C'est un grand honneur de m'adresser à vous. Je souhaite d'abord remercier le président Larcher pour son invitation. J'aimerais également exprimer mes sincères condoléances aux familles et aux amis des athlètes français, des membres de l'équipe de tournage et des pilotes argentins qui ont tragiquement perdu la vie en Argentine. C'est un grand choc et une immense tristesse pour les Français, mais je ne doute pas qu'ils parviendront à les surmonter.
Ce débat au Sénat a lieu à un moment très important pour l'Europe, et pour la France en particulier. Comme vous le savez tous, le 25 février, la Commission européenne a publié le rapport 2015 pour la France contenant un bilan approfondi sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques, dans le cadre du semestre européen. Avant d'en parler de manière plus détaillée, je souhaite souligner l'engagement des autorités françaises en faveur des réformes et saluer le programme de réforme détaillé qui a été envoyé à la Commission européenne le 19 février 2015.
Si l'économie mondiale et européenne se relève de la crise financière et économique, la sécurité dans différentes régions du monde demeure une préoccupation. Les menées persistantes de l'État islamique, les conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les récentes attaques terroristes au Mali sont autant de durs rappels de l'insécurité dans le monde. Dans ce contexte, je tiens à remercier la France pour son implication et sa contribution à la sécurité mondiale grâce à ses opérations au Mali, Tchad et sur d'autres points chauds dans le monde.
L'Europe elle-même fait face à des pressions accrues sur sa sécurité, avec les récents attentats terroristes ici en France, mais aussi à des menaces en Belgique et ailleurs en Europe. La confrontation militaire dans notre voisinage oriental, l'agression de la Russie contre l'Ukraine, montre que l'architecture de sécurité en Europe a besoin d'une sérieuse refonte. Sur le plan économique, les sanctions contre la Russie et les représailles qu'elles ont déclenchées ont un impact direct sur l'économie européenne, qui reste toutefois, jusqu'à présent, plus limité que ce que l'on aurait pu craindre. Néanmoins, les accords de Minsk sont constamment violés, et la crise ukrainienne se transforme en une source d'instabilité en Europe. Inutile de dire que cela ne fait qu'accentuer les défis économiques en Europe.
Sur le plan politique, les lendemains de crise sont un terrain fertile pour le populisme et le radicalisme. Malgré nos efforts visant à remettre durablement nos économies sur la bonne voie, certains hommes politiques exploitent cette conjoncture pour présenter l'Europe comme coupable de toutes les difficultés.
Malgré les défis auxquels nous sommes confrontés, les perspectives globales pour 2015 sont modérément positives : l'économie européenne va croître de 1,7 % cette année et de 2,1 % l'an prochain. Pour la zone euro, ces chiffres sont respectivement de 1,3 % et 1,9 %. Les vingt-huit économies de l'Union européenne devraient croître cette année, sauf changements politiques majeurs. Des contributions positives à la croissance proviennent de la baisse du prix du pétrole et de la politique monétaire d'assouplissement quantitatif de la BCE.
Autre aspect positif : la situation budgétaire en Europe commence à s'améliorer. Le déficit public agrégé dans la zone euro passera de 2,6 % du PIB l'an dernier à 2,2 % cette année. Cette année, pour la première fois, nous allons assister à une réduction des déficits publics due davantage à la croissance économique qu'à des mesures de consolidation budgétaire. C'est la preuve que la discipline budgétaire et les réformes structurelles portent leurs fruits et qu'un cercle vertueux s'établit entre des finances publiques saines et un environnement économique amélioré.
L'ajustement et les réformes doivent être aussi rapides et larges que possible. Les pays qui ont ajusté leurs finances et effectué des réformes rapidement sont ceux qui jouissent des plus forts taux de croissance dans l'Union européenne. Il s'agit de l'Irlande, de l'Espagne, du Portugal ou encore des États baltes. L'exemple de ces pays montre que la discipline budgétaire et la croissance économique ne sont pas incompatibles, et qu'un engagement fort en faveur des réformes envoie des signaux encourageants aux marchés et aux investisseurs financiers, qui jouent un rôle important pour soutenir la croissance économique.
