Le président et les membres de l'Union des Démocrates et Indépendants - UC ont déposé une proposition de résolution européenne (PPRE) tendant à créer un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation.
Cette proposition s'inscrit dans le prolongement du « scandale de la viande de cheval » et du « retour des farines animales ». Les deux affaires présentent des caractéristiques très différentes, même si elles posent toutes les deux le problème fondamental de la maîtrise du consommateur sur son alimentation.
J'évoquerai tout d'abord l'affaire de la viande de cheval dans les plats cuisinés, déclenchée par la révélation de tromperies sur la composition des plats cuisinés à base de viande. Ce qui est en cause, c'est moins la sécurité sanitaire des produits, que la confiance que les consommateurs et les citoyens doivent avoir dans leur alimentation et dans leurs institutions. Les Français découvrent l'ampleur de la fraude, la complexité de l'organisation des filières, la force de la logique mercantile, des failles dans la réglementation, notamment en matière de traçabilité des produits, qui mérite d'être adaptée.
Un règlement européen de 2002 définit la traçabilité comme « la capacité à retracer, à travers toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution, le cheminement d'une denrée alimentaire ». Cependant, cette traçabilité est sélective puisqu'elle n'est complète que dans le cas de la viande bovine non transformée, non pour les autres viandes et pour les produits transformés. En outre, il existe des incohérences avec les règles d'information des consommateurs : le règlement INCO de 2011 prévoit l'étiquetage obligatoire de l'origine des différents types de viande et de celles utilisées en tant qu'ingrédient, mais ne prévoit pas la mise en place préalable d'un dispositif de traçabilité.
En application du règlement INCO, la Commission devra présenter deux rapports, fin 2013 et fin 2014, dans la perspective d'étendre l'indication obligatoire de l'origine à la fois à tous les types de viande et aux viandes utilisées en tant qu'ingrédient. L'amélioration de l'information est donc d'ores et déjà envisagée. L'actualité transforme cette éventualité en impératif.
Tel est le premier aspect de la proposition de résolution, et je vous propose de le soutenir.
J'en viens à l'utilisation des protéines animales transformées dans l'alimentation des poissons d'élevage. Les farines animales sont un sous-produit de l'activité d'équarrissage. Leur utilisation dans l'alimentation des ruminants est une des causes de la crise de la vache folle, entre 1986 et 2000, due à l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), qui a eu pour conséquence l'abattage des troupeaux, le dépistage systématique chez les bovins, puis l'interdiction de l'utilisation des farines carnées dans l'alimentation animale.
Cette utilisation était alors très large puisque les farines peuvent être issues de tous types de déchets d'animaux et peuvent servir à l'alimentation d'un grand nombre d'animaux d'élevage à commencer par les bovins.
L'interdiction de l'utilisation des farines dans l'alimentation a d'abord concerné, de 1987 à 1994, les seuls bovins et ruminants, avant d'être étendue, entre 1996 et 2001, aux animaux d'élevage, d'abord en France, puis dans l'ensemble de l'Union européenne.
La France a toujours été pionnière dans ce domaine en adoptant des mesures plus précoces et plus rigoureuses que les règles européennes. Les relations entre la France et la Commission ont même été souvent tendues, comme l'établit le rapport de notre collègue Jean Bizet au nom de la commission d'enquête du Sénat en 2001.
En janvier 2013, la Commission a autorisé à nouveau l'utilisation certaines farines animales dans l'alimentation des poissons. Elle considère que la crise de l'ESB est passée : moins de trente cas en Europe en 2011 contre plusieurs milliers au plus fort de la crise. Cette nouvelle situation ne justifierait plus une mesure d'interdiction générale et permettrait d'envisager des évolutions, tant dans le dépistage que dans l'utilisation des sous-produits animaux, notamment en direction des non ruminants. Pourquoi cette distinction entre ruminants et non ruminants ? D'abord parce que les premiers sont herbivores et qu'il paraît, en effet, insensé de les transformer en carnassiers cannibales ! Ensuite parce que le prion, agent pathogène responsable de l'ESB, est seulement présent chez les mammifères. Le poisson et la volaille ne sont pas sujets aux encéphalopathies spongiformes transmissibles.
La Commission invoque aussi des arguments économiques. Ces farines, en particulier la fraction la plus utile, les protéines animales transformées (PAT), représentent une source précieuse de protéines, indispensables à l'alimentation animale. Plutôt que de servir à produire des engrais ou des combustibles, les PAT pourraient se substituer aux importations de protéines végétales.
