Intervention de Cecilia Malmström

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 avril 2015 à 16h30
Politique commerciale- Audition conjointe avec la commission des affaires économique et la commission des affaires européennes de l'assemblée nationale de Mme Cecilia Malsmström commissaire européenne en charge du commerce

Cecilia Malmström, commissaire européenne en charge du commerce :

Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureuse d'être ici et d'avoir ce dialogue avec vous, dialogue à la fois de fond et de proximité avec les représentants nationaux ; c'est une de mes priorités en tant que commissaire européenne au commerce.

En effet, dans la période que nous traversons, les institutions européennes sont critiquées. Elles seraient trop distantes des citoyens. Il faut minimiser ce manque de confiance, et cette audition est une manière d'avoir plus de proximité.

Dès lors, plus la Commission et les parlements nationaux seront fréquemment en contact, plus cette distance entre les citoyens et nos institutions sera réduite.

Je voudrais mettre l'accent sur trois aspects importants pour moi :

- tout d'abord, je crois que nous pouvons nous mettre d'accord sur l'idée de la politique commerciale en tant qu'outil pour assurer la croissance et l'emploi ;

- deuxièmement, c'est aussi, à mon sens, un levier pour assurer le respect et la diffusion de nos valeurs en tant qu'Européens ;

- et troisièmement, j'aimerais vous parler de la responsabilité partagée que nous avons à engager un débat public sur le sujet.

Commençons par la croissance et l'emploi.

Nous savons que les accords commerciaux et d'investissement peuvent contribuer à cet objectif. Aujourd'hui le 15 avril, nous célébrons l'anniversaire de la signature des accords qui ont fondé l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les ministres présents il y a vingt-et-un ans à Marrakech déclaraient que ces accords « marquent l'avènement d'une ère nouvelle de coopération économique mondiale ».

Ils avaient raison : les échanges annuels de biens et services sont quatre fois plus importants aujourd'hui qu'en 1994. Les flux d'investissement ont été multipliés par cinq au cours de cette même période.

Mais il ne s'agit pas seulement de considérer les bénéfices globaux du commerce au niveau mondial, mais aussi de considérer les bénéfices concrets pour nous Européens.

Aujourd'hui, plus de 30 millions d'emplois en Europe dépendent des exportations et plus de 2,5 millions de ceux-ci sont localisés en France, soit 10% de la population active française.

Mais il ne s'agit pas seulement des exportations ; beaucoup d'autres emplois en Europe dépendent des importations, car aujourd'hui, comme vous le savez, les produits ne sont pas fabriqués dans un seul pays. Ils sont fabriqués le long de chaînes de valeur régionales et mondiales. Pour exporter compétitivement, nous devons aussi importer.

Un chiffre-clé pour démontrer l'ampleur de ce phénomène pour la France : 25 % de la valeur des exportations françaises est composée de biens et services importés.

Le but de la politique commerciale de l'Union européenne en la matière est de l'accès à ces chaînes de valeur.

Prenons l'exemple de l'accord de libre-échange avec la Corée du Sud qui est en vigueur depuis 2011. Il donne déjà des résultats très satisfaisants. L'ensemble de nos exportations vers la Corée est en hausse de 35 %. Dans le secteur de l'automobile, la hausse est même de 90 %.

Elles ont doublé dans le secteur laitier - ce qui est particulièrement intéressant pour la France. La France dispose d'une offre diversifiée et riche, notamment de fromages, fabriqués par de petits producteurs et en demande partout dans le monde, tandis que deux des trois plus grandes entreprises laitières du monde sont françaises.

D'où viennent ces gains avec la Corée du Sud ? D'un accord très ambitieux dans son contenu. En effet, l'accord fait plus qu'éliminer les tarifs douaniers :

- il rend les règlements coréens et européens plus compatibles, sans abaisser les normes (comme en matière de sécurité automobile par exemple) ;

- il améliore l'accès des entreprises européennes aux marchés publics coréens ;

- il élimine certains obstacles importants au commerce des services ;

- et il renforce la protection de nos indications géographiques.

Comme vous le savez, nous sommes en train de finaliser un accord similaire avec le Canada, le CETA, qui est aussi ambitieux que l'accord avec la Corée du Sud, et dans certains domaines, il l'est plus encore.

Nous avons obtenu des engagements du Canada pour ouvrir l'accès aux marchés publics de ses provinces, qui va bien au-delà de ce que les Américains ont atteint dans l'ALENA.

A l'heure actuelle, nous négocions des accords avec le Japon et le Vietnam, ainsi qu'avec de nombreux autres pays en Asie et en Afrique mais le plus important, économiquement et stratégiquement, des accords que nous négocions est le Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l'Investissement avec les États-Unis (le TTIP).

Une fenêtre s'est ouverte dans la dimension multilatérale et il y a un engagement de tous les ministres au niveau de l'Union pour terminer ce cycle le plus rapidement possible.