Certes, l'économie européenne dans son ensemble va croître cette année, mais il s'agit d'une croissance atone. Le taux chômage élevé et, plus récemment, le faible taux d'inflation sont des facteurs qui pèsent sur de nombreux pays européens dans le sillage de la crise économique et financière. Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté un programme traitant la lenteur de la reprise et de la création d'emplois en mettant l'accent sur la croissance, l'emploi et l'investissement. Dans l'examen annuel de croissance (EAC) que la Commission européenne a publié en novembre dernier, nous avons défini une approche intégrée qui repose sur la stimulation de l'investissement et l'accélération des réformes structurelles.
Pour soutenir cette politique, la Commission européenne a proposé un plan d'investissement de 315 milliards d'euros. Ce plan renforcera les investissements dans les grands projets d'infrastructure dans des domaines tels que les transports, l'énergie, l'environnement. Il aidera également les petites et moyennes entreprises, pour créer de nouveaux emplois en Europe. Il sera mis en oeuvre grâce à des instruments spécifiques, comme le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). Hier, le Conseil des ministres de l'Union européenne a adopté le règlement sur le FEIS, qui est un important pas en avant. Compte tenu de la priorité accordée à l'investissement, le règlement sur le FEIS sera examiné par le Parlement européen selon une procédure accélérée et, espérons-le, sera adopté d'ici l'été 2015, toujours sous la présidence lettone de l'Union européenne.
Les États membres sont invités à participer à cet effort. La France a déjà annoncé sa participation via la Caisse des dépôts et consignations avec une contribution de 8 milliards d'euros. L'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont fait de même. C'est un signe encourageant de l'engagement des États membres de l'Union européenne. Nous espérons que d'autres pays suivront cet exemple. De notre côté, nous allons tout faire pour que ce cadre d'investissement soit un succès. Les États membres ont déjà contribué au plan en apportant des projets nationaux, qui pourront être financées par un large spectre d'instruments : prêts, garanties et contre-garanties...
En ce qui concerne le deuxième pilier de notre approche intégrée - les réformes structurelles - la crise récente a mis en lumière les points faibles de l'économie européenne. Certes, le niveau de résilience diffère d'un pays à l'autre. Cependant, tous les États membres ont besoin de réformes structurelles. La plupart des économies européennes ont un problème de compétitivité, et le taux de chômage demeure élevé dans de nombreux pays. Le chômage important des jeunes est particulièrement inquiétant, comme le sont les risques d'exclusion sociale, en particulier des personnes âgées. Les rigidités du marché du travail ou la viabilité des systèmes de retraite ne sont que deux exemples de points faibles partagés par la plupart des États membres : tous doivent mettre en oeuvre des réformes structurelles crédibles et viables, qui doivent absolument être adoptées.
Un des éléments les plus importants, dans une réforme, est le soutien des parties prenantes, d'où l'importance du dialogue social. Nous savons qu'en France ce sujet est particulièrement sensible et une loi sur la qualité du dialogue social est en préparation.
L'Union européenne dans son ensemble doit se réformer aussi. Un des éléments clés de la construction européenne - le marché unique - doit encore être amélioré, afin de mieux assurer encore les quatre libertés fondamentales - libre circulation des biens, des services, des personnes et du capital. L'économie européenne a besoin d'approvisionnements en énergie sûrs et compétitifs, les instruments du marché intérieur de l'énergie doivent encore être développés et les réseaux d'énergie doivent être remis à niveau.
