Menées dans le secret, ces négociations ont suscité l'inquiétude de la société civile, du Parlement européen et de nombreux Parlements nationaux. Même si des progrès notables ont été enregistrés en matière de transparence (publication des mandats de négociation et des documents de négociation européens), ces inquiétudes restent importantes, aussi importantes que les enjeux de ces négociations pour l'avenir de nos concitoyens, de nos entreprises et de nos démocraties.
Pour ma part, je n'ignore pas les avantages que de tels accords, pour autant qu'ils soient bien négociés, peuvent avoir en matière de croissance et d'emploi pour l'Union européenne. Toutefois, je suis également consciente des risques qu'ils comportent.
Le premier risque est l'inclusion systématique, dans ces accords, d'un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs prenant la forme d'un arbitrage privé. Vous avez fait récemment, Madame la Commissaire, un certain nombre de propositions pour améliorer ce mécanisme dans le TTIP. Cependant, à supposer qu'il puisse être amélioré afin de prévenir ses effets négatifs, désormais bien connus, sur le droit des États à réguler, se pose toujours la question de son utilité.
En effet, ce mécanisme a été institué par nous, Européens, dès les années 50 afin de protéger nos investissements dans des pays qui ne respectaient pas l'État de droit. Or, le respect de l'État de droit est, aujourd'hui, une réalité, tant dans l'Union européenne qu'aux États-Unis et au Canada. C'est d'ailleurs pour cette raison que, depuis des décennies, malgré l'absence d'un mécanisme de règlement des différends, les investissements européens aux États-Unis et aux Canada et les investissements de ces derniers dans l'Union européenne atteignent des dizaines de milliards de dollars par an ! De plus, vous n'êtes pas sans savoir que l'accord de libre-échange de 2004 entre les États-Unis et l'Australie ne comporte pas de mécanisme de règlement des différends, comme n'en comportait pas l'accord de 1988 entre les États-Unis et le Canada.
Dès lors, je me pose la question et je ne suis pas la seule : en quoi un tel mécanisme de règlement des différends est-il aujourd'hui nécessaire dans le TTIP ou le CETA ? Quels sont ses avantages qui pourraient justifier les risques qu'il comporte ?
Le deuxième risque, spécifique au TTIP, est l'organe de coopération réglementaire qu'il prévoit. Son objet serait de discuter des propositions réglementaires de l'Union européenne et des États-Unis dans les secteurs couverts par le TTIP tels que les textiles, les médicaments ou l'automobile. Cet objet est louable : il s'agit d'éviter que les futurs partenaires adoptent, chacun de leur côté, des règlementations différentes qui, par les barrières qu'elles pourraient ériger, compliqueraient les échanges commerciaux.
Toutefois, cet organe me semble faire peser un risque encore plus grand que le mécanisme de règlement des différends sur le droit des États à réguler. En effet, ce dernier n'interviendrait qu'a posteriori, alors que l'organe de coopération réglementaire interviendrait a priori, dans l'élaboration même des normes. Or, les normes ne peuvent pas être analysées sous le seul angle de la barrière qu'elles pourraient constituer pour le commerce. Elles sont le résultat de débats dont les enjeux sont également sociaux et environnementaux. Le risque est donc majeur que l'organe de coopération réglementaire suivre la même logique qu'un tribunal arbitral et juge qu'une loi mauvaise pour le commerce est une mauvaise loi.
Enfin, au-delà du TTIP et du CETA, je voudrais attirer votre attention sur un aspect méconnu des accords de libre-échange et d'investissement. Loin de se borner au commerce, je me réjouis que certains de ceux qui ont été négociés dans le passé, par exemple les accords avec le Pérou et la Colombie, comportent des engagements en matière de droits humains, sociaux et environnementaux.
Toutefois, encore faut-il que ces engagements soient respectés par les pays concernés. Nous avons reçu récemment les responsables d'ONG en Colombie. Si respect il y a sur le papier, les droits syndicaux ne sont pas respectés sur le terrain. La Commission européenne s'en assure-t-elle et si oui comment ? Si ces engagements venaient à être violés, quelle devrait être selon vous sa réaction ? Enfin, alors que la Commission européenne négocie actuellement des accords avec des pays qui ne sont pas exemplaires en matière de droits humains, sociaux et environnementaux, notamment la Chine et la Birmanie, ceux-ci comporteront-ils des engagements dans ce domaine ?