J'ai mentionné les secteurs de l'agriculture et la production de fromages, mais la France dispose d'atouts dans de nombreux domaines. Ainsi les médicaments et les appareils médicaux : ces secteurs profiteront des efforts réalisés avec nos partenaires commerciaux pour rendre leur réglementation plus compatible avec la nôtre. La fabrication de pneus et de produits chimiques profitera directement de la simplification des procédures douanières. Bien évidemment, le reste de l'industrie agro-alimentaire, où les droits de douane restent particulièrement élevés, avec les États-Unis, bénéficieront également de cet accord.

Je tiens à souligner que les gains ne seront pas seulement en faveur des grandes entreprises. Les PME représentent 30% des exportations européennes vers le reste du monde et sont plus vulnérables aux barrières réglementaires. La mise en conformité représente un coût proportionnellement plus élevé pour les PME, car elles ont moins de marge.

J'ai visité ce matin une petite entreprise aux Pavillons-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. C'est une TPE de dix personnes. CNC-Shopping est un des leaders de la distribution en ligne de commandes numériques pour machines-outils. Elle fait face à des difficultés très concrètes, liées notamment à la lourdeur des procédures douanières, mais aussi aux droits de douane élevés, alors même que le commerce électronique devrait être une opportunité extraordinaire pour elle. LE TTIP contribuera à éliminer ces obstacles.

Mais de même que l'Union européenne n'est pas seulement un marché unique, la politique commerciale de l'Union ne peut avoir comme seul objectif d'ouvrir des marchés. Elle doit aussi promouvoir et respecter des valeurs. Je voudrais développer cinq idées autour de ce thème : la réglementation, les services publics, l'environnement, la protection de l'investissement et la voix de l'Union européenne dans le monde.

Sur la réglementation, nous avons vu comment la coopération peut contribuer à la prospérité. Mais elle peut aussi aider à renforcer notre réglementation en matière de protection du consommateur et de l'environnement.

Le TTIP en est l'un des meilleurs exemples Nous nous assurons dans ces négociations, tout d'abord, que rien de ce que nous faisons n'abaissera les normes actuelles. C'est pourquoi nous nous concentrons sur les domaines où nous avons des objectifs réglementaires similaires à ceux des États-Unis comme dans le secteur de l'automobile, des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux. Nous ne négocierons pas dans les domaines où nous sommes en désaccord. Par exemple, nous n'allons pas changer nos lois sur la viande aux hormones ou les organismes génétiquement modifiés.

Toutefois le partenariat transatlantique nous aidera à atteindre des objectifs communs sur des sujets de coopération administrative, de partage des données, et d'expertise notamment. Il s'agit de coopérer pour faire respecter les règles en utilisant moins de ressources.

L'intention derrière l'organe de coopération réglementaire est de réunir des experts afin de recueillir leurs conseils sur les futures réglementations, d'échanger de l'expertise. Mais il reviendra toujours aux Parlements nationaux de faire les lois.

Nos accords n'obligeront pas les gouvernements à ouvrir les services publics à la concurrence de prestataires privés. Ils ne forceront pas à privatiser les services publics et ne limiteront pas la liberté des gouvernements à changer d'avis sur ce sujet dans l'avenir.

C'est d'ailleurs la position des Américains dans le TTIP. Mon homologue américain et moi-même avons publié une déclaration conjointe à ce sujet qui démontre notre convergence et clarifie nos positions sans ambiguïté.

En même temps, un commerce plus ouvert permet de réduire les coûts des biens et des services dont les gouvernements se servent pour les fournir à leurs usagers. Qu'il s'agisse des uniformes, des médicaments ou des meubles, cela fait plus d'argent disponible pour le système dans son ensemble.

Qu'en est-il de l'environnement ? 2015 est une année importante pour le climat. Paris, en décembre, sera la ville importante pour faire progresser les engagements internationaux dans ce domaine. Si nous voulons résoudre ce qui est l'un des plus graves problèmes à l'heure actuelle, nous devons travailler sur tous les fronts.

Le commerce peut aider. C'est pourquoi l'Union européenne est en train de négocier un accord avec treize autres pays pour promouvoir le commerce des biens et services respectueux de l'environnement, en particulier ceux liés à l'énergie renouvelable. Et nous travaillons pour que d'autres pays rejoignent ces négociations au plus vite, en espérant avoir un accord avant Paris. Nous voulons également utiliser le TTIP pour élever le niveau des normes sur les produits énergétiques renouvelables.

Quatrièmement, l'investissement. C'est probablement la question la plus sensible quand il s'agit des relations entre la politique commerciale et nos valeurs. J'aimerais rappeler pourquoi protéger l'investissement est important. Abaisser les risques d'expropriation ou de discrimination, contribue à rassurer les investisseurs et les encourage à investir, ce qui signifie plus de croissance et d'emplois. C'est pourquoi la France a déjà signé plus de quatre-vingts accords bilatéraux d'investissement, qui comprennent des mesures de protection.