Nous avons besoin d'une Union forte et qui fonctionne bien. C'est pourquoi l'amélioration de la gouvernance économique de l'Union européenne est l'une des priorités de la nouvelle Commission. Depuis novembre dernier, où la nouvelle Commission a pris ses fonctions, les premières mesures pour améliorer la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance ont été prises. Le semestre européen est notre principal outil de gouvernance macroéconomique pour favoriser une véritable convergence des politiques économique et sociale en Europe. Nous avons entrepris de rationaliser le semestre européen. Comme vous le savez sans doute, nous avons choisi de simplifier les rapports et fait plus de place à la discussion sur le fond au sein de la procédure du semestre européen. Cette année, nous n'aurons qu'un seul rapport au lieu de deux auparavant et les rapports nationaux seront publiés trois mois plus tôt que les années précédentes. Nous pourrons donc utiliser ces trois mois pour expliquer l'analyse et obtenir les commentaires des États membres et des partenaires sociaux sur nos évaluations.
En ce qui concerne notre communication de janvier 2015 sur l'utilisation de la flexibilité, je tiens à souligner qu'elle reste dans les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance et ne s'applique pas aux pays en procédure de correction. La flexibilité est conditionnée à l'effort de réforme structurelle. L'Europe ne peut fonctionner que si les règles du jeu sont jugées équitables par tous les membres et si elles sont respectées.
La France a toujours été un moteur pour l'Europe. Avant même que Robert Schuman ne lance l'idée européenne, la France a toujours été le laboratoire de nouvelles idées pour l'Europe, que ce soit au siècle des Lumières ou lors de la Révolution française. Par conséquent, les réformes préparées par son gouvernement actuel sont importantes, pour la France comme pour l'Europe. Étant donné le rôle et le poids de la France en Europe, la France ne peut pas échouer. Le 25 février, la Commission a publié le rapport spécifique à la France. Ce rapport conclut que la France est dans une situation de déséquilibres économiques excessifs exigeant une action politique déterminée et volontaire ainsi qu'un suivi spécifique, avec des examens réguliers des progrès par tous les États membres. En particulier, le rapport national a souligné que, dans un contexte de faible croissance et de faible inflation, couplée à une rentabilité modeste des entreprises, et compte tenu de la réponse politique insuffisante à ce jour, les risques découlant de la détérioration des coûts, du manque de compétitivité et de l'endettement élevé et croissant - en particulier la dette publique - ont augmenté de façon significative.
Dans ce contexte, il est important que la France s'engage dans des réformes réduisant le coût du travail, principalement par le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le Pacte de responsabilité et de solidarité. Nous prenons bonne note des efforts déployés par les autorités françaises pour simplifier le fardeau réglementaire. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour améliorer la viabilité du système de retraite et des dépenses de santé. Nous nous félicitons des intentions du gouvernement dans la lutte contre la rigidité du marché du travail et la réforme du système d'indemnisation du chômage. Nous saluons également les mesures prises relatives au marché du travail, à l'éducation et à la formation professionnelle.
L'Union européenne attend désormais des autorités françaises qu'elles prennent de nouvelles mesures à la fois sur le plan budgétaire, pour une réduction d'un montant de 0,2 % du PIB et en matière de réformes structurelles, nous nous attendons à un programme national de réforme robuste. L'un des principaux sujets de discussion en France est le projet de loi sur la croissance et l'activité. Ce projet est bien accueilli par la Commission car il contient un grand nombre de mesures dans différents domaines de la vie économique. Le travail du dimanche, la mobilité, la réforme des prud'hommes ou des professions juridiques réglementées : tous ces domaines sont importants, mais ce n'est qu'un début : il y a deux cents professions réglementées en France !
Ce projet de loi est examiné par le Sénat et son adoption définitive est encore l'objet de discussions dans les deux chambres. Nous considérons qu'il sera un pas dans la bonne direction et que la France prendra des mesures supplémentaires sur la voie des réformes durables.
Une fois de plus, je tiens à vous remercier pour votre invitation. Je suis impatient de poursuivre avec vous une coopération de qualité pour parvenir à notre objectif commun : la croissance durable et la création d'emplois.