Cette argumentation de la Commission a été reprise par le Parlement européen, qui a pris position en ce sens à deux reprises, en 2011. Au cours de la procédure de « comitologie », associant les représentants des États membres, le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale a voté à la majorité qualifiée, le 18 juillet 2012, en faveur de la position de la Commission - l'Allemagne et la France votant contre. La décision formelle de la Commission consiste en un règlement du 16 janvier 2013 qui ouvre la possibilité, à compter du 1er juin 2013, d'utiliser les PAT des non ruminants pour l'alimentation des poissons d'élevage.
Précision de valeur autant technique que symbolique, la levée de l'interdiction concerne uniquement les PAT, partie « noble » des farines animales, constituées de sous-produits sélectionnés d'animaux sains abattus pour la consommation. Le règlement de la Commission porte uniquement sur les poissons d'élevage. Ce ciblage n'est sans doute qu'un ballon d'essai pour tester les réactions de l'opinion, car les communications antérieures de la Commission envisageaient une utilisation élargie. Il ne fait aucun doute que l'objectif est bien l'extension de l'utilisation des PAT aux non ruminants - volailles et porcs - sous réserve du principe de « non recyclage des protéines », qui interdit de nourrir un animal avec des farines issues d'animaux de la même espèce.
Cette décision suscite en France une très vive inquiétude, pleinement légitime. Les farines animales évoquent trop de dérives pour ne pas provoquer de réactions de rejet à leur simple évocation. Et prétendre les réserver à l'alimentation de certains animaux paraît peu réaliste. Comment contrôler qu'il y a bien des filières différenciées quand un exploitant élève à la fois des volailles, des lapins et des bovins ? La coexistence de deux circuits parallèles supposés étanches, est toujours problématique.
En France, le dossier est particulièrement sensible, sans doute en raison d'un attachement traditionnel à la qualité de l'alimentation. Dans les réserves qu'il a exprimées, le Conseil national de l'alimentation évoque d'ailleurs moins les risques sanitaires que les difficultés d'« acceptabilité sociale ». L'opposition au retour des farines animales reste massive, et ce type de mesure n'est pas de nature à améliorer l'image de l'Europe.
Les solutions dont nous disposons s'avèrent néanmoins limitées.
L'adoption de dispositions plus rigoureuses que la règlementation européenne comporte un risque de contentieux. L'interdiction temporaire de la consommation de ris de veaux a ainsi été sanctionnée par le Conseil d'État qui a condamné l'État à payer 450 000 euros à la profession.
De même, la suspension temporaire de l'application d'un règlement européen doit être fondée sur des motifs de santé publique. En réservant aux seuls poissons la réintroduction des farines, la Commission agit habilement. Réclamer un moratoire est néanmoins le seul moyen de provoquer le débat en France et en Europe. Le Gouvernement ne doit pas renoncer à demander un réexamen de la décision européenne.
Il est souhaitable, en tout état de cause, de prévoir un étiquetage sur les viandes et poissons commercialisés afin d'indiquer au consommateur si ces produits ont été, ou non, nourris à l'aide de protéines animales. Les règles d'étiquetage étant européennes, seul un étiquetage commercial volontaire de type « label de qualité » peut être imaginé. La filière française de l'aquaculture a d'ores et déjà indiqué qu'elle n'utiliserait pas les PAT. Cette initiative doit être saluée et devra être valorisée par un étiquetage approprié.
Toutefois, les mesures restrictives ou informatives que nous pouvons prendre ne concerneront que les productions françaises. Certes, rien n'empêche notre pays d'adopter un mode d'alimentation qui exclut le recours aux farines animales. Mais il sera impossible d'empêcher les importations de poissons provenant d'élevages ayant recours aux pratiques que l'on réprouve en France.
Les solutions techniques dont nous disposons sont donc limitées. Néanmoins, il faut les mettre en oeuvre pour empêcher qu'une nouvelle étape soit franchie. L'utilisation des farines animales n'est encore ouverte qu'à l'alimentation des poissons. La France doit afficher sa ferme opposition à toute extension pour l'alimentation des non ruminants.
C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de résolution de M. François Zocchetto, sous réserve de quelques modifications qui n'en modifient pas l'esprit, mais précisent ou complètent certaines références et, sur quelques points, clarifient la rédaction. Elle est pleinement justifiée, car nous sommes en train de mettre le doigt dans un engrenage dangereux et de saper la confiance du consommateur.