Cependant, il est également nécessaire aujourd'hui d'améliorer le système existant de règlement des différends entre investisseurs et États (plus communément appelé par son acronyme anglais ISDS). L'Union européenne ne veut pas maintenir les accords en matière d'investissement qui seraient déséquilibrés. Les accords existants doivent être réformés, et le CETA et le TTIP sont des étapes clés dans ce processus.

Dans l'accord CETA, nous avons apporté des modifications importantes sur le système existant. En voici quelques exemples. Pour la première fois dans un accord de ce type, nous avons ajouté une référence au droit des gouvernements à réglementer dans l'intérêt public. Nous avons clarifié et défini des limites aux normes de protection de l'investissement pour rendre beaucoup plus difficiles les abus. Nous avons rendu les tribunaux plus transparents et établi un code de conduite obligatoire pour les arbitres. Nous avons, enfin, donné aux gouvernements et non aux arbitres, le contrôle ultime sur l'interprétation des règles. Si l'Union européenne et le Canada ne sont pas d'accord avec la décision d'un arbitre, nous pouvons émettre une déclaration juridiquement contraignante sur la façon dont nous voulons que les règles soient interprétées.

Dans un monde idéal, nous pourrions être en mesure de faire davantage dans le CETA et cela pourra être fait plus tard. Mais l'accord est déjà conclu, même si on peut envisager de demander des ajustements techniques au Canada, nous n'avons pas intérêt à risquer les gains très importants pour l'Europe qui viennent d'être évoqués. Des clauses de révision existent dans l'accord qui nous permettront de réexaminer la question à l'avenir. Le Canada partage notre point de vue sur l'importance de garantir le droit de réglementer.

Dans le TTIP nous pouvons aller plus loin, et nous envisageons des changements profonds comme : nommer par avance des arbitres totalement indépendants et impartiaux ; instaurer un système d'appel, voire dans le moyen terme une cour permanente de l'investissement international ; établir des règles encore plus claires pour gérer la relation avec les systèmes juridiques nationaux ; introduire une clarification juridique supplémentaire sur le fait que les gouvernements ont le droit de réglementer afin de mener des politiques publiques dans l'intérêt général.

Par ces changements, on fait un pas important vers un meilleur système de protection de l'investissement. Ce sont les questions que je suis en train de discuter avec les États membres et le Parlement européen, afin de faire des propositions constructives dans les semaines qui viennent. Bien que nous ayons beaucoup de différences avec les États-Unis, nous partageons les valeurs de démocratie, des droits de l'homme et d'État de droit. Pour autant, nous devons rester vigilants quant à l'application des accords de libre-échange, qui ne deviennent pas automatiquement aux États-Unis des lois nationales, ce qui peut mener à des discriminations, contre, par exemple, de petites entreprises européennes.

Les États-Unis conservent aujourd'hui beaucoup d'influence sur les règles mondiales, en raison de leur poids économique. Mais beaucoup de pays suivent la règlementation européenne sur les produits chimiques, les émissions de CO2 des voitures par exemple, en partie parce que c'est ensuite plus facile pour exporter vers notre marché unique.

Mais cette situation risque de changer à l'avenir, avec la baisse de notre poids relatif tandis que le poids des économies émergentes s'accroît. À l'avenir, nous aurons besoin d'alliances si nous voulons projeter nos valeurs dans les débats qui façonneront les règles mondiales du vingt-et-unième siècle. Il est donc important de trouver des alliances, des partenariats, et les accords commerciaux peuvent nous y aider dès lors qu'ils sont menés dans la transparence.

L'Union européenne a été au centre des négociations qui ont créé le système multilatéral, et au cours des vingt-et-une dernières années, les règles de l'OMC nous ont déjà permis de contribuer à façonner les règles de la mondialisation. Aujourd'hui, la Commission est particulièrement engagée pour travailler en partenariat avec les citoyens, les Parlements nationaux et le Parlement européen pour faire progresser ces partenariats et ce travail multilatéral.

Nous ne pourrons finir les négociations avant Noël, mais nous devons tenter de conclure les négociations du TTIP avant la fin du mandat du Président Obama. Après cela, de nombreux équilibres risqueraient d'être remis en cause.

Finalement, sur votre question, madame la Présidente, de l'application des normes, notamment syndicales, dans des pays avec lesquels nous avons des accords, comme le Pérou ou la Colombie. Il est vrai que nous souhaiterions qu'il y ait moins de problème de respect des droits de l'homme dans ces pays. Nous sommes en train de réfléchir à des façons de mieux faire appliquer ces accords dans les faits, mais sommes convaincus qu'ils contribuent néanmoins à plus de respect des droits.

J'espère avoir répondu à vos questions et suis disposée à vous fournir plus d'éléments de réponses suivant les questions que vous pourrez me poser à présent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion